Mourir à vélo à 18 ans pour Uber et mourir à 68 ans sur un toit, deux auto entrepreneurs

Un jeune avec des lunettes de piscine, et un K-way noir, façon black block :

«  - Moi, je veux pas de patron, d’ailleurs je me suis mis à mon compte, je suis auto entrepreneur ».

« - Mais pourquoi tu manifestes contre Macron alors puisque que tu es son héros ?».

Macron, c’est la « France start up », une grande société « low cost » avec des institutions « light ». C’était écrit dans son livre intitulé « Révolution » : une « société post salariale », «  sans statut ». Sur le coup, les électeurs n’ont pas bien saisi la fine fleur de ce projet,  et dans le « Grand débat » Macron se garde d’en parler, ce qui ne l’’empêche pas de clamer qu’il ira « jusqu’au bout » et même qu’il va « accélérer » cette « Révolution ».

 

Les « auto entrepreneurs » ça vient de loin :

 

Ca fait dix ans qu’ils ont été inventés, 2009-2019 : conçus par les ultra libéraux,  par Alain Madelin,  Hervé Novelli, c’est le droit de s’auto exploiter soi-même à bas prix.  L’auto entreprise, c’est le monde de Mad Max. L’auto exploitation sans frein.

Dés 2015, Macron avait œuvré à remplacer le contrat de travail par des contrats commerciaux : «  Je ne suis pas là pour défendre les jobs existants », « Je le dis aux jeunes  ne cherchez pas des patrons, cherchez des clients ». C’était le retour des besogneux du XIX° siècle, des appointés, journaliers, tâcherons, loueurs de bras, trimardeurs.  Pour faire plus moderne, ça s’appelle start-upeurs, développeurs, incubateurs, programmeurs, auto entrepreneurs (« AE ») mais c’est vieillot comme avant la naissance du salariat.

Les AE voituriers d’Uber sont « souples », ils peuvent conduire 14 h par jour et 100 heures par semaine, sans même toucher le Smic, ils paient tout, la bagnole, l’assurance, les accidents, les 25%  de commission à Uber, et il ne leur reste rien pour leurs congés, maladie ou retraite.

Ca touche tous les secteurs et plateformes : ainsi les pilotes et hôtesses de Ryan Air sont des « AE », tout comme des professeurs de boites de cours du soir, des nounous, des femmes de ménage,  des fabricants de sandwichs dans des chaines de restauration, des informaticiens, des tailleurs de pierre dans le bâtiment et les célèbres « pédaleurs » de Deliveroo qui livrent les pizzas en des délais records.

 

Ils n’ont même pas à traverser la rue, ils s’inscrivent directement en ligne et le paiement des cotisations sociales, des impôts et taxes est regroupé dans un impôt unique et proportionnel au chiffre d’affaires. Il leur faut seulement respecter les plafonds de chiffre d’affaires définis pour la micro-entreprise, c’est-à-dire 70.000 euros par an maximum pour les activités de services, et 170.000 pour les ventes de marchandises.

 

 

Encart     Il existe 1,18 million d’AE sur le papier. Mais 39 % sont « bidons » et seulement 61 % existent dans les faits soit 729 000.  Moyenne de chiffre d’affaires 1200 euros par mois. Sur ce chiffre d’affaire le revenu touché médian mensuel est de 250 euros. 25 % ont moins de 70 euros. 10 % ont plus de 1160 euros.

 

 

Du coup la protection sociale est hyper réduite.  Ca permet aux grandes entreprises d’utiliser ces micro-entrepreneurs sans avoir à les gérer. Les questions d’horaires de travail, de droit aux congés, de formation, de chômage sont désormais à la charge du travailleur « indépendant » lui-même.

Il leur suffit de tomber malade pour comprendre :

 » – Je me suis cassé la main dans une chute en vélo en livrant une pizza, je me suis aperçu que j’étais très insuffisamment couvert, ça m’a couté 6000 euros, pas à Deliveroo mais de ma poche ».

Certes les jeunes ne pensent pas forcément à l’accident ni à leur retraite, mais, s’ils ne sont pas obligés de cotiser, quand ça arrive, il est trop tard.

Pour compenser, rattraper, il faut alors travailler plus longtemps, plus durement.

C’est comme ça qu’un ouvrier a été conduit à bosser le 3 janvier 2019 dans les Yvelines alors qu’il avait 68 ans : c’est même le Préfet qui l’a indirectement embauché « dans le cadre d’un statut d’auto-entrepreneur sous-traitant de l’entreprise » elle-même chargée de l’entretien de la Préfecture de Versailles. « Cette société avait un contrat avec la préfecture pour le nettoyage des chenaux, précise le directeur de cabinet du préfet Thierry Laurent. La victime était précisément chargée de nettoyer les gouttières». Le vieil homme, AE de 68 ans, travaillait seul en hauteur, il est tombé du 3° étage, il est mort, les secours sont arrivés trop tard, juste pour cacher le corps avec des bâches en attendant l’enquête.

Tout employeur donneur d’ordre imposant un travail au-delà des limites physiques, isolées, et sans l’ensemble des moyens que la technologie permet pour alléger et sécuriser la tâche, conduisant à un accident mortel peut être condamné lourdement pour « une faute inexcusable ». Mais là c’est un auto employeur.

 

Mourir à 18 ans pour Uber,  Franck Page.

Il avait tout l’avenir devant lui.  A quoi pensait-il ce jeudi midi 17 janvier sur son vélo ? A la musique, à la danse, à son cours d’éco ? A 18 ans, il était passionné de hip hop et de break dance, ses amis disaient de lui qu’il était un prodige dans ces disciplines. Il était d’origine ivoirienne, habitait Marmande, faisait ses études d’économie à l’Université de Bordeaux. Il travaillait pour gagner un peu d‘argent, pour le compte de UBEReats,  c’est à dire qu’il livrait des repas, payé à la course. Alors qu’il aurait du être dans un amphi  avec une allocation d’étude universitaire.  Plutôt que d’étudier, il  lui fallait pédaler vite, afin d’assurer l’horaire pour que le client mange chaud et bien.   Faut il mettre en danger des jeunes étudiants en vélo pour livrer des pizzas en grande vitesse ?   A 13 h 40, à la hauteur de la bretelle d’entrée de l’A360, dans le sens extérieur de l’échangeur 14 à Pessac Saige-Ladonne, avenue Antoine Bequerel, il a été  percuté par un camion et est décédé dans l’accident. Le conducteur, un Girondin de 47 ans, ne s’est pas rendu compte du choc et a poursuivi sa course, en le trainant sur plusieurs centaines de mètres, jusqu’à l’entrée de la rocade avant d’être interpellé par un autre conducteur de poids lourds, témoin de la scène et de s’arrêter.

 

Les coursiers à vélo sont très souvent victimes d’accidents, rappelle Arthur Hay, de la CGT des coursiers à vélo de Bordeaux.  »Nous en avons tous plusieurs par an, heureusement moins graves, mais nous sommes très vulnérables« .  Le syndicaliste souligne l’absence de formation aux règles de sécurité et la rémunération à la course. « Il faut aller vite, on n’a pas le choix. Si tu respectes le code de la route tu ne t’en sors pas ».

Quel droit va s’appliquer ? Il est auto entrepreneur, pas salarié. Ce n’est pas un accident mortel de travail mais un accident de la route !

 

Heureusement, des décisions de justice ont été prises contre Uber, enEspagne,  en Californie, ou à Londres, et la justice Néerlandaise vient de reconnaître à son tour que les livreurs Deliveroo ne sont pas des travailleurs indépendants et doivent être considérés comme des salariés.

En France aussi, Uber a perdu plusieurs procès, la Cour d’appel de Paris, le 3 décembre 2018, vient de les condamner. Les juges reconnaissent aisément qu’il  existe un  « lien de subordination juridique permanent » entre les donneurs d’ordre et les AE.Le Medef a essayé d’argumenter qu’il s’agit d’une « soumission librement consentie » et non pas d’une « subordinationjuridique». Rien n’y fait, les juges requalifient quand même les contrats,  les accidents : ils peuvent pour cela s’appuyer sur le droit du travail mondial de l’OIT ou européen de l’UE.  Mais ces victoires de la  jurisprudence ne suffisent pas, il faut que la loi prenne le relais de ces décisions de justice.

Macron et ses épigones n’ont pas du tout l’intention d’aller dans ce sens, au contraire : le député LREM Aurélien Taché vient tout juste de proposer une nouvelle loi, fêtant les « dix ans des AE » en rendant « universel » ce régime « pour  tous les actifs » ! :

« En cas de cessation d’activité, les AE n’auront pas droit au chômage, mais selon les promesses électorales de Macron ils pourront toucher 800 euros par mois pendant 6 mois. A des conditions d’accès très restrictives : il faudra avoir travaillé au moins 2 ans avec au minimum 10.000 euros de revenus, et être placé en redressement ou liquidation judiciaire ».

Ce même député macronien Aurélien Taché poursuit : « -Je ne fais pas partie de ceux qui veulent sacraliser le travail salarié (sic) Le travail indépendant est une forme de liberté, de progrès. »« Je ne suis pas favorable au versement de cotisations par le donneur d’ordre ou les plateformes … Je soutiens plutôt l’idée d’un régime universel, payé par l’impôt, qui assurerait un socle minimum de protection, auquel s’ajouteraient des cotisations du micro-entrepreneur pour accéder à une mutuelle, se couvrir contre tel ou tel risque. » …  L’intérêt d’avoir un système universel est de pouvoir passer d’un statut à l’autre, ce qui deviendra de plus en plus courant dans le futur ».

Ces cotisations volontaires seraient librement choisies, par les intéressés eux-mêmes au niveau souhaité : vous cotisez peu si vous le voulez quand vous êtes jeunes, mais si, en conséquence vous n’avez pas assez de retraite, hé bah, vous travaillerez sur les toits à l’âge de 68 ans

Ce système macronien pousse jusqu’au bout l’individualisation, la déstructuration de toute Sécurité sociale collective. La « Révolution » Macron est bel et bien une « contre révolution ».

Gérard Filoche

 

 

One Commentaire

  1. Pierre LERMIGEAUX
    Posted 9 février 2019 at 9:38 | Permalien

    un esclavagisme légalisé, voilà ce qu ‘est en fait le systeme de l » ‘autoentrepreneur ». Entrepreneur de que dalle puisqu ‘il est sans aucune action possible sauf de tout accepter. lamentable dérive de notre société,précarisation amplifiée par la hausse des seuils et qui a pour effet indirect de bien noyer les services de l urssaf.Une arnaque, un piège à naifs.

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