au boulot n°489 Ma vie de non confinée

 

« Je ne suis pas confinée mais je peux arriver à 5 h 45 au lieu de 5 h 20. J’ouvre la lourde grille, la repousse et remonte le rail que j’enfourne dans l’encoignure en faisant attention à ne pas me coincer le doigt. J’enclenche l’Olophane et vais à ma recette. Je fais des essais de Tétra pour signaler ma présence au Pôle. Je fais un tour et vérifie toutes les installations, appareils de vente, de contrôle, escaliers mécaniques, extincteurs, éclairages de sécurité. Je vérifie qu’il n’y a pas de PSIE (« personnes séjournant indument dans l’espace »).

 

Puis je reste 8 h (au lieu de 7 h) dans ma recette (5 m2) une lumière qui fait mal aux yeux et deux écrans. Tous les jours je dois m’occuper des appareils de vente, les recharger avec les pièces qui sont dans l’armoire forte. Et sur l’un des écrans je dois renseigner tout ce qui se passe sur la main courante informatique, même quand je fais pipi et que je tourne l’ardoise qui précise « je reviens dans quelques instants ». Pas le droit de téléphoner, de manger, de boire, pas de musique, ni lecture. Rester assise, visible par les clients (on ne dit plus « voyageurs »). Une pause de 20’ sans sortir. Surveillée par des « clients mystères » qui passent vérifier.

 

50 stations sur 302 sont fermées. Pas de proximité entre agents, s’il y a du surplus, les agents sont d’astreinte, chez eux. Soixante cas de Covid19 déclarés parmi les agents dont une dizaine critiques et deux morts : un cadre aux BUS et un autre aux GPSR (département sécurité de la Ratp) : 10 lingettes désinfectantes et 1 tube de gel hydro-alcoolique à disposition pour chaque agent par semaine. Des agents propreté supplémentaires (Chalencin, Onet) recrutés pour désinfecter les surfaces de «contact» équipés de chiffons (des taies d’oreiller d’hôtel reconverties) et d’un spray rempli d’un liquide violet et marqué d’un X au marqueur noir. Ils nettoient toutes les surfaces avec les mêmes chiffons, nous laissant tous sceptiques sur l’efficacité du geste.

 

Couloirs vides, personne ne nous sollicite, sauf sur la ligne 13, qui vient de Saint-Denis, Gennevilliers et Asnières : ses rames chargées déversent à Paris des travailleurs pauvres et contraints. Les pickpockets errent, plus maigres et sales que d’habitude, il n’y a plus de souris ni de rat.

Cerise sur le gâteau, la prime sur l’intéressement : « AMUNDI » nous promet des intérêts conséquents en cas de placements de nos primes chez eux, si elles y sont bloquées pendant 5 ans. Une minorité d’agents qui leur avaient déjà confié leurs primes ont perdu tous ces intérêts plus une partie de leur argent initial. Cette année pas un seul ne va risquer d’y mettre le montant de sa prime déjà amputée de 5€ par jour d’absence, grève comprise. »

 

Gérard Filoche

 

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