Inspecteurs du travail : défense de millions de salariés à travers le cas d’Anthony Smith Par Adam Belghiti Alaoui- 24 avril 2020

 

Muriel Pénicaud est vivement critiquée par les syndicats qui lui reprochent d’aller à l’encontre de l’indépendance des inspecteurs du travail / Wikimedia Commons

L’inspection du travail fait grise mine. Muriel Pénicaud et son ministère limitent les contrôles au nom de la poursuite de l’activité économique et de la protection des agents. La profession dénonce, elle, des entraves qui vont à l’encontre de ses principes élémentaires.

Le torchon brûle entre Muriel Pénicaud et les inspecteurs du travail. Entre la ministre du Travail et la profession, l’interaction vire aujourd’hui au dialogue de sourd. Dans un contexte de confinement et d’arrêt partiel de l’activité, le conflit s’est cristallisé. Les 15 et les 16 avril ont vu consécutivement un inspecteur du travail de la Marne (51), Anthony Smith, être mis à pied dans le cadre d’une procédure disciplinaire décriée, et une plainte contre le gouvernement français être déposée auprès de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) par quatre syndicats (CGT, CNT, SUD et FSU). Les voix s’élèvent parmi les agents de contrôle et les syndicats, pour dénoncer des entraves à l’exercice de leurs missions et une atteinte à leur caractéristique fondatrice : l’indépendance.

Au gré des réformes et des réorganisations, les gouvernements ont mis à mal cette indépendance des inspecteurs et leur liberté d’initiative et de contrôle, inscrites noir sur blanc dans les textes des conventions internationales ratifiées par la France et dans le code du travail. A l’instar de la convention 81 de l’OIT de 1947, dont l’article 6 dispose : « Le personnel de l’inspection sera composé de fonctionnaires publics dont le statut et les conditions de service leur assurent la stabilité dans leur emploi et les rendent indépendants de tout changement de gouvernement et de toute influence extérieure indue ».

Gérard Filoche, inspecteur du travail de profession et ancien membre du conseil national du Parti socialiste, l’affirme : « Il y a une sorte de contre-révolution administrative, hiérarchique, gouvernementale et politique contre l’indépendance de l’inspection qui a commencé sous Hollande avec la loi Sapin. »

Cette « contre révolution » s’est notamment traduite par l’instauration d’une hiérarchie s’imposant directement aux agents de contrôle et encadrant leurs activités. Pendant longtemps, les sections d’inspection étaient composées d’un inspecteur, de deux contrôleurs et de deux secrétaires, rattachés à une zone géographique et ayant pour chef de service l’inspecteur lui-même. Aujourd’hui, les unités de contrôle rassemblent jusqu’à une dizaine d’agents placés sous l’autorité hiérarchique d’un directeur d’unité, au-dessus des inspecteurs : « Cette hiérarchie a enlevé l’indépendance des inspecteurs, explique Gérard Filoche, ça a commencé en 2013 et ça a été aggravé par la loi El Khomri et par le gouvernement actuel, à chaque fois on touche aux responsabilités de l’inspecteur pour les transmettre à la hiérarchie. »

En soumettant le travail des inspecteurs à une hiérarchie plus présente, le ministère du Travail s’est assuré une main mise directe, et la capacité d’influer sur les suites données aux contrôles. « Il m’est peu arrivé au cours de ma carrière d’avoir des pressions hiérarchiques, mais le jour où mon directeur départemental m’a dit de ne pas poursuivre un patron parce qu’il était président du conseil de prud’hommes, j’ai immédiatement dressé son procès-verbal. Lorsque la hiérarchie intervenait elle était très mal vue », ajoute l’ancien inspecteur du travail.

En parallèle de la limitation du pouvoir d’initiative des inspecteurs, leur nombre s’est tassé. « Il n’y a pas assez d’effectifs, il y a moins de 2 000 agents de contrôle pour 18 millions de salariés. En temps normal, un employeur a peu de chances de se faire contrôler », regrette Julien Boeldieu, secrétaire général de la CGT-inspection du travail. De son côté, pendant que les syndicats dénoncent des baisses d’effectifs, le ministère du Travail affirme que les effectifs se maintiennent. En 2017, selon le rapport de l’Inspection du travail édition 2019, il y avait 2 016 agents de contrôle (inspecteurs et contrôleurs), contre 2 251 en 2016. Depuis 2017, Muriel Pénicaud s’attire les foudres des agents, et les dénonciations de pressions du ministère se multiplient

Une inspection fragilisée

Gérard Filoche ne mâche pas ses mots : « Muriel Pénicaud est une ennemie de l’inspection du travail. » En cette période de crise sanitaire et de confinement, le dialogue entre la ministre et les représentants syndicaux de l’inspection est plus que jamais explosif. D’après Julien Boeldieu : « Notre liberté nous est refusée, le ministère du Travail exige qu’avant tout contrôle, l’inspecteur sollicite l’accord de sa hiérarchie et prenne contact au préalable avec l’entreprise. » Au nom de la situation économique et sanitaire exceptionnelle et de la protection de ses agents, le ministère se réserve donc le droit de refuser des initiatives de contrôle. Et le contact préalable « prive tout l’effet de surprise du contrôle inopiné », ajoute le membre de la CGT.

Selon les syndicats, les pressions actuelles ne se limitent pas à une limitation des contrôles, comme l’illustre Pierre Meriaux, représentant FSU au ministère du Travail : « Il y a une boîte mail externe pour que les agents nous signalent les pressions, on a récolté plus de 50 témoignages, d’un coup de fil plus ou moins amical de la hiérarchie jusqu’à des menaces de suspension immédiate. »

La justification du ministère du Travail est toute trouvée : la protection de ses personnels. « C’est difficile de riposter face à cet argument, mais en vérité, si les salariés travaillent, pourquoi l’inspection du travail ne pourrait-elle pas contrôler ceux qui les font travailler ? », s’interroge Gérard Filoche. Certes, la situation actuelle est exceptionnelle et le maintien de l’activité des entreprises est essentiel pour l’économie et l’emploi, mais ces mesures restrictives ne doivent pas se faire au détriment du droit du travail et du respect de ses préceptes. L’ancien inspecteur du travail dénonce : « La philosophie de Muriel Pénicaud c’est ‘faites confiance aux patrons, ne les gênez pas’. Elle met en cause les principes fondamentaux d’un siècle du droit du travail et le patron devient juge et partie, partie pour ce qui est de l’obligation d’assurer la sécurité de ses salariés, et juge pour la façon dont il applique ces obligations. »

Colère syndicale

« Il y a un grave risque d’atteinte à notre autonomie de fonctionnement, qui est une garantie pour les salariés, qu’on ne va pas exposer leur santé à des pressions politiques ou à des impératifs de gestion. On ne lâchera pas le combat sur la façon de fonctionner et l’indépendance de l’inspection du travail, parce que derrière il y a en jeu la situation sanitaire de 18 millions de salariés », lance Pierre Meriaux.

La plainte déposée par les quatre syndicats auprès de l’OIT n’est que la suite logique d’une série d’obstacles mise en travers de la voie des inspecteurs, sans justification recevable selon la profession. Julien Boeldieu s’explique : « Le ministère se justifie au nom de la protection de la santé des agents, mais très peu de masques nous sont disponibles et certains sont périmés depuis 2014. C’est très dissuasif et beaucoup d’inspecteurs renoncent à des contrôles par peur de se faire rappeler à l’ordre ou de s’exposer au virus. » Actuellement, la plupart des contrôles s’effectuent, de fait, à distance et par vidéo.

C’est le cas du contrôle mené par Anthony Smith auprès d’une association d’aide à domicile, qui a mené à la mise à pied de ce dernier par Mme Pénicaud, qui lui reproche d’avoir « dépassé les consignes sanitaires du gouvernement ». Une décision qui ne passe pas dans les rangs syndicaux. « Notre collègue n’a fait que son métier en saisissant le juge après constatation d’un risque d’atteinte à la santé des salariés », explique le représentant FSU. Même son de cloche côté CGT : « Le rôle de l’inspection n’est pas de relayer les consignes du gouvernement, c’est de faire appliquer le code du travail. »

Quelques semaines plus tôt, une inspectrice du travail du Nord (59) avait engagé une procédure en référé similaire contre une entreprise du même type, et a obtenu gain de cause, le juge ayant imposé au patron de faire porter des masques à ses employés. Non sans une tentative de dissuasion de sa hiérarchie, qui est allée jusqu’à intervenir directement auprès du tribunal.

De l’avis de Gérard Filoche : « Muriel Pénicaud a suspendu Anthony Smith pour éviter que tous les inspecteurs ne fassent la même chose. » Protection à peine dissimulée des patrons ou décision justifiée par le contexte exceptionnel, le débat est ouvert. La plainte déposée auprès de l’OIT par les syndicats a elle, « une bonne chance d’aboutir », selon l’ancien inspecteur du travail. Reste que comme bon nombre d’organisations internationales, l’OIT émet des avis mais ne dispose pas de pouvoir de sanction.

 

 

Adam Belghiti Alaoui

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Titulaire d’une Licence de Science Politique et actuellement en seconde année de Master journalisme à l’ISCPA Paris.

Journaliste chez LMedia – EcoReseau Business depuis mars 2019

 

One Commentaire

  1. Rinaldi Gaetano
    Posted 13 août 2020 at 2:34 | Permalien

    En tant que délégué syndical CGT j’ai été mis au placard par mon employeur avec la complicité de la direccte de Metz et du médecin du travail complaisant. je soutien Mr Smith. voici le courrier adresser au prud’homme de VERDUN;

    Monsieur,
    Salarié depuis le 1er avril 2013 au sein de l’entreprise  » groupe SGP » en qualité d’agent de sécurité, Je suis délégué syndical CGT au sein de cette entreprise depuis février 2O16.
    J’ai été contacté par téléphone par le médecin du travail le 23 mars 2020 à 16h05 pour être convoqué à son bureau le 26 mars 2020 à 10h30, sans que cette convocation soit programmée ni justifiée par un médecin extérieur. ll apparaît que cette convocation émane de mon employeur dès lors que ie n’ai pas, à titre personnel,
    demandé une consultation auprès de la médecine du travail. Le médecin du travail me l’a lui-même confirmé. A la suite de l’entretien avec le médecin du travail, celui-ci m’a placé en « inaptitude temporaire de travail » pour un mois en me demandant de « ne plus exercer d’actions syndicales », de me « couper de l’entreprise » sur la seule base de mes mails qui ne s’inscrivent que dans l’action syndicale légale de mon mandat syndical et ce, sans aucun fondement au préalable d’un avis médical spécialisé. Le
    médecin m’a également confirmé la réception de mes mails remis par l’employeur. Ainsi, il apparaîtrait que je présente un état dépressif d’après le médecin du travail, ce qui justifierait cette « inaptitude temporaire au travail ». Je déclare m’être opposé auprès du médecin du travail concernant son diagnostic ne ressentant aucun symptôme d’une déprime ou dépression quelconque. La lettre du jeudi 26 mars 2020 étant déjà préparée avant la visite, car le médecin me la lut pendant la visite, sa décision a été prise avant notre rencontre du 26 mars 2O2O. Malgré cela, une « inaptitude temporaire au travail » m’a été imposée. Mon médecin traitant ne partage absolument pas le diagnostic du médecin du travail et ne relève chez moi aucune tendance dépressive. Par ailleurs mon docteur m’adresse à l’un de ses confrères à ma demande pour un avis spécialisé, ce qui aurait dû être fait en amont par le médecin du travail. Dans cette période de confinement il m’est impossible de prendre rendez-vous avec un psychiatre, mon employeur et le médecin du travail le sachant parfaitement, mon médecin m’ayant indiqué qu’il sera très difficile d’avoir un rendez-vous- J’ai tout de même fait les démarches auprès des psychiatres
    de Verdun allant également jusqu’aux services des urgences le 2 mars à 17h30, dont un médecin n’a pas jugé opportun de m’orienter vers le psychiatre de service. Je tiens à faire souligner que je n’ai aucun traitement médical pour la pathologie querellée, du fait que mon médecin ne voit aucun symptôme de la pathologie.
    Au demeurant, il est permis de se demander comment le médecin du travail a pu se procurer mes mails qui s’inscrivent dans l’action syndicale et qui semblent manifestement gêner mon employeur. De même, il est permis de se demander sur combien de mails reçus par le médecin du travail et adressés par l’employeur à cet organisme pour justifier des « nombreux mails » envoyés « parfois la nuit » sans qu’il soit constaté par ce médecin de mails à action syndicale, et forcément traitant de différents
    thèmes, ce qui est le propre de l’action syndicale. le conteste vivement cette décision et le diagnostic du médecin du travail. En effet, je suis tout à fait apte à travailler d’un point de vue physique et moral. Je constate que le seul fondement d’échanges mails s’inscrivant dans le cadre syndical entre mon
    employeur et moi-même ont permis à ce médecin en t heure de visite à estimer une inaptitude
    temporaire me demandant de ne plus faire d’action syndicale et me couper de l’entreprise, sans fondement d’avis médical spécialisé au préalable. Cette initiative surprenante du médecin du travail m’a pris de court et je ne comprends pas le diagnostic du médecin du travail. Ce médecin m’a blessé profondément, car mes actions sont légitimes et conformes à mes mandats. Je conteste fermement les termes du diagnostic du médecin du travail et plus particulièrement les termes : mais à connotation de menace, d’attaque, d’accusation, de contestation systématique », Le rappel des obligations contractuelles de l’employeur par un délégué syndical en référence aux articles du Code du Travail, aux arrêts de la Cour de cassation en matière de travail ne peut être assimilé à de la « menace », d’attaque », « d’accusation » ou contestation systématique ».
    De fait, contestant ce diagnostic qui me paraît particulièrement étrange, je saisis le Conseil des Prud’hommes sur le fondement de l’article 1.4624-7 du Code du travail en demandant l’annulation de l’avis du médecin du travail à tous le moi, que soit ordonné avant dire droit, toute mesure d’instruction confiée au médecin expert afin de confirmer ou d’infirmer ce diagnostic de manière à juger abusive l’inaptitude temporaire au travail imposée par le médecin du travail. Restant à votre disposition pour vous apporter tous les éléments complémentaires que vous jugerez utile de me demander. En vous remerciant par avance de l’intérêt que vous porterez à ma requête,
    Je vous prie de recevoir, Madame, Monsieur, mes salutations les plus respectueuses.
    Mr Gaetano Rinaldi

    ils ont donc des manières différentes de punir les personnes voulant faire respecter le peu de droit qui nous reste et sécurité les salariés.

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