Livreurs de bonheur

Ce lundi 8 juin à 13 h, il étaient là, 200, 250, tous noirs, africains. Beaux, joyeux et toniques. Devant le « hub » de chez Frichti – une start up à la mode Macron – au 40 rue Croix des Petits Champs, ironiquement situé en face de l’entrée de la Banque de France.

Ils manifestaient, bruyamment avec leurs vélos et avec leurs gilets jaunes « Frichti » dont la « pub » est, devinez le en mille ? : « Livreur de bonheur ».

Le dictionnaire ne laisse pourtant aucune place au bonheur : le Frichti, fricot, bouffe, bouffetance, c’est un « repas préparé dans la hâte et pris rapidement. Action de cuisiner quelque chose de rapide et de le manger en peu de temps seul ou à plusieurs. Le frichti  est généralement lié à l’empressement et à un manque de temps ».

Le frichti doit être livré vite, en 20’, 7 jours sur 7 : les appels de recrutement exigent un vélo, un statut « auto entrepreneur », un Smartphone et « ton sourire de coursier » pour 5 euros de l’heure et 0,50 centimes par commande plus une prime kilométrique (au tarif totalement aléatoire).

« Vous dévalez les rues à Paris a vélo, et connaissez bien tous les recoins ?  Votre endurance serait un véritable atout avec Frichti »

Tu bosses par « shifts » d’un « hub » à l’autre, de 10 à 14 h 30 et de 18 h 30 à 23 h à la tâche, sans arrêt maladie en cas d’accident, sans congés payés, sans chômage car sans cotisations sociales. Et tu fais la queue dans des locaux à l’hygiène incertaine, pendant des heures car il y a plus de livreurs que de livraisons.

Pendant le confinement, ces jeunes ont livré quelque soit le temps froid, chaud, soleil, pluie, vents, ils ont affronté les risques du virus. Pas de smic. Pas d’horaires, pas de contrat. Un turn over permanent. Ce sont des héros. Et comment sont ils récompensés ? Déconnectés ! Les patrons, qui ne regardaient pas les papiers de près jusque là, ont décidé qu’il fallait qu’ils soient « en règle ». Cela leur permet de virer 80 % des effectifs sans recours.

Voilà comment sont traités les jeunes dans la France de Macron.

En décidant de se battre collectivement avec l’appui de la CGT et du CLAP (Collectif des livreurs autonomes de Paris,animé par Jérôme Pimot) pour exiger d’être reconnus légalement en tant que salariés (conformément aux arrêts de la Cour de cassation) tous ces jeunes courageux, sans le savoir, défendent les droits de tous les autres salariés du pays.

Car la France start up de Macron, sans statut, dans des hubs, des shifts, à 5 euros de l’heure, c’est le modèle de bonheur qu’il veut nous imposer à la place du salariat.

Gérard Filoche

lire chaque semaine la chronique « au boulot »ici  n° 498, 10° année dans l’Humanité Dimanche

 


 

 

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