Reconstruire l’unité de toute la gauche, une NUPES élargie, démocratique, de la base au sommet

 

À l’origine du retard (entre 2012 et 2022) à construire la NUPES, et de l’impossibilité de la faire vivre positivement depuis sa naissance, il y a la vieille théorie fantasmée, tragique, calamiteuse des « deux gauches irréconciliables ». Elle traine dans les têtes et n’a pas été éradiquée par la construction soudaine et rapide de la NUPES à la mi-avril 2022. Comme quoi, avant les tournants il vaut mieux des bilans.

Les « deux gauches irréconciliables », c’est une théorie suprématiste, hégémoniste, ancienne, selon laquelle, une gauche autoproclamée doit l’emporter et détruire l’autre. Elle remonte à loin, à l’idée qu’il faut purger la gauche de ses éléments malsains comme condition préalable pour avancer. Du temps où il fallait prétendument des conditions draconiennes pour adhérer, du temps où le « social-fascisme » était le premier et le pire des ennemis, et où « le parti se renforçait en s’épurant ». C’est une théorie répulsive, toujours perdante.

C’est l’idée qu’il y a une « gauche molle » et une « gauche dure », qu’il y a un « clivage » entre « réformistes » et « révolutionnaires », qu’il y a une surenchère entre avant-garde et une arrière-garde, une vraie gauche et une fausse gauche, une « vieille gauche » et une « nouvelle gauche ». C’est l’idée que les traitres réformistes doivent être démasqués, dénoncés, battus, éliminés comme condition préalable pour que les purs, les révolutionnaires gagnent. C’est l’idée que les partis de gauche, syndicats, associations de gauche, sont divisés, catégorisés, partagés, étiquetés et que la lutte de classes doit commencer par séparer les bons et les mauvais. Ça remplace et détourne la lutte de classe en une lutte au sein même de la classe.

Cette théorie a toujours été catastrophique dans les rangs du mouvement social. Au lieu de viser à unir dans l’action et dans le combat politique l’ensemble de la classe salariale dominée contre la classe dominante patronale, actionnariale, elle clive, divise, oppose, paralyse.

Cela provient d’un oubli, d’une erreur théorique gravissime : la gauche c’est d’abord une force sociale, une classe sociale, et les idées, partis, syndicats, associations procèdent de cette classe et non pas l’inverse. C’est l’existence qui détermine la conscience, les partis et syndicats, sont le fruit du salariat, leur genèse, leur existence, leur rôle, leur fonction, leur action dépend de leur base sociale et non pas l’inverse.

C’est parce que le salariat est pluraliste que la gauche est pluraliste.

Le salariat c’est 90 % des actifs, il n’a que sa force de travail à vendre, il produit toutes les richesses et sans en recevoir la part qu’il mérite. Nous sommes dans la France de 2023, 30 millions de salariés et évidemment, la conscience commune d’être exploités, d’appartenir à une même classe sociale, d‘avoir les mêmes intérêts ne surgit pas spontanément. D’où le fait qu’il existe de multiples partis, tendances, groupements, sensibilités, comme le PS, les PCF, les Écologistes, la LFI, Génération’s, Ensemble, GDS, POI, GES, NPA, LO, etc… Le salariat, tout en devenant puissant et majoritaire dans la société, en conquérant des statuts, et une place incontournable, a généré de multiples gauches, au moins 20 partis et 13 syndicats et des milliers d’associations et mutuelles. Toutes ces organisations ont une histoire, des implantations sociales inégales et combinées, des niveaux de conscience, différents, mais elles reflètent la réalité du salariat.

Appareils contre unité :

Elles ont produit des « appareils » dont les intérêts se sont autonomisés par rapport aux intérêts de la classe dans son ensemble : ils se disputent même entre eux, de façon boutiquière pour des « têtes » de manifestations ou pour des « places » électorales. Il n’y a pas de vaccin contre la trahison des appareils et apparatchiks quels qu’ils soient, grands et petits, anciens et nouveaux, à part la force de la mobilisation sociale. Nul ne peut ni nier ni ignorer ni contourner l’existence de ces « appareils », grands et petits, il n’y a possibilité de les empêcher de nuire qu’en les entrainant, les englobant en pratique dans un mouvement d’ensemble suffisamment puissant pour les dépasser.

Les « appareils » peuvent s’autonomiser au point de trahir en profondeur, leurs électeurs, leurs militants : ce fut le cas récent avec le quinquennat maudit de Hollande Valls Cazeneuve Cahuzac, de 2012 à 2017. L’application d’une ligne droitière par Hollande, contre la vie même et l’hégémonie du PS, a abouti à la perte de 14 millions de voix, à passer de 51,5 % des voix à 1,74 %, et de 180 000 adhérents à 20 000 adhérents. Il a suscité un tel rejet à gauche que l’abstention y est devenue majoritaire. Impossible de repartir, de reconstruire, sans rétablir la confiance à la fois par l’union et par un « programme partagé » suscitant enthousiasme et garantie de changement profond.

Salariat et conscience de classe

Chacun sait qu’on ne peut pas l’emporter contre la classe dominante, son système d’exploitation, ses institutions étatiques, ses médias, ses forces de l’ordre, sans mobiliser activement consciemment la majorité du salariat. Et pourtant jamais le salariat n’a été aussi nombreux, ni objectivement homogène (le salaire médian est à 1850 euros, 90 % des salariés gagnent moins de 3200 euros, les salaires reculent et les durées du travail et cadences augmentent, les vieilles différences « cols bleus » cols blancs » sont estompées, les droits du travail ont été rognés à tous les niveaux pour toutes et tous, la souffrance au travail n’a jamais été aussi rude). Subjectivement par contre le sentiment d’appartenance à une même classe est contre-battu – jusque là en profondeur et avec succès – par la propagande dominante.

Pour l’émergence nécessaire en force de la conscience de classe, il faut impérativement concentrer l’action militante afin de parvenir à dépasser les divisions existantes du salariat, à réaliser l’union dans les luttes et dans les élections. Pour cela, il faut réaliser un front avec le maximum de partis, de syndicats, d’associations de gauche. Cela implique échanges, respect, débats, actions communes, et construction d’une large union démocratique et militante, verticale et horizontale, de la base au sommet. La NUPES, première formule, n’a pas été cela, elle n’a pas fonctionné démocratiquement, ni à l’intérieur de chaque parti, ni, du coup, entre les différents partis, elle s’est refusée à intégrer toutes les sensibilités, elle n’a pas essayé de fonctionner à la base comme au sommet, incapable de former un vrai front de gauche.

A ne pas réaliser un front commun, même la force principale d’une coalition se voit davantage attaquée et affaiblie par les ennemis de classe (ce qui arrive à LFI) : car les dominants, eux, ont intérêt à cliver, à diviser, à cibler, et ils y réussissent d’autant plus que la volonté unitaire est superficielle.

Il aurait fallu un « conseil national » incarnant la NUPES, public, d’une trentaine (?) de personnes, 5 pour les quatre gros partis, et 2 par autres composantes, réunions régulières, comptes rendus au consensus, et décisions d’action. une formule a la base comme au sommet. Si la NUPES avait dans cet état d’esprit tenu un grand meeting à Paris pendant les grèves pour les retraites, c’est Bercy qui aurait été rempli ! Et cela aurait été un succès dans tout le pays.

 

L’union fait la force mais la force ne fait pas l’union.

L’union exige attention, conviction, persuasion, action. Pour dépasser les crispations, les réflexes identitaires, les intérêts étroits d’appareils et d’apparatchiks, il y faut de la pédagogie, du savoir-faire, constance et volonté opiniâtre.

Assez pour mobiliser la base salariale des partis et la rendre plus forte.  Cela impose que chaque composante se sente bien et « respectée dans sa personnalité antérieure » comme le disait Jean Jaurès au moment de l’unification de tous les socialistes, réalisée dans le congrès du Globe en 1905.

Nous en avons eu un exemple de janvier à juin 2023 avec l’intersyndicale agissant contre la casse par Macron des retraites repoussées à 64 ans.  Il n’existe pas de « syndicat réformistes » et de « syndicats révolutionnaires » : ils sont tous traversés par les mêmes débats lesquels sont forcément propres aux tactiques, stratégies et salariés quand ils s‘affrontent aux patrons. « Réformisme » et « révolution » ne s’opposent pas mais se complètent : le réformisme est l’apprentissage de la révolution, c’est le capitalisme qui engendre les revendications légitimes, et le chemin pour les défendre est aussi celui qui pousse à en radicaliser le contenu.

1600 euros, 60 ans, 32 h par semaine, pas de salaire supérieur à 20 fois le Smic, pas plus de 5 % de non CDI par entreprise, 50 % d’énergie renouvelables, et VI° République : avec CES OBJECTIFS, concrets, immédiats,  on démarre et on change tout. Campagne commune pour l’indexation des salaires sur les prix, campagne commune pour la défense d’une grande Sécurité sociale, campagne commune contre le pouvoir personnel de Macron, ses FDO, et pour les libertés démocratiques, c’est faisable si c’est décidé et mis en œuvre ensemble par la NUPES élargie à tous les niveaux.

Par contre l’impulsion par le haut, par  coups de boutoir, pour imposer un groupe parlementaire unique, décider en juillet 2022 d’une manifestation centrale le 16 octobre 2022, décider d’une autre le 21 janvier, décider sans appel ni vote ni débat, en dehors du Parlement du détail de la tactique parlementaire, réagir aux événements internationaux et nationaux, par décision du « leader » principal a nui à l’unité. Et du coup, les bisbilles ont été encouragés, et les appareils se sont précipités pour reprendre leurs avantages en commettant des fautes majeures, comme le refus de donner à LFI un siège aux sénatoriales et en refusant une liste commune aux européennes du 9 juin 2024.

Unionistes !

Les « unionistes » les plus conscients qui militent depuis des décennies en mettant en avant l’intérêt général du salariat, cherchent ce qui unit et repoussent ce qui divise. Ils choisissent le ou les thèmes qui font consensus, rassemblent, dynamisent et produisent des actions des campagnes communes. Ils écartent sciemment ce qui fait diversion, division. Ils savent que « unité d’action » et « front commun » aux élections ne veulent pas dire « unité de pensée » : chacun garde longtemps sa « personnalité antérieure » (ses marottes, ses traditions) forgée par l’histoire et incarnée sur son implantation sociale. Et surtout, les unionistes savent que tout ne se règle pas au « rapport de force » mais qu’il faut porter attention à chaque sensibilité quelle que soit sa taille, de façon à associer, à intégrer, à consolider : cela exige une pratique démocratique pointilleuse, méticuleuse.

Il faut partir ensemble, courir nombreux comme pour un même grand marathon, et ce n’est pas a priori, mais en vue de l’arrivée, que les meilleures idées l’emporteront.

Incompréhensibles bisbilles :

L’absence de démocratie réelle dans chacun des partis de la NUPES a joué un rôle négatif et abouti à une crise véritablement catastrophique. Car les électeurs qui commençaient à reprendre confiance sont désespérés par les bisbilles incompréhensibles.

C’est incompréhensible que Les Écologistes auxquels la tête de liste a été proposée aux européennes (avec garantie d’avoir plus d’élus que leurs sortants) refusent : c’est franchement indéfendable de laisser Le Pen caracoler une fois de plus en tête. Il n’y a aucune divergence substantielle sur l’Europe qui empêche campagne commune (lire les passages du « programme partagé » de la NUPES, lire le texte en 166 mesures des jeunes écolos, lire l’appel des 24 maires et ses 7000 signatures). Sans la gauche il n’y a pas d’écologie, l’écologie est anticapitaliste ou n’existe pas.

C’est incompréhensible que le PCF qui a zéro sortant, qui est donné à moins de 3 % dans les sondages, donc éliminé (ce qui donnera des sièges à la droite) refuse une campagne commune alors que nul ne voit de divergence qui empêche l’unité.

C’est incompréhensible, alors que Olivier Faure était en faveur d’une liste commune, qu’il se soit vu empêché par sa minorité anti NUPES (48,5 % contre 51,5 %) parce qu’empêtré dans la crise incompréhensible de toute la NUPES.

Et c’est incompréhensible que la LFI fonctionne sans débat, sans vote, sans transparence, sans congrès, par le biais d’ukases, d’exclusions, au point de susciter dans ses propres rangs des désaccords et ruptures brutales, ce qui alimente en retour la méfiance des autres partis et facilite les violentes attaques de la propagande macroniste et lepeniste.

Il n’y avait aucun enjeu à cliver la gauche le 8 octobre 2023, comme l’a fait Jean-Luc Mélenchon, sur le mot « terrorisme ». Comme l’écrit Marc Semo dans le Monde du 18 octobre 2023 : « Il n’y a pas un terrorisme mais des terrorismes, différents dans leurs modes d’action comme dans leurs objectifs. Même au pluriel, le terrorisme reste difficile à définir tant le mot est polysémique. Le terrorisme peut être un acte individuel au prix du sacrifice de sa propre vie, comme celui des anarchistes du XIXe siècle. Ou l’acte de résistance du colonisé, exemple de dissuasion du faible au fort. Ou encore une action spectaculaire de terreur de masse, tels les attentats du 11-Septembre à New York. Le terrorisme peut être d’extrême droite comme d’extrême gauche. On peut tuer au nom de Dieu. Mais le « terroriste », c’est aussi celui dont on veut délégitimer le combat. Ainsi, il n’a jamais été possible à l’ONU ni à la Cour pénale internationale de se mettre d’accord sur une définition précise, et surtout acceptée par tous, du terrorisme. ». Le « terrorisme » n’ayant pas de définition juridique internationale, à quoi bon mener une guerre sémantique à son sujet ? C’est politique. Lénine et Trotski combattaient le terrorisme comme un moyen qui échouait en nuisant à la fin poursuivie. Les moyens doivent être subordonnés à la fin. La Résistance française contre les nazis usait de terrorisme. Manouchian fut traité de terroriste et Macron accepte qu’il soit bientôt au Panthéon, c’est une question d’histoire, de peuple et de classe, d’appréciation et de reconnaissance politique. Mandela fut terroriste. Castro et Chavez furent terroristes. Le Fatah de Yasser Arafat fut terroriste et nia l’existence d’Israël avant de le reconnaitre à travers les « accords d’Oslo » (sans imposer l’inverse hélas et le négociateur israélien Premier ministre israélien Yitzhak Rabin fut assassiné le 4 novembre 1995 par le terroriste Yigal Amir au nom de ceux qui voulait l’empêcher). Le FLN algérien fut terroriste et libéra l’Algérie. L’IRA, l’ETA furent terroristes, mais comme le FLN payèrent un prix fort dans les opinions quand ils déposèrent des bombes contre les civils dans les grands magasins de Paris, Londres ou Barcelone. Nier que l’attaque du Hamas du 7 octobre était terroriste n’a aucun sens et ce fut pure folie de diviser la gauche en France sur ce mot.

Il fallait et c’était possible alors que l’enjeu était, après avoir condamné le pogrom du 7 octobre, dès le 11 octobre de construire un grand mouvement unitaire anti guerre contre la destruction de Gaza par… le terroriste Netanyahu.

Les unionistes dont nous sommes, ont démontré que l’unité de toute la gauche était possible dans les départements comme le 44, le 35, le 51, le 88, le 85, le 64, le 84… (voir ci-contre les exemples de ces textes unitaires…)

Nous avons démontré que « si on voulait on pouvait », et si les dirigeants l’avaient voulu, dès le début octobre il y a avait place, en France comme ailleurs, pour un grand mouvement de la paix, avec des centaines de milliers de manifestants pour un cessez le feu immédiat et la revendication de deux États en Palestine. Contre tous les racismes antisémites et antimusulmans. Si la gauche unie avait pris l’initiative, clairement, il n’y aurait pas eu de place pour des manœuvres (comme le 12 novembre) et des manifestations permettant au « front national » de s’incruster avec la droite.

Avec les unionistes, nous ne cédons et céderons sur rien : reconstruire une NUPES élargie, démocratique, sans reculer sur le contenu de l’excellent « programme partagé » qui lui a servi de base au départ.

 

 

 

 

 

 

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