16 questions 16 réponses pour la pétition union24.fr

La pétition ne regarde que les maires ?

Bien sûr que non. C’est une pétition de masse, elle est pour vous. Lisez là et jusqu’au bout. Elle argumente parce que 82 % des électeurs de gauche veulent une liste commune de la gauche NUPES le 9 juin 2024. Et elle cherche à exprimer cette force. Cette pétition vise à obtenir des dizaines de milliers de signatures pour peser. Signez-la, donnez-lui de la force. Peu à peu elle l’emportera.

 

Il n’y a que 24 maires ?

Bah oui, « 24 maires pour 2024 », c’était simple comme idée. Il n’en fallait pas plus pour lancer un vaste appel de masse. Mais attention les 24 maires ont pris soin de bien représenter entre eux la gauche, il y a 5 maires PCF, EELV, PS et LFI et Générations, et GDS…  ils se sont sélectionnés pour incarner l’unité… ce sont 24 maires de la « France profonde » repartis dans 20 départements. Selon l’IFOP, 76 % du total des électeurs de gauche sont pour une liste commune, 89 % de la FI pour, 9O % du PCF pour 62 % du PS pour, 70 % d’EELV pour ! Signez là c’est déjà unitaire, concrétisez cette force !

 

Il n’y a pour l’heure y a que 4000 signatures ?

 

Ce n’est pas TF1 et BFM qui vont faire la « pub » de cet appel à l’union NUPES. Ils passent leur temps la diviser, à semer le doute… Donc les 24 maires n’ont que vous, les réseaux militants, écologistes, socialistes, communistes, insoumis, c’est « la base » qui est mobilisable, vous, tous ceux qui en ont marre de la division au sommet de la NUPES ont l’occasion de participer à un grand mouvement indépendant pour se faire entendre… si vous signez massivement ça fera du bruit !

 

 

C’est trop tard, c’est foutu

 

Rien n’est jamais joué, rien n’est jamais foutu. Les ennemis de la NUPES aimeraient bien. Ils cherchent à la casser par des bisbilles, des petites phrases ! Défendez la en signant le beau texte des 24 maires. Ça bouge dans tous les partis, la décision du PS est suspendue à un vote militant, pareil pour le PCF qui n’a pas encore voté, et les parlementaires des quatre groupes s’interrogent et font des tribunes publiques, EELV s’interroge, Générations est à fond pour… On est à neuf mois de l’élection. Tout est possible. Les jeunes, Générations , PS LFI EELV ont rédigé un programme commun de campagne de 166 mesures, appuyez activement leur démarche en signant union24.fr

 

Ils se sont disputés dur sur les sénatoriales

Oui et cela n’a pas été glorieux. Cela a été une erreur politique majeure de n’avoir pas fait l’unité aussi pour cette élection du 23 septembre ! Ils auraient pu et dû partager les sièges et les listes à due proportion de ce qu’est la NUPES à cette élection. Aux #senatoriales2023, le total national des voix #NUPES a été de 22 654. Le total des voix #LFI a été de 1980 (8,74% des voix #NUPES). A la proportionnelle, #LFI aurait pu avoir 3,  4 à 5 sénateurs sur les 51 gagnés par la #NUPES (et il y en aurait eu 10 de plus grâce a l’union) La façon de réparer ça c’est une liste commune aux européennes, signez !

 

Il faut attendre les municipales et 2027

 

Surtout pas ! 2026, municipales, il faut des « printemps marseillais » partout ! Un accord national pour des listes communes partout ! Et pour un candidat unitaire en 2027 à la présidentielle, ça se prépare maintenant ! L’unité ça se construit dans le temps et sur le fond. Faire des listes communes c’est aussi apprendre à gouverner ensemble. Se résigner à la division, c’est laisser s’accumuler des difficultés au lieu de travailler à les surmonter. Or chacun sait que nous ne sommes pas dans une situation ordinaire, le danger Le Pen est réel et terrifiant. Il exige des procédures et une unité exceptionnelle de la gauche maintenant !  Signez, signez, signez !

 

Le PC ne veut pas

 

en fait 90 % des électeurs du PCF veulent l’unité dans cette élection. D’ailleurs sinon, ils courent le risque de l’élimination comme en 2019. Ils sont profondément unitaires en fait. Mais il est vrai et c’est légitime, les militants du PCF veulent être respectés dans leur identité ! Or ils n’ont aucun député européen sortant. Il faut la garantie qu’ils en auront, éligibles. Seule une liste unie la leur donnera ! Signez pour eux, signez !

 

Le PS ne veut pas

 

Ce n’est pas exact : le PS est partagé, une majorité pour une liste unie et une minorité importante contre. Si bien qu’il leur est impossible pour cette raison interne de faire une « unité en tête à tête » PS-LFI. Mais si EELV change, le PS changera et il y aura un accord à trois, et s’il y a un accord a trois, il y aura un accord à quatre. Si la pétition prend un caractère de masse, ça pèsera très fort pour tirer les unitaires du PS afin de choisir in fine une liste commune. Signez s’il y avait beaucoup de signatures, le PS serait pour la liste unie !

 

EELV ne veut pas

 

Les Verts n’ont pas vraiment vote sur cette question de façon isolée. Le sujet a toujours été un vote lié a d’autres débats. Mais les « jeunes écolos » sont pour et aussi des figures importantes des Verts comprennent qu’il le faut. La tête de liste leur est proposée. Ils auront des députes en plus.  Et sinon, ils courent le risque, comme les autres qui refuseraient l’unité, d’être sanctionnés par leurs propres électeurs et de perdre l’avantage qu’ils estimaient avoir pour cette élection. Signez ! ça fera partie de la réfléxion de toute la gauche et les écologistes aussi.

 

Y a trop de divergences sur l’Europe

 

Ça c’est totalement faux. Personne n’est capable d‘ailleurs de dire sur quoi il y aurait désaccord sérieux. Il y a deux pages signées en commun dans le « programme partagé » NUPES qui contiennent bien plus que ce qu’il faut pour une campagne commune en mai juin 2024. (regardez le teste ci-dessous)

 

Les jeunes, en travaillant un peu, ont eux aussi cosigné un texte avec 166 mesures. Ils le proposent aux partis « adultes » : c’est donc possible et la voie est tracée ! signez l’appel initié par les 24 maires unis.

 

Le MJCF n’est pas avec les autres jeunes ?

 

C’est vrai et c’est dommage. Mais c’est aisément rattrapable. Là où il y a une volonté unitaire il y a un chemin unitaire. Ils ont été invités par les jeunes écolos, les jeunes socialistes, les jeunes insoumis, les jeunes de Générations… les réunions sont en cours, les jeunes communistes peuvent améliorer le texte s’ils le souhaitent. Signez, les jeunes communistes comme les autres, entendront !

 

Le texte des jeunes n’a pas le soutien des organisations adultes ?

 

Ça se discute justement. Des rencontres sont prévues et beaucoup de débats sont en cours dans toutes les directions NUPES. Votre signature sera utile, elle aidera !

 

Les députés iront dans des groupes différents au PE !

Ça c’est un argument qui ne tient pas. Car ils ont voté à 90% les mêmes textes par-delà leurs groupes respectifs ! et prenons un exemple crucial : ils ont œuvré ensemble à faire adopter par le Parlement Européen un « avis » en faveur de la présomption de salariat contre l’uberisation. C’est une question décisive pour tout le salariat européen. Et un salariat mobilise par l’unité de la gauche au niveau européen, c’est bon pour le combat écologique ! Signez l’appel des 24 pour l’union en 24 !

Y’aura davantage d’élus avec des listes séparées !

Les sondages actuels ne peuvent pas faire entre en ligne de compte les effets différents qu’auront soit une liste unie et soit des listes séparées. Car il y aura un profond effet, déception et la division nourrira l’abstention. Et à l’abstention, il est probable que s’ajoutera un effet sanction de la part des 82 % des électeurs qui voulaient une liste unie. Gare aux diviseurs, la division ne paie jamais dans l’électorat. Encore moins dans la situation politique exceptionnelle dans laquelle on est face à Macron Le Pen. Avec des listes séparées, il y a aussi risques d’élimination comme en 1979 ! Et dans ces conditions les sièges seront redistribués a la droite et à l’extrême droite qui seront en tête.

Par contre l’unité créera, à coup sûr, une dynamique positive, entrainante et permettra surement de gagner plus de sièges pour chaque formation.

Le total des voix de gauche sera supérieur ça suffit à montrer la force de la gauche !

Non, ce pas l’addition des listes éclatées qui va compter, c’est : QUI sera en tête Le Pen ou nous ? Ils font tout dans les gros médias pour présenter le RN comme la « première opposition » à Macron. Il faut renverser cela,

C’est le côté principal de cette élection européenne du 9 juin 2024 : qui sera en tête pour la suite ? Ne laissons pas Le Pen obtenir une victoire de plus. Pas à trois ans des présidentielles ! Montrons la force et l’unité de la gauche, NUPES dès maintenant, pour drainer la victoire, consolider, donner envie, renforcer l’espoir.

 

On n’arrivera pas des dizaines de milliers de signatures, ça ne sert à rien !

 

Au contraire c’est un bel objectif militant de longue haleine qui englobe et dépasse tous les groupes et partis NUPES. C’est l’occasion pour nous à « la base », de dire activement librement, efficacement notre mot. Au lieu de maugréer impuissants, dans notre coin, contre les bisbilles de ceux d’en haut, prenons en main la construction de l’unité, faisons vivre réellement la NUPES en imposant une liste unie aux européennes et pour la suite. Signons ! Mobilisons nos proches, nos ami-e-s, nos camarades, nos voisins, nos collègues, nos familles, et visons 10 000 signatures… et s’il y en 10 000 alors il y en aura plus, le principe d’une pétition c’est boule de neige, signons toutes et tous l’appel initié pour nous par les 24 maires de gauche unie.

 

 

 

 

Il n’y a pas de classe moyenne ni « des » classes moyennes, il y a un grand salariat

Il n’y a pas de classe moyenne ni « des » classes moyennes

Par Gérard Filoche

Publié le 02/02/2012 à 14:55 dans Marianne

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Il n’y a pas de classe moyenne ni « des » classes moyennes
Il est intéressant d’écouter dans l’immense buzz médiatique toutes les imprécisions de vocabulaire de celles et ceux, qui parlent en permanence et à tort et à travers « des classes moyennes ». Parfois ils parlent aussi de « couches » moyennes. Ce n’est pas très nouveau, en fait : Marx était à peine mort que toutes les théories voyaient proliférer une énorme « nouvelle petite bourgeoisie » (sic) de fonctionnaires, d’employés, de cadres, d’ingénieurs, de techniciens et de nouvelles professions libérales au sein d’un secteur « tertiaire » hypertrophié. Mais ils sont totalement incapables de vous les décrire aujourd’hui et de vous dire de quoi il s’agit. Pourquoi ? Parce qu’elles n’existent pas. Concept impossible. Vouloir les définir, c’est la chasse au dahu. C’est facile à prouver : commencez par leur demander pourquoi ils mettent toujours « les classes moyennes » au pluriel. Il y en a donc plusieurs ? Lesquelles ? Enumérez-les ! Dites lesquelles sont plus ou moins « moyennes » ? Qu’est ce qui les distingue ? Vous n’aurez jamais de réponse claire. Il est assez facile de distinguer la classe supérieure : 5% possède environ 50 % du patrimoine. Elle possède l’essentiel de la rente, des actions, elle est maîtresse de la finance et de la propriété des moyens de production, des biens immobiliers et mobiliers. C’est une toute petite partie de la population. Elle vit de l’exploitation du travail des autres et ses intérêts communs sont puissants : augmenter les profits du capital, baisser le coût du travail. Certains y adjoignent les « cadres supérieurs » (appelés parfois à tort « bobos ») mais cela ne rajoute que très peu d‘éléments : les cadres dits « supérieurs » (assimilables aux employeurs, échappant au droit commun du travail) sont moins de 0,2 % des cadres. Il est assez facile de distinguer les « pauvres », encore que… : Là, les instituts prennent, sans s’encombrer, un concept clair, celui du salaire : un chiffre de revenu actuellement inférieur à 900 euros. C’est le « seuil » dit « de pauvreté ». Il y a aujourd’hui, en 2012, plus de 8 millions de personnes concernées. Ce sont 10 % de la population qui possèdent moins de 1 % du patrimoine. Mais ces pauvres peuvent devenir salariés, ou rester pauvres à temps partiels, rester smicards pauvres, puis le chômage n’épargnant aucune catégorie, à nouveau pauvres. Ce n’est donc pas une catégorie isolée, séparée du salariat. Jacques Rigaudiat concluait justement, dés 2005 : « Entre chômage, sous-emploi, incertitude de l’activité et précarité financière des « travailleurs pauvres », c’est très vraisemblablement entre le quart et le tiers de la population, entre 15 et 20 millions de personnes – 7 millions de pauvres et 8 à 12 millions de précaires – qui ont, de façon durable, des conditions de vie marquées du sceau de l’extrême difficulté. »Donc 5 % possèdent 50 % des richesses, et 10 % possèdent moins de 1%. Il reste 85 % de la population qui se partage 49 % des richesses. Est-ce cela la « classe moyenne » ? 85% de la population ? Qu’est ce qu’elle fait, que gagne t-elle, comment vit-elle ? Qu’a t elle de commun et de différent pour la « classer » ? Sont-ce les « indépendants » ? Les actifs « indépendants », les « libéraux », les artisans, les commerçants, les petits et moyens agriculteurs, les petits patrons ne sont plus que 7 % des actifs dans ce pays. 7% ! Est-ce là UNE classe ou DES classes moyennes ? Peu convaincant, car ils sont hétérogènes, bien des artisans s’apparentent à des ouvriers du rang y compris du point de vue du salaire, de même pour les petits exploitants en agriculture ou les petits commerçants. Ces 7 % d’actifs qui ne sont pas salariés sont extrêmement « étirés » socialement, entre le million de petits patrons divers de TPE, le médecin installé à l’acte à honoraire libre, le plombier débordé et l’auto-entrepreneur isolé sans le sou. Toutes les tentatives pour recréer des « travailleurs indépendants » (lois Madelin, Dutreil, Novelli…) contre le salariat ont jusqu’à présent échoué. Il semble bien difficile de voir là une « catégorie » encore moins une « classe » comme concept pertinent. Que veut dire l’expression banalisée sans définition : « les classes populaires » ? À ce propos et en incise, pourquoi les mêmes qui parlent des « classes moyennes » parlent-ils de « classes populaires » au pluriel ? Y a t il plusieurs « classes populaires » ? Ce dernier concept apparaît aussi imprécis que l’autre. A moins que vous ne vous entêtiez dans le flou, involontairement où volontairement, essayez de dire une seule fois combien il y en a et comment vous décrivez « LES » classes populaires ? Qu’est ce qui distingue les « classes populaires » des « classes moyennes » ? Est-ce que « les » classes populaires sont les pauvres et les classes moyennes pas populaires ?Le salariat représente 93 % de la population active occupée Et en plus, il faut rajouter les jeunes qui sont des salariés en formation, les chômeurs qui sont des salariés privés d’emploi, les retraités qui vivent en direct des cotisations des salariés. C’est le salariat qui règne, qui domine sociologiquement dans ce pays : la caractéristique est claire, unique, c’est la grande masse de tous ceux qui n’ont que leur force de travail à vendre. Les salariés vendent, certes, cette force de travail plus ou moins cher, selon leur âge, qualification, carrière, selon le rapport de force social. Est-ce que cela les différencie en classes ? Alors doit-on chercher à distinguer une « classe moyenne » au sein du salariat ? Les salaires sont compris entre 900 euros et 3 200 euros, avec un salaire médian à 1 580 euros. 97 % des salaires sont en dessous de 3 200 euros. L’écart entre la moyenne des salaires des cadres et la moyenne des salaires des ouvriers et employés est réduit à 2,3. Comment cerner là, caractériser, à ce niveau, une « catégorie », une « couche », une « classe » moyenne… dont le salaire, le statut bouge et bougera tout au long de la vie et de la carrière ? Sont-ce les cadres ? Il y en a 3,5 millions. Les cadres sont des salariés comme les autres : avec une dégradation de leur statut et de leurs conditions de travail, ils n’échappent pas au lot commun. Les « grilles de notations » et les « paramètres personnalisés » aboutissent à un barème à la « tête du salarié », et à un système des « primes individuelles », qui finit par toucher les cadres assimilés au reste du salariat au plan de la rémunération. Ils ont aussi des horaires légaux communs au reste du salariat, même si les lois les concernant sont plus souvent violées, contournées. Plus de 40 % d’entre eux sont ainsi passés en dessous du plafond de la Sécurité sociale. L’écart de la moyenne des salaires des cadres avec celle des employés et ouvriers a été abaissé progressivement de 3,9 en 1955 à 2,3 en 1998. Alors que les employeurs se targuent, par tous moyens, d’individualiser les salaires, en fait, ils les ont « compactés » ! S’il convient de suivre, avec l’Insee, le rapprochement du « bas des cadres » et du « haut des employés et ouvriers », par contre, les cadres ne sont pas correctement catégorisés par la statistique publique comme ils devraient l’être, c’est-à-dire, séparés entre « cadres » et « cadres supérieurs ». Ce serait pourtant une clarification parmi les plus nécessaires car elle porte sur les critères de définition du statut : le contrat, le salaire et la relation de subordination. Les cadres supérieurs sont assimilables au patronat. Mais ils sont peu nombreux et ne renvoient pas plus que le « patronat » à une réalité homogène. Avec le développement de la sous-traitance et une soumission à des donneurs d’ordre résolument du côté du CAC 40, les petits patrons sont loin d’être tous du niveau « cadre supérieurs » et subissent un sort aléatoire proche du salariat. Il existe en France, une pyramide d’entreprises avec une base très large : en haut, mille entreprises de plus de mille salariés (3,4 millions de travailleurs) produisent près de 50 % du PIB ; en bas, un million d’entreprises de moins de dix salariés (3,4 millions de travailleurs également) ont une existence précaire et la moitié d’entre elles dépendent d’un seul donneur d’ordre. Les fonctions d’encadrement ont diminué considérablement au profit des tâches de production. Il n’y a plus de coupure entre les « cols blancs » et les « cols bleus » comme dans le passé. L’emploi non qualifié augmente sans que l’emploi des moins diplômés reprenne : le paradoxe renvoie à un « déclassement » des diplômés, qui, à un niveau de diplôme donné, occupent des emplois de moins en moins qualifiés. Quant aux cadres, ils connaissent eux aussi des périodes plus importantes de chômage, l’épée de Damoclès du Pôle emploi règne sur eux comme sur les autres. Le chantage à l’emploi est répandu du haut en bas du salariat « La dégradation des conditions de travail est générale, l’urgence réduit la prévisibilité des tâches et les marges de manœuvre pour les réaliser. La charge mentale s’accroît et la pénibilité du travail » Pour une majorité croissante des salariés, les pressions s’accroissent : augmentation du rythme de travail, multiplication des contraintes, mécanisation plus forte, rapidité d’exécution, demandes multiples, vigilance accrue, contrôle hiérarchique permanent, stress…Sont-ce les « catégories intermédiaires » ? L’INSEE utilise depuis des lustres une catégorie très contestée : celle dite des « catégories intermédiaires ». Mais qu’est ce qu’une « catégorie intermédiaire » ? Le haut du salariat ? Où commence t-il ? Aux contre-maîtres ou ETAM ? Le bas des cadres ? À quel niveau les distinguent-on ? Tous les cadres ? L’INSEE y classe tous les enseignants, la plupart des fonctionnaires à partir des catégories « B ». Pourquoi les catégories « B » seraient-elles « classes moyennes » ? Les instituteurs, les infirmiers, les contrôleurs des impôts, du travail, ne sont pourtant pas plus « classes moyennes » que les maîtres d’hôtel, les agents de maîtrise, les VRP, ou les techniciens… Sont-ce des employés par opposition aux ouvriers ? Sûrement pas puisque même l’INSEE les décompte en dehors des « catégories intermédiaires » ! Lesdites « catégories intermédiaires » avaient une telle disparité interne que depuis fort longtemps les experts contestaient ce classement incertain de l’INSEE. En même temps, ces catégories ont gagné une homogénéité avec les autres salariés qui pousse à ne pas les traiter séparément. Ainsi dans la fonction publique, dans le passé, il y avait quatre catégories A, B, C, D. On analysait ainsi les missions : les « A » cadres concevaient une lettre, les « B » moyen cadres rédigeaient la lettre, les « C » agents exécutants frappaient la lettre, les « D » manœuvres, l’expédiaient. Cela a été bousculé puisque les A frappent la lettre à l’ordinateur et appuient sur la touche du clavier pour l’expédier. La catégorie « D » a été supprimée un peu comme ont disparu les troisièmes classes dans les trains. Mais toutes les catégories forment le même train, la différence est souvent devenue de niveau salaire. Non seulement le salariat s’est imposé numériquement et proportionnellement au travers du siècle écoulé, mais il s’est homogénéisé, de façon encore relative mais réelle.Certains disent parfois sans bien réfléchir : « Le nouveau prolétariat, ce sont les femmes ». Ou bien encore : « Ce sont les immigrés » Ou bien « Ce sont les précaires ». Mais cela n’a pas de sens théorique sérieux, global de découper des catégories, sexes ou générations. C’est du point de vue commun et supérieur de la place dans le procès de production et du niveau de vie qu’il faut raisonner. Bien qu’il s’obstine dans la recherche d’une hypothétique « classe moyenne » finalement aussi introuvable que le centre en politique [2], Louis Chauvel pose une question cruciale : « Le portrait social d’une classe moyenne heureuse correspond-il aujourd’hui à 70 % de la population, ou plutôt à 10 % ? Tout semble indiquer que ce noyau central, idéalement situé aux environs de 2 000 euros de salaire mensuel, doit faire face à un vrai malaise et connaît, comme par capillarité, la remontée de difficultés qui, jusqu’à présent, ne concernaient que les sans-diplôme, les non-qualifiés, les classes populaires. À la manière d’un sucre dressé au fond d’une tasse, la partie supérieure semble toujours indemne, mais l’érosion continue de la partie immergée la promet à une déliquescence prochaine [3]. »Non. Ni par la création manquée d’indépendants non-salariés. Leur nombre régresse malgré les lois qui les poussent à exister (auto-entrepreneurs, etc..). Ni par les 3 millions de précaires (CDD, intérims, saisonniers…). Ni par les 3 millions de temps partiels. Ni par les 5 millions de chômeurs. Evidemment, c’est énorme actuellement. Cela frappe surtout les jeunes, les femmes, les immigrés : c’est donc imposé politiquement, en tout cas, ça ne vient pas des nécessités de la production. Le « précariat » c’est comme les termites, ça creuse les pieds du meuble du CDI, mais il reste un meuble. 85 % des contrats restent des CDI. Entre 29 ans et 54 ans, 97 % des contrats sont des CDI. Le CDI reste majoritaire de façon écrasante avec Code du travail, statut et/ou conventions collectives. En 25 ans, la durée moyenne du CDI s’est allongée de 9, 6 ans à 11, 6 ans. Les classes moyennes, sont-ce les « employés » et « ouvriers » ? La distinction entre ouvriers et employés, fondamentale au début du xxe siècle, s’est estompée. Tout comme celle avec la majorité des cadres. Le « col bleu » avait les mains dans le cambouis, en bas, à l’atelier ; le « col blanc » avait des manches de lustrine, en haut, dans les bureaux : le premier semblait défavorisé par rapport au second. Ce clivage si net tout au long du siècle précédent dans l’imagerie populaire, syndicale et politique, a laissé place à un brassage des conditions de travail, de l’hygiène et de la sécurité, des conventions collectives, des salaires et des statuts : aujourd’hui, l’ouvrier peut encore porter des bleus de travail mais œuvrer dans un environnement aseptisé de machines informatisées dont la maîtrise exige un haut niveau de qualifications, tandis que l’employé peut effectuer des services sales, déqualifiés et mal payés, notamment dans l’entretien ou l’aide aux personnes. Il y a environ 9 millions d’employés, et 6 millions d’ouvriers dont 2 millions d’ouvriers d’industrie. Ils sont l’essentiel du salariat selon l’INSEE. Mais des ouvriers d‘industrie qualifiés gagnent plus que des enseignants débutants. Des employés de restauration rapide gagnent nettement moins que des ouvriers. Et en fait, il est impossible de les séparer des autres « catégories intermédiaires » de l’INSEE. L’ensemble du salariat est une sorte de toile tissée avec des mailles qui vont bas en haut et de haut en bas. Il y a plus de points communs que de différenciations. On ne vit pas de la même façon à 900 euros, 1 800 euros ou 3 200 euros, mais on est placé devant les mêmes problèmes fondamentaux d’emploi, de droit, de salaire. Et c’est l’existence qui détermine la conscience et qui fait le lien « objectif ». Reste à ce qu’il soit perçu subjectivement : cela ne peut se faire qu’avec une vision claire de la réalité pleine et entière du salariat. Qui la développe ? Il reste encore une drôle de théorie : ce seraient les salariés qui seraient la « classe moyenne » Ce serait là une « grande couche moyenne centrale » qui, en travaillant normalement, retirerait les bienfaits du système (capitaliste) et n’aspirerait qu’à en bénéficier davantage. Ce serait les 24 millions d’actifs qui composeraient la classe moyenne, par opposition à ceux qui ne le sont pas comme les pauvres et les chômeurs. Parfaitement intégrés au marché, les salariés n’y seraient pas hostiles et le voudraient au contraire plus efficace, plus rentable. L’horizon du système capitaliste étant indépassable, il suffirait donc de s’efforcer de mieux faire marcher l’industrie, le commerce, les échanges, l’innovation, la production, la compétition, afin de satisfaire les souhaits fondamentaux de cette «grande couche moyenne » salariée qui ne demande que cela. La fonction politique de cette analyse est évidente : elle revient à marginaliser tout projet socialiste de gauche, à le réduire à la charité compassionnelle d’une part, à une recherche de rentabilité rationalisée d’autre part, saupoudrée d’une légère redistribution des richesses en « constatant » qu’il n’y a plus de force sociale désireuse d’un vrai changement. Finie la révolution et vive la classe moyenne et ses aspirations sacrées ! Les cris, aussi imprécis que pervers, abondent : pas touche aux classes moyennes (sic) ! Et les commentateurs se répandent en assimilant dans la confusion celles-ci à la fois aux riches, à la fois aux salariés du haut de l’échelle. Appeler le « salariat » « classe moyenne » n’a plus aucune autre fonction conceptuelle et descriptive, c’est une manipulation idéologique. C’est contribuer à l’empêcher de prendre conscience de son immense force collective et de ses revendications légitimes communes Cette « théorie » a un immense « hic » : « masquer ce nouveau nom du prolétariat que je ne saurais voir »… elle n’explique pas les mouvements sociaux d’ensemble du salariat de mai 68 à nov-déc 95, de 2003 à 2006 ou 2010… Cela n’explique pas les revendications sociales communes pour les salaires, retraites, durée du travail… ni l’acharnement des employeurs à ne plus vouloir de durée légale commune du travail ni de Smic, à préférer des « retraites à la carte » et des « contrats » plus que des « lois ». Car si le Medef veut diviser, atomiser, rendre invisible le puissant et hégémonique salariat c’est qu’ils ont bien peur de cette force sociale, la plus importante la plus décisive du pays, qui est la classe qui produit de façon dominante les richesses et qui n’en reçoit pas la part qu’elle mérite. En vérité, donc, non il n’y a pas de couche moyenne avec ou sans « s ». Il y a deux classes fondamentales, celle minoritaire et dominante de l’actionnariat et du patronat, et celle majoritaire et dominée du salariat. Les conséquences politiques de cette analyse sont évidemment énormes. A lire : Salariés si vous saviez…

Ed La Découverte. GF 2006 (et de nombreux autres articles depuis 20 ans dans la revue mensuelle D&S)

Du progrès fragile et de la démocratie impérative

Confronté à un examen médical dans le bel hôpital parisien de Cochin,  une coronarographie,  on ne peut que s’éblouir  d’une pareille technicité au service de la survie : un plateau de sept soignants hautement formés et motivés, une sonde qui passe par l’artère du bras, franchit l’épaule, remonte au cœur,  examine de l’intérieur, tout cela se voyant en direct sur l’écran et permettant de détecter l’insuffisance cardiaque que l’on peut encore traiter chez un homme de 77 ans. Le progrès existe. Il a fallu de longs siècles mais les humains ont appris à prolonger leur vie, et à se protéger relativement de la douleur. Pour n’être pas victime de la gangrène, on n’ampute plus un membre, sans autre anesthésiant qu’un bâton dans la bouche.  Pour faire face à la « maladie de la pierre », on n’est plus obligés, comme Montaigne, de traverser l’Europe à cheval, il existe des lithotripteurs. Dans un pays comme la France, l’espérance de vie a doublée depuis deux siècles, même si elle est reste limitée à 63 et 64 ans en bonne santé.Oui, mais qui a accès à un plateau d’examens médicaux dans de bonnes conditions à Cochin ?  Qui bénéficie d’une Sécurité sociale,  basée sur des cotisations elles-mêmes basées sur le travail, et qui en assurent la gratuité ?  Qui est sûr que cette qualité et gratuité de soins restent un acquis ? Qui jouit d’une retraite décente quand il ne peut plus travailler ? Qui est certain que le « progrès » à tendance à s’étendre à tout le pays et à l’humanité  entière ? Plus personne ne peut être sûr.Impossible d’être certain qu’une guerre nucléaire ne va pas anéantir tout ça. Ou une tragédie climatique. Le système capitaliste broie régulièrement le meilleur de lui-même. Ce qu’il a laissé conquérir par ses travailleurs, il le remet sans cesse en cause. Chaque année il produit 2000 milliards d’armement, plus que ce qu’il dépense pour la recherche en santé contre les pandémies ou pour la défense de la planète contre le réchauffement climatique. Il engendre des revendications qu’il ne peut satisfaire et aggrave les inégalités, le chômage, la misère. Un jour il permet le droit à l’avortement et le lendemain il remet en cause le droit des femmes de disposer de leur corps. Le capitalocène est un système basé sur la compétitivité, sur la recherche du profit maximum donc forcément orienté vers la guerre pas vers la défense de la nature et de l’environnement. Il est capable de toutes les barbaries puisque c’est déjà un système où huit hommes possèdent autant que la moitié de l’humanité et qu’il combattent tout mécanisme de redistribution, de partage, de marche à l’égalité, à la fraternité, à la liberté. L’idéologie dominante n’est pas celle des exploités, des opprimés, du progrès mondial, mais celle des possédants, de la loi des plus forts, des conservateurs, des obscurantismes, des fanatismes, des nationalismes. Alors a t on une chance de « progrès » pour les huit milliards d’humains soumis à des systèmes de production incontrôlés et pillards, à des développements brutaux et inégaux. Le chaos ne va t il pas l’emporter ? Les impérialismes vont-ils briser la planète ? Pourtant les idées de socialisme, de société de partage, de redistribution des richesses, de défense de la nature, de fraternité internationaliste, existent bel et bien, dans tous les pays, et elles sont mêmes puissantes, mais quelles sont leurs chances de l’emporter contre la barbarie ? La réponse est que ce n’est la tâche ni d’un Dieu ni d’un César, mais d’une force sociale assez puissante, assez organisée, assez consciente, assez décisive dans le processus de production des richesses pour renverser le capitalisme et l’organiser autrement. Il n’y en a qu’une : le salariat.Depuis 30 ans le salariat monte sur la planète. Ce sont ceux qui n’ont que leur force de travail à vendre et conquièrent des droits en la défendant et en la vendant. 54 % des actifs sont salariés, un milliard de plus ces dernières décennies. Dans une société avancée comme la France, on est passés de 3 millions de salariés en 1910 à 30 millions en 2010, soit 90 % des actifs. C’est ce salariat qui est désormais la classe majoritaire. Point besoin de parler confusément de « classes moyennes » (sic) de « couches populaires », il n’y a qu’une classe fondamentale : il y a un « bas » un « milieu » et un « haut » du salariat, de l’ingénieur au balayeur, de la ville à la campagne, tous n’ont que leur force de travail à vendre. Leur intérêt de classe est le même. Leur salaire médian est autour de 1800 euros, et 90 % d’entre eux gagnent moins de 3200 euros. Seul le travail crée de la valeur.  C’est ce salariat qui est le mieux placé, objectivement, pour exiger un bon salaire, des bons services publics en santé, en école, en logement, en transports, en énergies, en défense de l’environnement. C’est ce salariat qui a conquis des institutions représentatives dans les entreprises,  une fonction publique indépendante,  des comites d’entreprise,  des délégués du personnel, des délégués syndicaux,  une médecine du travail, une justice du travail, une inspection du travail, un code du travail, des conventions collectives,  une sécurité sociale et des retraites basées sur le salaire. C’est ce salariat qui produit toutes les richesses et n’en reçoit pas la part qu’il mérite il a intérêt à une République démocratique, sociale, laïque, écologique, féministe, internationaliste, pacifique, L’existence exploitée détermine tôt ou tard la conscience qui rejette cette souffrance. Le salariat n’a pas forcément conscience au jour le jour de sa force, mais dans l’action il est capable de progresser de façon phénoménale et à toute vitesse, cela s’est vérifié à chaque grande mobilisation, en mai 68 en France et partout dans le monde. Et il y en a toujours, il y a des cycles du mouvement des masses : c’est d’eux dont dépend le progrès, son développement, sa confirmation. C’est aux partis de gauche, syndicats, associations d’incarner le salariat, d’agir pour son unité, condition de sa conscience et de sa force. La gauche est pluraliste comme le salariat. Elle doit être démocratique pour que le grand salariat se retrouve en elle. Fi des appareils et des chapelles, le socialisme est une idée neuve, il ne peut pas y avoir de socialisme dans un seul pays, ni sans démocratie, mais pas non plus de démocratie sans un nouveau grand parti démocratique de masse. La démocratie sera l’oxygène de la société future de partage et de paix. Et du progrès.

S’OPPOSER A LA DISSOLUTION DES SOULÈVEMENTS DE LA TERRE DEFENDRE LES DROITS DÉMOCRATIQUES

Communiqué de la Gauche Démocratique et Sociale

S’OPPOSER A LA DISSOLUTION DES SOULÈVEMENTS DE LA TERRE

DEFENDRE LES DROITS DÉMOCRATIQUES

 

La dissolution administrative du collectif « les Soulèvements de la Terre » décidée par le conseil des ministres vise à intimider les mouvements sociaux et écologistes. Cette décision dévoile la nature de plus en plus autoritaire du gouvernement.

 

La manifestation du 25 mars à Sainte-Soline en est le prétexte. Or les faits, les reportages démontrent bien que c’est le ministère de l’intérieur, en cohérence avec la tactique du contact et de la nasse, qui a volontairement utilisé la provocation et la répression pour casser ce mouvement et cette manifestation. Ce gouvernement a déjà utilisé ces méthodes autoritaires contre les gilets jaunes et les mouvements contre la retraite à 64 ans.

 

S’il y a des actes ou agissements répréhensibles par la loi, il revient à la justice d’engager des procédures, dans le respect des droits de la défense. Or la veille de l’adoption du décret, plusieurs membres du mouvement ont été placés en garde à vue, après l’intervention d’agents de l’antiterrorisme. Le ministère de l’Intérieur s’est engagé dans une bataille contre un pseudo « écoterrorisme ». Son but est de diviser les mouvements de contestation, d’empêcher les mobilisations écologiques, les manifestations climat.

 

Nous refusons la remise en cause de la liberté d’association, de manifestation, d’expression.

Nous appelons à rejoindre les rassemblements dénonçant la dissolution administrative des Soulèvements de la Terre.

 

Nous proposons la constitution d’un front unitaire et démocratique en défense du collectif « les soulèvements de la terre » pour la libération immédiate de ses membres mis en cause.

 

 

 

Esteban Volkov, petit-fils de Léon Trotsky, vient de mourir à 97 ans. – Netflix et Poutine unis dans la calomnie anti-Trotsky

Esteban Volkow, dit Sieva, vient de mourir à l’âge de 97 ans. Sa vie a été déterminée par son grand-père, puisqu’il était le fils de Platon Volkow, mort en Sibérie en 1937, et de Zinaida Volkowa, suicidée à Berlin en janvier 1933, elle même fille de Léon Trotsky, assassiné en août 1940, et d’Alexandra Lvovna, première épouse de Léon Trotsky, tuée en Sibérie en 1937. Son enfance a donc été ballotée par l’exil et ce sont finalement Alfred et Marguerite Rosmer qui le conduisent à Mexico, où il fréquentera son grand-père et Natalia Sedova et connaîtra le traumatisme de l’assassinat d’août 40 et des tentatives qui l’ont précédé.

Toute sa vie, Sieva devenu Esteban a fièrement assumé le rôle de « petit-fils de Trotsky ». Trotskyste lui-même ? Non affilié, et révolutionnaire, partisan de l’émancipation humaine, et lié aux descendants d’autres familles d’exilés ayant abouti au Mexique, celles d’Andreu Nin ou de Victor serge. Tel ou tel courant le présentera sans doute comme ayant été son « partisan », mais il est resté en fait un héritier digne et sourcilleux de la tragédie du XX° siècle que nous payons en ce XXI°.

Nul doute qu’il n’était pas réductible à cette figure du « petit-fils » qu’il assumait intégralement. Esteban Volkow fut un véritable mexicain et a vécu sa vie au Mexique, jusqu’assez tard dans ce qui avait été la maison de Trotsky qu’il a ensuite gérée comme musée. Chimiste de réputation internationale, il a contribué de manière importante à la mise au point de la pilule contraceptive et de ses procédés de production.

Netflix et le gouvernement russe unis dans la calomnie anti-Trotsky

Esteban Volkov, petit-fils de Trotsky, et le Centre d’Etudes, de Recherches et de Publications-CEIP León Trotsky d’Argentine et du Mexique se sont élevés, aux côtés de dizaines de personnalités, pour réfuter les calomnies portées contre le révolutionnaire russe dans la série « Trotsky », retransmise par Netflix depuis 2017

 

Netflix, entreprise étatsunienne, propose la série Trotsky, réalisée par Alexander Kott et Konstantin Statsky. Rossiya 1, la chaîne la plus regardée en Russie, l’avait sortie en novembre 2017. Pour le centenaire de la Révolution russe, Vladimir Poutine, président de la Fédération de Russie et contrôlant, par conséquent, Rossiya 1, avait choisi Trotsky comme sujet principal de cette superproduction en huit épisodes.

Compte-tenu du passé stalinien de Poutine, à la tête du KGB, et du fait qu’il ne cache pas sa nostalgie à l’égard de la Grande-Russie tsariste, on ne pouvait attendre qu’une telle série présente de façon honnête et objective la personnalité et l’œuvre de celui qui, avec Lénine, a été le plus important dirigeant de la Révolution d’Octobre. En ressortant les vieilles calomnies anti-Trotsky, quel est l’objectif de Poutine ? Pourquoi falsifier le passé et les révolutionnaires, alors que le pays a avancé dans la restauration capitaliste et que rien ne semble s’opposer à la nouvelle bourgeoisie russe ni à Poutine, au pouvoir depuis dix-huit ans ? Pourquoi Netflix, dont l’audimat se compte en millions d’abonnés, a choisi de retransmettre cette série ?

Voici quelques-unes des falsifications qu’elle véhicule :

  1. D’après les réalisateurs, il ne s’agit pas d’un documentaire, même s’ils affirment s’être inspirés de faits réels pour écrire Trotsky. Cependant, la série a recours aux mêmes falsifications qu’utilisaient les impérialistes, le tsarisme ou le stalinisme pour calomnier Trotsky et ses partisans alors qu’avançait la bureaucratisation de l’URSS. Toutes ces calomnies ont été réfutées par la Commission Dewey réunie spécialement à Mexico, en 1937, et constituée de personnalités indépendantes.
  2. A l’encontre de la vérité historique et de la vision que pouvaient avoir de lui, à l’époque, ses proches mais y compris des personnes ne lui étant pas favorables, Trotsky est dépeint comme une personnalité égocentrique, messianique, autoritaire, inhumaine, envieuse, autant de caractéristiques qui seraient liées à ses origines juives, sans cesse rappelées dans la série. Au cours de sa vieillesse, il souffre d’hallucinations, étant rongé par le remord des crimes qu’il aurait commis pendant la révolution.
  3. Jacson (Ramón Mercader) est présenté comme un stalinien honnête, doté d’esprit critique et de sensibilité, et qui établit un rapport réel avec Trotsky dans l’idée d’écrire sa biographie, ce à quoi ce dernier accède, dans la série. En réalité, Trotsky ignorait tout des liens de Jacson avec le stalinisme. Leurs rapports n’ont jamais été que très brefs, toujours sur demande de Mercader qui, en tant qu’agent du NKVD, avait été chargé par Staline d’assassiner Trotsky.
  4. Au cours des deux révolutions russes la série montre des ouvriers, des paysans, des soldats, le peuple russe, manipulés par des dirigeants ambitieux tels que Lénine ou Trotsky et qui prennent des décisions en leur nom. En 1905, les soviets sont présentés comme de simples théâtres pour y faire entendre leurs discours. La lutte de classes n’existe pas. Tout est affaire d’affrontement et de vengeance entre individus. Mais la révolution de 1917 n’a pas seulement été l’un des mouvements de masses les plus importants et radicaux de l’histoire contre le tsarisme, mais également contre le gouvernement bourgeois provisoire et face à la contre-révolution de Kornilov. Elle a restauré le pouvoir des soviets, qui ont vu la participation centrale des exploité.es et des opprimé.es, dirigés par le Parti Bolchévique. La série, à l’inverse, présente la révolution comme une lutte mesquine pour le pouvoir, et les révolutionnaires comme des psychopathes manipulateurs.
  5. La série ment également sur les rapports de Trotsky aux femmes. Une grande bolchévique comme sa première épouse, Alexandra, est dépeinte comme une femme au foyer que Trotsky aurait abandonné avec ses deux filles. Natalia, sa seconde épouse, conquiert Trotsky grâce à sa beauté. Après leur mariage, elle se transforme, tour à tour, en sa secrétaire personnelle et, elle aussi, en femme au foyer, absorbée par l’éducation de ses enfants dont Trotsky ne s’occupe aucunement et qu’il utilise y compris comme bouclier humain lors d’une tentative d’assassinat qui aurait eu lieu pendant la révolution. Alors que la série occulte le rôle du stalinisme dans la mort de ses quatre enfants, leur disparition serait l’une des fautes qui poursuivent Trotsky jusqu’à son propre assassinat. Larissa Reisner est présentée comme une femme fatale, accompagnant (sexuellement, surtout) Trotsky dans le train blindé et faisant office de secrétaire particulier. La réalité est tout autre. Alexandra Sokolovskaïa était la dirigeante du premier cercle marxiste auquel Trotsky adhéra alors qu’il avait seize ans. Tous deux furent déportés en Sibérie avec leurs deux filles. C’est Sokolovskaïa qui aida Trotsky à s’évader, choisissant, elle, de rester en Russie. Natalia Sedova appartint au commissariat soviétique à l’Education après la révolution. Les enfants soutinrent toujours le militantisme de leurs parents, notamment Léon Sédov, l’un des principaux collaborateurs de Trotsky et l’un des principaux organisateurs de l’Opposition de Gauche russe dans la clandestinité. Larissa Reisner, elle, écrivit à propos de la guerre civile, mais pas à partir du train blindé. Elle joua un rôle important au sein de la Cinquième armée, tout comme au cours de la révolution. Elle s’embarqua avec la flotte de la Volga, prit part aux combats et participa à la révolution allemande. Ce fut l’une des principales militantes bolchéviques jusqu’à sa mort, en 1926.
  6. La relation entre Trotsky et Lénine, avant la révolution, est présentée comme une lutte entre égos faite d’accords de circonstances, au point où Lénine tente de faire chuter Trotsky d’un balcon. Staline, dans la série, est présenté quant à lui comme le secrétaire de Lénine. Au moment de l’insurrection d’Octobre, Lénine, caché, ne refait son apparition que lorsque Trotsky se demande où il se trouve, et après la victoire de la révolution. La série occulte le fait que Lénine menait un combat au sein du Comité Central du Parti bolchévique à propos du lancement nécessaire et immédiat de l’insurrection, de même que son accord avec Trotsky au sujet du fait qu’il s’agirait-là du début de la dictature du prolétariat. On songera au fait que, historiquement, à la suite de la prise du pouvoir et en attendant l’ouverture du Congrès des soviets, c’est côte-à-côte que Lénine et Trotsky règlent les derniers détails. Pour ce qui est de la véritable vision de Lénine au sujet de Staline, il suffit de lire son « Testament », ainsi que ses critiques au sujet des méthodes « chauvinistes grand-russes », à propos de la question géorgienne.
  7. Au cours des négociations de Brest-Litovsk avec l’Empire allemand, Trotsky, dans la série, donne l’ordre de distribuer des tracts subversifs afin de provoquer une révolte contre le Kaiser, ce qui aurait échoué et justifié l’offensive allemande. Les principaux opposants à la signature du traité sont, toujours dans la série, les anciens généraux tsaristes et non, comme cela a été véritablement le cas, les Socialistes Révolutionnaires. Jacson accuse Trotsky de ne pas avoir défendu la Russie avec les Cosaques. La série oublie que c’est le Congrès des Soviets qui avait approuvé le décret sur la paix pour mettre fin à la guerre, l’une des grandes revendications des masses ; et que face à l’absence de réponse des alliés la Russie soviétique dut engager des négociations avec l’Allemagne où la social-démocratie appuyait le bellicisme de son propre impérialisme. Lénine autant que Trotsky voyaient les négociations de Brest-Litovsk comme une tribune en faveur de la révolution mondiale, notamment de la révolution en Allemagne.
  8. Lorsqu’on lui demande de construire l’Armée rouge, Trotsky est présenté, depuis le train blindé, comme une sorte de rock-star, à mi-chemin entre le sex-symbol et l’assassin qui approuve même un massacre de civils au cours d’un enterrement. En 1918, selon la série, une révolte se prépare à Kronstadt. La révolte, en tant que telle, éclata en 1921. Dans la série, cependant, Trotsky invente des accusations et présente de faux témoins pour faire appliquer la peine de mort contre son dirigeant. Pour ce qui est de la guerre civile, la série ne fait mention que de l’offensive tchèque sans parler des quatorze armées impérialistes et des armées blanches pro-tsaristes contre lesquelles l’Armée rouge dut combattre sur l’immensité du territoire soviétique. Aucune mention, non plus, des années de blocus économique impérialiste, ou du fait que la flotte ennemie a pu n’être qu’à 30 km de Petrograd. Pour ce qui est de Kronstadt il faut prendre en compte que la composition de la garnison, lors de la révolte, était absolument distincte de celle de 1917, lorsque ses marins avaient été l’avant-garde de la révolution. L’une des confirmations du caractère contre-révolutionnaire de la révolte était le fait qu’elle avait été annoncée, deux semaines à l’avance, dans la presse internationale et les gazettes d’exilés russes. Trotsky signalera également la réaction haussière des marchés lorsque fut faite l’annonce du soulèvement de Kronstadt.
  9. A aucun moment la série ne fait mention de la fondation de la III° Internationale. Trotsky déclare cependant que son objectif est de conquérir le monde. Pour la série, toujours, l’histoire de la révolution s’achève avec la mort de Lénine. L’Opposition de Gauche, la contre-révolution stalinienne, les procès de Moscou, rien de cela n’existe, pas plus que l’arbitraire carcéral, les tortures, les déportations en camps de concentration et les assassinats que subirent la quasi-totalité des dirigeants bolchéviques de la révolution et toutes celles et tous ceux qui étaient soupçonnés de défendre une ligne oppositionnelle vis-à-vis du régime bureaucratique. Renversant l’histoire, tous les crimes sont attribués à Trotsky, y compris l’exécution des Romanov. Il s’agit d’un énième mensonge puisque ni Lénine ni Trotsky ne donnèrent cet ordre.
  10. Ce n’est qu’au dernier épisode qu’apparaît la véritable identité de Jacson. Trotsky, malade, demande à Jacson d’entrer chez lui alors qu’un télégramme en provenance de l’ambassade du Canada l’informe de son identité. Trotsky frappe alors Jacson-Mercader, qui lui répond en saisissant un piolet qui est pendu au mur de la chambre où se trouvent les deux hommes. La série suggère par conséquent que c’est le révolutionnaire russe qui aurait tout fait pour que le soi-disant journaliste l’attaque. La manière dont l’attentat est présenté est donc une nouvelle falsification. En effet, on sait que Staline souhaitait faire assassiner Trotsky avant le début de la Seconde Guerre mondiale dans la mesure où il savait qu’un conflit aurait pu engendrer une révolution politique en URSS. C’est pour cette raison et en fonction de la perspective de la révolution sociale dans les pays capitalistes que Trotsky et ses partisans fondèrent la IV° Internationale. On songera au fait que lors d’une entrevue, en août 1939, entre Hitler et l’ambassadeur français à Berlin, Coulondre, le Führer avait déclaré qu’en cas de guerre, « le vrai gagnant [serait] Trotsky ». C’est le nom que les bourgeoisies impérialistes avaient donné au spectre de la révolution. La série, par conséquent, est la justification de l’assassinat du soi-disant monstre appelé Trotsky.

Les signataires de ce texte rejettent ces falsifications de l’histoire qui tentent d’enterrer l’évènement le plus important du point de vue de la lutte pour l’émancipation des classes laborieuses de l’exploitation et de l’oppression capitalistes, de même qu’elles cherchent à occulter le legs de ses principaux dirigeants.

Esteban Volkov, petit-fils de Trotsky
Centre d’Etudes, de Recherches et de Publications-CEIP León Trotsky (Argentine-Mexique)

Premiers signataires

Fredric Jameson, Duke University (Etats-Unis); Slavoj Žižek, philosophe; Mike Davis, écrivain, UCLA, (Etats-Unis); Nancy Fraser, sociologue, New School for Social Research, New York (Etats-Unis); Edwy Plenel, journaliste (France); Isabelle Garo, philosophe (France); Sebastian Budgen, éditeur, Verso (Londres-New York); Michel Husson, économiste (France); Catherine Samary, économiste, Université Paris Dauphine; Stathis Kouvélakis, philosophe, King’s College (Angleterre); Tithi Bhattacharya, professeure d’histoire, Purdue University (Etats-Unis); Michael Löwy, directeur de recherches émérite au CNRS (France); Cinzia Arruzza, New School for Social Research, New York (ETATS-UNIS); Jean-Jacques Marie, historien (France); Andrea D’Atri, militante féministe, fondatrice de Pan y Rosas (Argentine); Bhaskar Sunkara, rédacteur en chef de Jacobin (Etats-Unis); Suzy Weissman, professeur de science politique, Saint Mary’s College, Californie (Etats-Unis); Ricardo Antunes, sociologue, Universidad Estadual de Campinas, Unicamp (Brésil); Robert Brenner, historien, Directeur du Centre d’histoire sociale et d’histoire comparée, UCLA (Etats-Unis); Alex Callinicos, professeur d’études européennes, King’s College (Angleterre)
Christian Castillo, sociologue, Université de Buenos Aires et Université Nationale de La Plata (Argentine); G. M. Tamás, philosophe, Central European University (Hongrie); Eric Toussaint, historien, Université de Liège (Belgique); Charles-André Udry, A L’Encontre (Suisse); Mihai Varga, sociologue, Université Libre de Berlin (Allemagne/Roumanie); Patrick Silberstein, éditeur, Éditions Syllepse, Paris (France)
Beatriz Abramides, enseignante-chercheuse, Université Pontificale de Sao Paulo (Brésil); Valerio Arcary, enseignant-chercheur, Instituto Federal de São Paulo (Brésil); Vera Aguiar Cotrim, philosophe, USP (Brésil); Manuel Aguilar Mora, historien, Université Autonome de Mexico, (Mexique); Silvia Aguilera, éditrice LOM (Chili); Claudio Albertani, professeur, Université Nationale Autonome de Mexico (Mexique); Jorge Alemán, psychanalyste et écrivain (Argentine/État Espagnol); Ademir de Almeida, acteur (Brésil); Jean Georges Almendras, journaliste (Uruguay); Guillermo Almeyra, historien (UNAM y UAM-X/Mexique, UBA/Argentine); Pablo Anino, économiste, Université de Buenos Aires (Argentine); Checchino Antonini, journaliste, directeur de L’Anticapitalista (Italie); Anthony Arnove, éditeur, Haymarket Books (Etats-Unis); Eric Aunoble, historien, Université de Genève (Suisse); Paula Bach, économiste, Université de Buenos Aires (Argentine); Raquel Barbieri Vidal, Théâtre Colón de Buenos Aires (Argentine); Emmanuel Barot, philosophe, Université Toulouse Jean Jaurès (France); John Barzman, historien, Université du Havre (France); Corrado Basile, historien, Editions Altergraf (Italie); Jean Batou, professeur d’histoire internationale, Université de Lausanne (Suisse); Bernhard H. Bayerlein, professeur d’études romanes, Université de la Ruhr à Bochum (Allemagne); Elaine Behring, UFRJ (Brésil); Hebert Benítez Pezzolano, enseignant-chercheur, Université de la République (Uruguay); Maria Silvia Betti, enseignante-chercheuse, USP (Brésil); Alma Bolón, Université de la République (Uruguay); Pablo Bonavena, sociologue, UNLP/UBA (Argentine); Mathieu Bonzom, MCF études nord-américaines, Université Paris 1 (France); Simon Bousquet, président du Centre Culturel Gabriela Mistral (Chili); Nick Brauns, historien et journaliste, Berlin (Allemagne); Hernán Camarero, historien, Université de Buenos Aires (Argentine); Pedro Campos, historien, UFRJ (Brésil); Miguel Candioti, enseignant-chercheur, Université Nationale de Jujuy (Argentine)
Francisco Cantamutto, économiste, Sociedad de Economía Crítica (Argentine); Aldo Casas, anthropologue, revue Herramienta(Argentine)
Paolo Casciola, historien, directeur du site aptresso.org (Italie); Yurij Castelfranchi, sociologue, Universidade Federal de Minas Gerais (Brésil)
Hugo Cavalcanti Melo Filho, juriste, Universidade Federal de Pernambuco (Brésil); Leónidas Ceruti, historien, Rosario (Argentine); Nora Ciapponi, militante socialiste (Argentine); Alfonso Claverías, député de Podemos pour Huesca (État Espagnol); Osvaldo Coggiola, historien, Université de Sao Paulo (Brésil); Eurelino Coelho, historien, Universidade Estadual de Feira de Santana (Brésil); Martín Cortés, enseignant-chercheur, UAB (Argentine); Lívia Cotrim, sociologue, UPC-SP (Brésil); Tatiana Cozzarelli, militante féministe, Left Voice (ETATS-UNIS); Helmut Dahme, sociologue, Vienne (Autriche); Juan Dal Maso, Casa Marx, Neuquén (Argentine); Mercedes D’Alessandro, docteure en économie (Argentine); Max Delupi, journaliste et acteur, Córdoba (Argentine); Luiz Antonio Dias, enseignant-chercheur, PUC-SP (Brésil); Ariane Díaz, UBA (Argentine); Savana Diniz Gomes Melo, enseignante-chercheuse, Universidade Federal de Minas Gerais (Brésil); Felipe Demier, enseignant-chercheur, UFRJ (Brésil); Juan Duarte, enseignant, Université de Buenos Aires (Argentine); Jean-Numa Ducange, historien, Université de Rouen-Normandie (France); Elsa Drucaroff, écrivaine (Argentine); Andy Durgan, historien, Université de Londres (Royaume-Uni); Samuel Farber, historien, CUNY (Etats-Unis); Juan Fajardo, directeur de la section en langue espagnole de Marxist Internet Archive; Susan Ferguson, enseignante associée, Wilfrid Laurier University (Canada); Grijalbo Fernandes Coutinho, juge du travail et doctorant, Universidade Federal de Minas Gerais (Brésil); Brais Fernández, magasine Viento Sur (État Espagnol); Esteban Fernández, professeur de philosophie, Université du Costa Rica (Costa Rica); Olga Fernández Ordoñez, fille de Carlos Fernández, garde-du-corps de Trotsky pendant son exil à Mexico (Mexique); Wladek Flakin, historien, Berlin (Allemagne); Leonardo Flamia, journaliste (Uruguay); Virgínia Fontes, historienne, UFF (Brésil); Alfredo Fonticelli, journaliste (Uruguay); Franck Gaudichaud, politiste, Université Grenoble Alpes (France); Daniel Gaido, historien, Université Nationale de Córdoba (Argentine); Francesca Gargallo Celentani, écrivaine féministe (Mexique); Alejandro Gálvez Cancino, professeur de l’Université Autonome Métropolitaine (Mexique); Gabriel García Higueras, historien, Université de Lima (Pérou); Manuel Garí, économiste (État Espagnol); Diego Giachetti, historien, Turin (Italie); Mike Goldfield, enseignant-chercheur, Wayne State University (ETATS-UNIS); Horacio González, sociologue, ex-directeur de la Bibliothèque Nationale (Argentine); Jorge Gonzalorena Döll, historien et sociologue (Chili); Isabella de Faria Bretas, doctorante, Universidade Nova de Lisboa (Portugal); Eduardo Grüner, sociologue, Université de Buenos Aires (Argentine); Gastón Gutiérrez, journaliste, Ideas de Izquierda (Argentine); Pepe Gutiérrez-Álvarez, Fondation Andreu Nin (État Espagnol); Alejandro Horowicz, sociologue, UBA (Argentine); Srecko Horvat, philosophe (Croatie); Claudio Katz, économiste, UBA (Argentine); Paul Le Blanc, professeur d’histoire, La Roche College, Pittsburgh (Etats-Unis); Renato Lemos, enseignant-chercheur, UFRJ (Brésil); Gabriela Liszt, chercheuse au CEIP León Trotsky (Argentine); Antonio Liz, historien, Madrid (Etat espagnol); Diego Lotito, journaliste, IzquierdaDiario.es (État Espagnol); António Louçã, historien et journaliste (Portugal); Cynthia Lub, docteure en histoire, Université de Barcelone (État Espagnol); Filippo Del Lucchese, Université Brunel (Royaume-Uni); Eduardo Lucita, membre de Economistas de Izquierda (Argentine); David McNally, professeur d’histoire, Université de Houston (Etats-Unis); Javier Maestro, enseignant-chercheur, Université Complutense de Madrid (État Espagnol); Matías Maiello, sociologue, Université Nationale de Buenos Aires (Argentine); Rosa Maria Marques, économiste, PUC-SP (Brésil); Josefina L. Martínez, journaliste et historienne (État Espagnol); Jamila M.H. Mascat, philosophe, Université de Utrecht (Pays-Bas); Claudia Mazzei Nogueira, enseignante chercheuse, Université Fédérale de Sao Paulo (Brésil); Reginaldo Melhado, juriste, Universidade Estadual de Londrina (Brésil); Demian Melo, historien, UFF (Brésil); Luciano Mendonça, historien, UFGG (Brésil); Esteban Mercante, économiste, rédaction de Ideas de Izquierda et la Izquierda Diario (Argentine); Massimo Modonesi, historien, sociologue et politiste, Université Autonome de Mexico (Mexique); Rodrigo Quesada Monge, historien retraité (Costa Rica); Warren Montag, Occidental College, Los Angeles (Etats-Unis); Luís Carlos Moro, avocat du travail (Brésil); Antonio Moscato, historien, Université du Salento-Lecce (Italie); Bill V. Mullen, enseignant chercheur, Purdue University (ETATS-UNIS); Lucía Nistal, enseignante-chercheuse, UAM (État Espagnol); Rosana Núbia Sorbile, historienne, IFSP (Brésil); Ángel Oliva, enseignant, Université Nationale de Rosario (Argentine); Antonio Oliva, enseignant, Université Nationale de Rosario (Argentine); Pablo Oprinari, sociologue, coordinateur de Ideas de Izquierda (Mexqiue); Joel Ortega Juárez, professeur de journalisme retraité, Université Autonome de Mexico (Mexique); Pelai Pagès, enseignant-chercheur, Université de Barcelone (État Espagnol); Gilbert Pago, historien, ex-directeur de l’IUFM de Martinique (Martinique); Ugo Palheta, sociologue, Université de Lille (France); Jaime Pastor, politiste, Université Nationale d’Enseignement à Distance (Etat espagnol); António Pavón Cuellar, psycologue et philosophe, Universidad Michoacana de San Nicolás de Hidalgo (Mexique); Ariel Petruccelli, historien, UNCo (Argentine); Charles Post, sociologue, Université de la Ville de New York (CUNY) (Etats-Unis); Pablo Pozzi, historien, Université de Buenos Aires (Argentine); Stéfanie Prezioso, professeure d’histoire internationale, Université de Lausanne (Suisse); Sean Purdy, historien,USP (Brésil); Gastón Remy, économiste, Université Nationale de Jujuy (Argentine); Fábio Resende, acteur (Brésil); Gloria Rodríguez, enseignante-chercheuse, Universidad Nacional de Rosario (Argentine); Darren Roso, chercheur indépendant, Melbourne (Australie); Andrea Robles, éditrice, Editions IPS-CEIP (Argentine); Carlos Rodríguez, journaliste, Página 12 (Argentine); Gloria Rodríguez, enseignante-chercheuse, Université Nationale de Rosario (Argentine); Gonzalo Adrian Rojas, enseignant-chercheur, Universidade Federal de Campina Grande (Brésil); Alicia Rojo, historienne, Université de Buenos Aires (Argentine); Fernando Rosso, journaliste, La Izquierda Diario(Argentine); Pierre Rousset, Europe Solidaire et sans Frontières (France); Maxwell Santos Raimundo, acteur et musicien (Brésil); Franklin Jones Santos do Amarante, animateur culturel (Brésil); Alejandro Schneider, historien, UNLP/UBA (Argentine); Gustavo Seferian, juriste, Universidade Federal de Lavras (Brésil); Joseph Serrano, doctorant, UC Berkeley (ETATS-UNIS); Paulo Slachevsky, éditeur LOM (Chili); Laura Sotelo, enseignante-chercheuse, Université Nationale de Rosario (Argentine); Héctor Sotomayor, enseignant-chercheur, Université Autonome de Puebla-BUAP (Mexique); Jorge Luiz Souto Maior, USP (Brésil); Ted Stolze, philosophe, Cerritos College, Norwalk (ETATS-UNIS); Fabiane Tejada, enseignante-chercheuse, Universidade Federal de Pelotas (Brésil); Juliana Teixeira Esteves, juriste, Universidade Federal de Pernambuco (Brésil); Jean Baptiste Thomas, MCF études hispaniques, Ecole polytechnique, Paris (France); Iuri Tonelo, éditeur de Esquerda Diário, doctorant en sociologie, Unicamp (Brésil); Charles-André Udry, A L’Encontre(Suisse); Edison Urbano, directeur de Ideas De Esquerda(Brésil); Paula Varela, politiste et enseignante, Université de Buenos Aires (Argentine); Mihai Varga, sociologue, Université Libre de Berlin (Allemagne/Roumanie); Livia Vargas González, philosophe, UCV-UFOP (Vénézuéla/Brésil); Omar Vazquez Heredia, docteur en sciences sociales, UBA (Vénézuela); Miguel Vedda, enseignant-chercheur, Faculté de Philosophie et Lettres, Université de Buenos Aires (Argentine); Romero Venancio, philosophe, Universidade Federal de Sergipe (Brésil); Gabriel Eduardo Vitullo, enseignant-chercheur, Universidade Federal do Rio Grande do Norte (Brésil); David Walters, éditeur de Marxist Internet Archive; Florian Wilde, historien, Berlin; Rolf Wörsdörfer, enseignant-chercheur, Université Technique de Darmstadt (Allemagne).

Organisations politiques, premiers signataires

Nicolás del Caño, Myriam Bregman, Emilio Albamonte, pour le Parti des Travailleurs pour le Socialisme (PTS-Argentine) ; Santiago Lupe pour le Courant révolutionnaire des Travailleuses et des Travailleurs (CRT-Etat espagnol) ; Sulem Estrada, Miriam Hernandez et mario Caballero, pour le Mouvement des Travailleurs Socialistes (MTS-Mexique) ; Ángel Arias, pour la Ligue des Travailleurs pour le Socialisme (LTS-Venezuela); Javo Ferreira, Violeta Tamayo et Elio Aduviri pour la Ligue Ouvrière Révolutionnaire pour la Quatrième Internationale (LOR-CI, Bolivie) ; Juan Cruz Ferre, pour Left Voice (Etats-Unis) ; Simone Ishibashi, Diana Assunção et Maíra Machado pour le Mouvement Révolutionnaire des Travailleurs (MRT-Brésil) ; Stefan Schneider, pour l’Organisation Révolutionnaire Internationaliste (RIO-Allemagne) ; Damien Bernard, Daniela Cobet et Juan Chingo pour Révolution Permanente (France) ; Sebastián Artigas pour le Courant des Travailleurs Socialistes (CTS-Uruguay) ; Dauno Tótoro pour le Parti des Travailleurs Révolutionnaires (PTR-Chili) [Fraction Trotskyste pour la Quatrièmle Internationale (FTQI), à l’origine du réseau en six langues (allemand, anglais, catalan, espagnol, français et portugais) des journaux en ligne La Izquierda Diario]; Giacomo Turci, Scilla Di Pietro, Fraction Internationaliste Révolutionnaire (FIR)-La Voce delle Lotte, Massimo Civitani, SI-Cobas, coordination de Rome (Italie); Romina del Plá, Néstor Pitrola, Jorge Altamira, Marcelo Ramal, Gabriel Solano, membres de la direction nationale du Parti Ouvrier (PO) d’Argentine; Rafael Fernández, Natalia Leiva, Lucía Siola et Nicolás Marrero, membres de la direction nationale du PT (Uruguay); Philippe Poutou, Olivier Besancenot, Alain Krivine et Christine Poupin, pour le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA, France); Gaël Quirante, Sud Poste 92, Anasse Kazib, Sud Rail et Vincent Duse, CGT PSA Mulhouse, Nouveau Parti Anticapitaliste (Francia); Nathalie Arthaud, porte-parole nationale, Arlette Laguiller, Armonia Bordes et Chantal Cauquil, anciennes euro-députées, pour Lutte Ouvrière (France); Guilherme Boulos, ancien candidat à l’élection présidentielle pour le Parti Socialisme et Liberté (PSOL) et coordinateur du Mouvement des Travailleurs Sans-Abri (MTST) (Brésil); Marcelo Freixo, député fédéral du PSOL pour Rio de Janeiro et Tarcisio Motta, conseiller du PSOL de Rio de Janeiro (Brésil); Pour le Mouvement Gauche Socialiste (MES) : Juliano Medeiros, président national du PSOL, Luciana Genro, ancienne candidate à l’élection présidentielle, députée pour le PSOL, Roberto Robaina, direction nationale du PSOL, Israel Dutra, secrétaire RI du PSOL, Pedro Fuentes, rédacteur en chef du site Izquierda em Movimento, membre de la direction du MES, Fernanda Melchionna, David Miranda, Sâmia Bomfim, députés fédéraux du PSOL (Brésil); Pour le Courant Socialiste des Travailleurs/PSOL : Babá, conseiller de Rio de Janeiro, Pedir Rosa, dirigeant du SINTUFF et du CST/PSOL, Rosi Messias, membre de la direction exécutive du PSOL et de la direction nationale du CST/PSOL (Brésil); Alan Woods, Tendance Marxiste Internationale (TMI), rédacteur en chef de In Defence of Marxism, et Rob Sewell (TMI), rédacteur en chef de Socialist Appeal (Grande Bretagne); Juan Carlos Giordano et Mercedes Petit, membre de la direction nationale de Gauche Socialiste, (IS, Argentine) ; Orlando Chirino, Parti Socialisme et Liberté (PSL, Venezuela) ; Enrique Fernández Chacón (UNIOS, Pérou) ; Enrique Gómez Delgado, Mouvement au Socialisme (MAS, Mexique) [Unité Internationale des Travailleurs – Quatrième Internationale (UIT-QI)]; Alejandro Bodart, Sergio García, Celeste Fierro, Vilma Ripoll, Guillermo Pacagnini, Mariano Rosa pour le Mouvement Socialiste des Travailleurs (MST) d’Argentine et pour Anticapitalistes en Réseau-IV Internationale; Brais Fernández (Viento Sur) ; Paula Quinteiro (deputée au Parlement galicien) ; Manuel Garí (économiste) ; Raul Carmago (député à l’Assemblée de Madrid) ; Jesús Rodríguez (économiste); Ángela Aguilera (députée au Parlement andalou) ; Ana Villaverde (députée au Parlement andalou); Mari García (députée au Parlement andalou); Sonia Farré (députée au Parlement espagnol). [Anticapitalistes, Etat espagnol]; Franco Turigliatto, ancien sénateur pour le Parti de la Refondation Communiste, membre de la direction nationale de Gauche Anticapitaliste (SA-Italie); Thiess Gleiss, membre de la direction nationale de Die Linke et Lucy Redler, membre de la direction nationale de Die Linke et porte-parole de SAV (Allemagne); Edgard Sanchez, membre de la direction nationaledu Parti Révolutionnaire des Travailleurs (PRT, Mexique); Roman Munguia Huato, Ismael Contreras Plata pour la Ligue d’Unité Socialiste (LUS) et pour le Mouvement de reconstruction du syndicat enseignant (Mexique); José Luis Hernández Ayala, Pedro Gellert, Heather Dashner Monk, Marcos Fuentes, Emilio Téllez Contreras y Héctor Valadez George, membres de la Coordination Socialiste Révolutionnaire (CSR, Mexique); Collectif Communisme et Liberté (CCeL) de Rio de Janeiro (Brésil); Comuna, Rio de Janeiro (Brésil).

a l’époque j’avais signé ce texte, Gérard Filoche

 

Macron-Borne-Dussopt : armes de destruction massive du travail

 

Surmultipliant son offensive contre les droits démocratiques et sociaux de la majorité écrasante des salariés, Macron, après les retraites à 64 ans, de plus en plus autoritaire et brutal, se sent autorisé à programmer des dizaines de nouvelles mesures anti droit du travail.

Il accomplit avec méticulosité le programme du Medef, et au-delà, puisque non seulement il baisse drastiquement le coût du travail mais il oeuvre à détruire le salariat en tant que tel, en l’ubérisant pour mieux démanteler sa protection sociale.

Comme quoi les libéraux se servent à fond sans scrupule de l’État et ça se concilie très bien avec les politiques néolibérales les plus brutales. Ils ne reculent devant rien en matière d’autoritarisme et de répression policière. Sans ses forces de l’ordre, Macron serait déjà chassé depuis longtemps.

Toute sa technique est de mentir et de truquer les chiffres à une échelle de masse, affirmant que c’est le jour quand c’est la nuit, qu’il fait chaud quand il fait froid, qu’il crée des emplois quand il en supprime, que tout va bien quand la misère monte, cette violente contre-propagande lui étant nécessaire pour masquer la brutalité de son action.

1

Attaque contre le chômage et les chômeurs

A la différence de Hollande qui voulait chaque mois annoncer l’inversion de la courbe du chômage, Macron ne s’est pas gêné : il a changé la méthode de calcul, remplaçant les chiffrages de la DARES, de Pole emploi par ceux du BIT pour lequel le seul fait de travailler une heure dans le mois suffit à n’être plus chômeur. En se limitant à la « catégorie A » et en excluant les catégories B, C, D et E, évidemment le chômage affiché a « baissé » autour de 7 % au lieu de 11%. D’autant que la moitié des chômeurs ne sont pas indemnisés, les radiations se font en masse et les lois Macron Borne ont rendu plus difficile les critères pour accéder à l’indemnisation et ont réduit la durée de celle-ci.

En fait Macron expulse les salariés du salariat puis les chômeurs du chômage.

En mentant sur le taux réel de chômage, en imposant 7,4 % au lieu de 11,4 %, Macron y trouve non seulement un intérêt politique d’affichage, mais il fait fonctionner utilement sa loi de spoliation qui prévoit que si le chômage est inférieur au seuil de 9 %, la durée d’indemnisation est abaissée de 25 %.

 

Dans la vie réelle, il y a toujours 6 millions de chômeurs officiels (hors Mayotte). Et la part de la population active non occupée est autour de 17%.

 

Ensuite, il faut étudier la part des « nouveaux emplois » que Macron Lemaire affirment avoir récemment créés pour constater que ce sont des « sorties de chômage » mais ce ne sont plus des emplois salariés. Une note de l’INSEE donne les clés pour le calculer : elle pointe qu’un chômeur sur 5 au sens du BIT n’est pas inscrit à Pôle Emploi, en donnant l’exemple de jeunes sans indemnisation. François Ruffin s’appuie sur Eurostat pour démontrer que la France est championne, avec la Hongrie et l’Estonie, de la création de l’emploi non-salariés, type auto entrepreneurs : 2,4 millions.

Ce qui veut dire que le salariat recule sans doute de 90% vers 88, 87 voire 86% des actifs. On est autour de 30 millions de salariés parmi les actifs, mais autour de 3,5 millions d’indépendants soit 12%, 13%, 14% parmi les actifs (l’artisanat en France c’est environ 1,5 million d’unités légales 4 sur 10 (38%) dans la construction, 15% dans l’industrie 13% services aux ménages et 12% du commerce) il y a 1,2 million de patrons avec au moins UN salarié.

Mais on vérifie que cela signifie extension de la pauvreté puisque 5,3 % des salariés sont pauvres contre 16,6 % des indépendants.

 

2

Le grand remplacement du salariat

 

Quelle sorte d’emploi Macron veut-il avec son nouveau logo « France travail » ?

Dans un débat en commission de l’Assemblée nationale face à François Ruffin, le ministre du travail, Olivier Dussopt a tombé le masque. Il souligne que la divergence avec François Ruffin qui défend le statut du salariat, c’est que le gouvernement est « pour la présomption d’indépendance ». Il s’agit cette fois clairement posé du choix préférentiel, essentiel, historique contre l’emploi salarié et pour l’emploi non salarié, la fin des statuts.

 

Depuis la première loi Macron de 2015, celui-ci ouvrait la voie au remplacement du contrat de travail par un contrat commercial de gré à gré. Macron proposait de modifier le Code civil pour que dans le cas d’un conflit pour ce type d’emploi, ça n’aille plus vers les prud’hommes mais vers les tribunaux d’instance. Ensuite Macron défendait (notamment dans son livre « Révolution ») une « société sans statuts », une « société post salariale » en supprimant notamment les cotisations sociales. Jusque-là le choix de l’ubérisation n’était pas aussi franchement avoué, mais là, Olivier Dussopt tranche explicitement contre l’avis qui, depuis, a été voté en septembre 2021 par la majorité du Parlement européen en faveur de la « présomption de salariat ». Et Dussopt ajoute qu’il « souhaite que ça aille plus loin ». C’est clairement un choix de civilisation inconnu et impensé jusque-là : on a la preuve complète, formelle de la politique suivie par Macron depuis 8 ans, c’est ainsi que tout se décrypte.

 

A travers les lois anti Code du travail El Khomri Pénicaud de 2016 à 2017, de la loi anti chômage, des attaques contre tout ce qui provient des cotisations sociales, il s’agit bien de « Révolution », ou plutôt de « contre-révolution », c’est la plus grande attaque historique contre le coût du travail en remettant en cause le statut même du salariat. La volonté déclarée, persistante, d’un « grand remplacement » du salariat par une main d’œuvre sans protection sociale, sans retraite, sans horaires, sans droits, ni loi du travail.

 

Ça se développe récemment dans de nouveaux détails : car Dussopt a signé un décret le 17 avril qui facilite la « reconnaissance » des démissions par l’employeur et non plus par le salarié. Jusque-là aucune démission ne pouvait se présumer ni être « implicite » maintenant il suffit que le salarié soit « absent » de son poste quinze jours et le contrat est présumé rompu.

Refusant que l’abandon de poste puisse être assimilé à une démission présumée, FO a déposé le 3 mai 2023 un recours devant le Conseil d’État. La confédération lui demande de faire annuler cette disposition de la loi Marché du travail de décembre 2022, rendue effective par le décret du 17 avril. C’est une aberration juridique créée dans le seul but de restreindre encore un peu plus les droits des demandeurs d’emploi. Jusqu’alors, après un abandon de poste, un salarié risquait d’être licencié pour faute mais il pouvait percevoir une indemnisation chômage. Désormais, il peut être présumé démissionnaire et ne bénéficie dans ce cas que d’un délai très court pour justifier son absence auprès de l’employeur.

La loi n’introduit que quelques exceptions, liées par exemple à des raisons médicales ou à l’exercice d’un droit de retrait. Le salarié a aussi la possibilité de contester la rupture de son contrat de travail en saisissant les prud’hommes qui ont, en théorie, un mois pour se prononcer. Mais par exemple, un salarié hospitalisé et isolé n’aura pas la possibilité de réagir dans les délais impartis.

FO attaque aussi devant le Conseil d’État le questions réponses rédigé par le ministère du Travail, qui veut laisser croire que le licenciement ne serait plus possible. Ce qui n’est pas le cas.

Pratiquement tout le droit du licenciement (y compris les droits issus de la convention 158 de l’OIT) a été mis à bas, notamment lorsque les soignants ayant refusés de se faire vacciner ont été « expulsés » sans procédure, sans condition ni indemnités.

Les droits des IRP (institutions représentatives du personnel) ont été massivement bafoués : on est passés de 425 000 salariés mandatés à moins de 200 000. Il ne reste que 4600 médecins du travail en poste, 1600 inspecteurs du travail, et les procédures prud’homales sont réduites à 40 % de ce qu’elles étaient encore il y a 15 ans. C’est bel et bien l’ensemble du statut du salariat qui est visé.

 

3

L’attaque contre le principe même des salaires

 

Dans la Macronie, il n’est jamais question de salaire net et de salaire brut encore moins super brut. Il n’est question que de pouvoir d’achat, de primes, de compléments, d’indemnités, d’allocations, de chèques compensatoires, d’aides. Quand il y a un problème, l’état envoie un chèque de 100 euros individualisé pour payer l’essence à la place des patrons qui n’ajustent pas les salaires. Quand il y a inflation, Macron dénonce volontiers les « forces de la spéculation » mais n’agit pas contre elles, il suggère des compensations, des « paniers de la ménagère », des « primes Macron » éphémères et aléatoires mais jamais des hausses de salaire. Le but est clairement de supprimer progressivement les cotisations sociales sur les salaires.

 

Le projet de loi portant transposition de l’accord national interprofessionnel (ANI) relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise a ainsi été présenté en conseil des ministres le 24 mai 2023 : c’est l’un des premiers textes annoncé de la séquence post-retraites, censé à la fois « apaiser les relations avec les syndicats, et donner des gages aux Français en matière de pouvoir d’achat dans un contexte chamboulé par l’inflation ». En vérité, il s’agit de remplacer des éléments de salaires par un système d’intéressement aux bénéfices qui n’implique aucune cotisation sociale.

 

Toute la propagande vise à détruire le salaire brut, sa fonction, son existence,

Et par là même à casser la Sécurité sociale telle que nous la connaissons encore. Cela fait partie de la « baisse du coût du travail » selon eux : ce n’est plus aux patrons de payer la protection sociale, mais à l’état, à l’impôt.

 

La façon dont Gabriel Attal a mené son éphémère campagne contre les fraudes fiscales et sociales a donné le ton :  il a placé les cotisations sociales sur le même plan que les impôts, alors qu’ils s’opposent. L’impôt n’est pas pré affecté tandis que les cotisations le sont. L’impôt va au budget de l’état tandis que les cotisations sociales vont au budget séparé de la protection social. L’impôt va à l’état public collecté par le fisc, la cotisation sociale avec un collecteur privé Urssaf va à l’organisme privé qu’est la Sécurité sociale (normalement conçue pour être gérée à part avec des élections à part). Le but était de développer une propagande contre la fraude sociale mise sur le même plan que la fraude fiscale, dénigrant ainsi le prélèvement volontaire (salaire brut mutualisé) et sa gestion séparée : jusqu’au point d’envisager une seule carte d’identité nationale et « vitale ».

 

 

 

4

Dussopt apprend aux patrons à contourner le code du travail :

Des révélations qu’on peut qualifier de scandaleuses ont été faites : le ministère du Travail forme des employeurs… à déjouer ses contrôles. Des cadres de l’administration animent des formations payantes (845 euros) dispensées par un organisme privé. Le but de ces formations : est d’indiquer aux employeurs les façons de parer aux actions des 1600 inspecteurs du travail… 

Selon la description du stage, il s’agit de « se défendre en cas de contentieux ou de procès-verbal dressé par l’inspection du travail ». Une publication de la société Lamy-Liaisons les organise et une responsable d’Unité de contrôle pour le compte de la DRIEETS Île-de-France, les anime. Ce qui effraie, c’est que le directeur régional, interpellé, réponde « qu’il ne voit pas de problème ». Le seul souci, selon lui, est l’intitulé de la formation, qu’il a demandé à la société organisatrice de modifier. Mais cette formation ne se résume pas dans sone titre : « Contrôler les temps de travail et de repos des collaborateurs, pour éviter les sanctions et prouver le nombre d’heures effectuées… voilà un véritable casse-tête ! (…) Dès lors quels dispositifs mettre en place ? Quelles précautions prendre ? Comment se défendre en cas de contentieux ou de procès-verbal dressé par l’inspection du travail ».

« Que des avocats dispensent à leurs clients employeurs une telle formation pour éviter les contrôles de l’inspection du travail, c’est logique, selon Simon Picou, inspecteur et responsable CGT. Mais là, il s’agit d’un agent du ministère du travail. L’image renvoyée est celle d’une administration qui se range au côté des employeurs. Imagine-t-on des policiers expliquer les recours ou les astuces pour faire sauter des contraventions à des chauffards ? Ou des agents de l’administration fiscale expliquer à des employeurs comment éviter les contrôles ? »

5

La fausse semaine de quatre jours

Le ministre des Comptes publics Gabriel Attal annonce le lancement d’une expérimentation de la semaine de quatre jours dans la fonction publique. Pendant un an, les agents de l’Urssaf de Picardie pourront travailler 36 heures en quatre jours plutôt qu’en cinq. « Je crois que beaucoup de Français aspirent aujourd’hui à travailler différemment. La semaine de 35 heures en quatre jours, que 10 000 Français expérimentent déjà dans des secteurs économiques très variés comme le recyclage industriel ou l’informatique, cela peut être moins de temps passé dans les transports, moins de stress, et au final, plus de bien-être au travail« , baratine Gabriel Attal dans L’Opinion.

Mais hormis que c’est de l’affichage « expérimental » pour 2025… et qu’on est très loin d’une loi concernant la durée du travail de 30 millions de salariés, on observe tout de suite qu’il s’agit de 36 h soit de 9 h par jour et d’une remise en cause des 35 h pas du tout d’une marche vers les 32 h telles que nous les revendiquons – avec la NUPES notamment. Quid de la durée de travail quotidienne ? Quid des heures supplémentaires, de leur majoration et de leur contrôle ? Le Monde alerte sur le fait que « les horaires journaliers doivent rester « supportables ».

 

6

La mise en cause des CDI :

 

Sans cesse, des voix de LREM, LR et RN s’expriment non seulement contre les 35 h et mais aussi contre le CDI : au Medef ils n’en ont jamais assez idéologiquement et leur ADN est de détricoter ce qui reste du contrat de travail.

Leur propagande actuelle vise massivement à dénigrer « les jeunes qui ne veulent pas de CDI », « ne veulent pas bosser ».

La vérité est qu’il y a 13 demandes d’emplois pour une seule offre, et que les métiers dits « en tension », restauration, hôtellerie, saisonniers, bâtiment, transports, le sont d’abord en raison de leurs trop bas salaires et de leurs trop longues durées du travail.

Quand ils le peuvent 41,2% des jeunes de 15 à 24 ans se salarient en emploi à durée indéterminée.

Dans la pratique 85 % des emplois salariés sont et restent en CDI entre 25 et 54 ans.

Les Macroniens et le Medef sont en contradiction parce que leur volontarisme idéologique les pousse à promouvoir indépendants, stagiaires, alternance, apprentissage, travailleurs détachés, immigrés vulnérables, intérim et CDD, mais les besoins réels des entreprises ce sont des salariés formés, expérimentés, fiables, stables, compétents, assez polyvalents, et éduqués pour produire.

Pour eux, c’est insurmontable en fait : ils réussissent à pousser les indépendants, ils grignotent les CDI, ils rognent les contrats de travail, mais ils ne parviennent pas à mettre en place des lois pour changer le système CDI. Ils le veulent depuis des années, Macron, Borne et Dussopt les annoncent pour la rentrée 2023, il faut se préparer, mais rien n’est joué.

Aux syndicats et la NUPES défendre la reconstruction d’un droit du travail.

 

 

 

Statut d’emploi et type de contrat selon le sexe en 2022 Insee

en %

Statut d’emploi et type de contrat selon le sexe en 2022 (en %)
Statut d’emploi et type de contrat Femmes Hommes Ensemble
Indépendants 10,0 16,0 13,1
Salariés 90,0 84,0 86,9
Emploi à durée indéterminée 74,5 70,4 72,4
Contrat à durée déterminée 9,9 6,4 8,1
Intérim 1,5 2,8 2,1
Alternance, stage 3,0 3,6 3,3
Sans contrat ou contrat inconnu 1,0 0,8 0,9
Ensemble 100,0 100,0 100,0
  • Lecture : en 2022, 74,5 % des femmes en emploi sont salariées en emploi à durée indéterminée.
  • Champ : France hors Mayotte, personnes vivant en logement ordinaire, en emploi.

 

 

 

7

Pénibilité et mort au travail :

 

Fin mai, il y a déjà 120 morts au travail recensés en 2023 et cela augmente. La France est devenue championne des accidents du travail mortels en Europe deant la Hongrie et la Bulgarie. Particulièrement parmi les enfants, depuis que De Villepin en 2006 a rétabli le travail des enfants à partir de 14 ans, et le travail du dimanche et de nuit à partir de 15 ans. Les lois protectrices spécifiques aux enfants ont été supprimées par Rebsamen en 2015. Un accident du travail sur deux n’est pas déclaré par les patrons.

Les chiffres sont effrayants : autour de 600 accidents mortels, de 700 suicides liés au travail, 4500 handicapés du travail, 650 000 accidents avez arrêts, et il est quasi impossible, faute de volonté du patronat et du pouvoir, de dénombrer les centaines de milliers de maladies professionnelles, reconnues et dissimulées, réparées, et non réparées.

Un enfant de 14 ans et demi a été broyé dans un pétrIn de boulanger à Mulhouse  et un senior de 68 ans « auto-entrepreneur » forcé s’est tué en chutant d’un toit à Versailles !

La presse quotidienne régionale relate de temps en temps, en coin de page, ces tragédies : chutes, enfouissements, écrasements, effondrement de charges, des vies supprimées, mutilées, gâchées au travail.  Là, un éboueur. Là un livreur de repas à vélo (il y déjà eu 10 tués.) Là un ouvrier sur sa machine dangereuse.  Là, un accident de tracteur. Là, un bucheron ou un élagueur. Le plus fréquent étant dans le BTP.

Lorsqu’un jeune comme Danish Ahmedi, réfugié afghan, 23 ans, perd la vie sur un chantier à Orgères, en Ille-et-Vilaine, le Télégramme titre : « Quelle bêtise de mourir comme ça pour un Smic », une enquête pour homicide involontaire est ouverte… » et puis on n’en parle plus…

Les accidents du travail ça ne fait jamais la « une » des journaux télévisés. C’est un tabou. Il n’y a pas de plaque commémorative, ni monuments aux morts sur les lieux, on y meurt et puis on est oubliés.

 

Déjà l’espérance de vie recule, déjà l’espérance de vie en bonne santé recule, mais les conséquences du recul de l’âge de la retraite pour des salarié·es âgés déjà surexposé·es vont être catastrophiques.

Plusieurs manifestations syndicales ont eu lieu en France le 28 mars dernier : à Paris, quelques 200 personnes ont répondu à l’appel des syndicats et d’associations devant le ministère du Travail pour protester contre « l’omerta » lié à ce fléau. « Le travail tue » « on ne veut pas mourir au travail ». A Lyon dans une action symbolique, l’eau de la fontaine des Jacobins est devenue rouge, une mare de sang symbolisant les mort·es au travail. Et ensuite a eu lieu une grande manifestation interprofessionnelle pour demander une retraite pour les vivants !

Le 28 avril, lors de la journée mondiale de la sécurité et de la santé au travail, les représentant·es CGT se sont succédés pour dénoncer le manque de moyens alloués à la prévention des risques professionnels. Parmi les mesures proposées lors du débat : réfléchir à nos leviers d’action pour stopper l’hécatombe, améliorer la prévention des risques, visibiliser la violence du travail, sanctionner réellement les patrons délinquants. La création d’un tableau de maladies professionnelles sur les pathologies psychiques, des sanctions contre le non-respect des normes de prévention, la création de postes d’inspecteurs du travail, et surtout… le retour des CHSCT.

Les morts au travail ne sont pas une fatalité

La réalité, en France, en 2023, c’est que moins d’1/3 des procès-verbaux des Inspecteurs du travail relevés à la suite d’accidents du travail donnent lieu à des condamnations. Et les condamnations sont dérisoires. La délinquance et la criminalité patronale ont de beaux jours devant elle : face à la caméra, des inspecteurs du travail témoignent de leurs difficultés à obtenir des sanctions pour des infractions à la sécurité : @santetravailmag et dans l’émission @Cdenquete de France 2 https://sante-et-travail.fr/securite-limpuissance-

En fait le ministère Dussopt n’a rien engagé de sérieux contre cette hausse de la mort et des maladies au travail, ni pour les jeunes ni pour les seniors. Même pas « d’index » ! Pas de rétablissement des CHSCT ! Pas davantage d’inspection ni de sanction. Macron, qui ne veut pas entendre parler de « pénibilité liée au travail », par son idéologie libertarienne, ne veut ni contrôler, ni sanctionner les entreprises.

 

8

Jusqu’à supprimer l’eau chaude aux salariés :

La macronie est totalement étrangère à l’idée donner des pouvoirs aux salariés, sa vision est totalement celle du chef d’entreprise qui ne veut pas d’entrave. Ni démocratie au Parlement, ni démocratie à l’usine. Conception et exécution viennent d’en haut.

Voilà pourquoi il faut réclamer contre eux, le rétablissement  des CHSCT qui furent la principale institution de prévention de la santé, de l’hygiène, et de la Sécurité au travail. (Cf. avis Filoche, adopté par le CES en 2001, publié au Journal officiel).

Au lieu de cela, incroyable mais vrai, Dussopt se moque jusqu’à la caricature de l’hygiène des salariés et dans les détails, puisque c’est par décret de ses services (indifférence ? incompétence ? cynisme ?) en date du 24 avril 2023, qu’il permet « pour des raisons de sobriété énergétique » aux employeurs de couper l’eau chaude dans les locaux professionnels :

9

L’apprentissage :

Macron, Borne, Dussopt se vantent d’un « million d’apprentis » c’est vrai, ça et les 2,4 millions d’auto entrepreneurs, ça abaisse les chiffres du chômage ! Ils suppriment de facto les lycées professionnels. 600 000 élèves exclus des lycées, enfermés dans un apprentissage borné, aliénés par une spécialisation précoce, privés de culture générale, seront plus tôt et davantage soumis aux patrons et donc moins payés. Ils ne pourront être cultivés ni polyvalents et ils revendiqueront moins.

Toute l’année 2023 le gouvernement fidèle au transfert de l’argent public vers le privé, paie les patrons extrêmement cher pour les prendre : 6000 euros par an par apprenti.

Il y a un effet pervers à ces primes d’état : en 10 ans, il y a doublement du nombre d’apprentis en « diplôme ingénieur », triplement du nombre d’apprentis en « licence » mais – 15 000 apprentis en « CAP » !! Quand l’état paie la MO, les employeurs recrutent les apprentis déjà formés !

En bas de l’échelle, l’apprentissage est vidé de son sens. Il n’y a plus de formation des maitres. L’idéologie est celle du XIX° siècle : « -J’en ai bavé dans mon jeune temps pour apprendre à bosser, toi aussi ! »

L’exploitation sur le tas remplace toute formation théorique et culturelle.

Les jeunes sont si mal payés (25% du smic la première année, 55% la deuxième année, 85% du smic la troisième année) qu’ils s’en vont et deux sur trois ne finissent jamais leur apprentissage. Cela ne débouche donc même pas sur des embauches durables ni des salaires décents.

 

En voilà 9.

Le 10 c’est du grand art :

il consiste à obliger les « RSA » à travailler gratis et ce contre tous les droits de l’homme.

Article 2 de la Convention 29 de l’OIT de 1930 «Le terme travail forcé ou obligatoire désignera tout travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de plein gré (.)»

Alors que seulement 50 % des ayants droits touchent le RSA, c’est encore trop pour Macron, au lieu de garantir un retour à l’emploi, il propose de stigmatiser les allocataires, et de sanctionner ceux qui refuseront le travail obligatoire qui va leur être imposé (sans droits associés, validation de trimestres retraite par exemple..)

Et, record de record : cela consiste à faire travailler 11 h par jour et 48 h par semaine 45 000 « bénévoles » aux jeux Olympiques de 2024.

Ils auront une formation, une discipline, des chefs d’équipe, ils ,seront subordonnés, leurs frais de déplacements ne seront pas remboursés, juste un repas sur le pouce. En ces temps de chômage, de misère, d’inflation, ils ne seront pas payés, ce sera pour la gloire olympique au nom du « sport »d’élite.  Ces 45 000 pigeons n’en tireront aucun avantage car leurs tâches seront ingrates. Tout un édifice juridique a été bâti, une pseudo « charte des volontaires » Cela économisera 1% des dépenses somptueuses prévues aux JO qui ont un budget à 8,5 milliards minimum, qui ont un chef qui se paie 273 000 euros, et qui vont générer d’autres milliards pour les sponsors. C’est une sorte de couronnement  que de réussir dans une machine à cash de dizaines de milliards, d’obtenir encore mieux que des ubérisés : des victimes qui vont renoncer d’elles-mêmes à leurs salaires. travailler dur pour rien ! Dans l’échelle de l’escroquerie, du détournement  et de la destruction des droits, on peut dire que c’est un summum, une apogée du macronisme.

 

 » Nous continuerons dans le numéro d’été n° 306 de D&S, à vous faire découvrir les méfaits au présent et futurs de la macronie contre les droits du travail.

 

Gérard Filoche le 6 juin 2023

 

Lire blog gerardfiloche.fr  « reconstruire le code du travail en dix points »

 

 

 

 

 

 

Sauver le fret ferroviaire

29/05/2023  D&S
 

En s’appuyant sur l’unité syndicale à la SNCF, des premiers responsables syndicaux, associatifs et politiques s’engagent, dans une tribune parue le 28 mai dans le Journal du Dimanche, contre la liquidation de Fret SNCF et pour un changement de politique concernant le fret ferroviaire. Nous appelons à signer et faire signer cette pétition sur change.org en cliquant ICI.

 

 

En signant cette pétition, je réaffirme qu’il est temps de sortir des déclarations d’intention et de remettre le fret ferroviaire au cœur de notre économie et de nos modes de vie.

 

En signant cette pétition, j’exige, auprès de l’État français et de la direction SNCF, de ne pas sacrifier Fret SNCF sur l’autel de la concurrence.

 

En signant cette pétition, afin de faire de Fret SNCF, un outil central des politiques publiques de transport des marchandises, je m’associe à ces revendications :

 

 

     

  • Sortir le transport de marchandises des logiques de marchés et créer un pôle public de transport.
  •  

  • Renationaliser les sociétés d’autoroutes afin notamment d’investir dans le développement des infrastructures ferroviaires.
  •  

  • Réformer la fiscalité dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique afin de privilégier en particulier les modes de transports publics les plus respectueux de l’environnement.
  •  

  • Prendre les initiatives législatives visant à développer le fret ferroviaire en imposant le Fer pour le transit routier et en interdisant toutes nouvelles constructions de zones logistiques si celles-ci ne sont pas embranchées au réseau ferré
  •  

  • Déterminer les orientations nécessaires pour assurer un vivre-ensemble aux êtres humains, compatibles avec les exigences de justice sociale, de protection de l’environnement et de développement des territoires
  •  

 

Les premiers signataires :  CGT Cheminots (Thierry Nier) - UNSA Ferroviaire (Didier Mathis) - SUD-Rail (Erik Meyer) - CFDT : (Thomas Cavel) - FO Cheminots ( Philippe Herbeck) – Confédération CGT (Sophie Binet) CFE-CGC (François Hommeril) - UNSA (Laurent Escure)  – Union syndicale Solidaires (Murielle Guilbert et Simon Duteil) – FSU (Benoit Teste) - Confédération Paysanne (Laurence Marandola)  – Alternatiba (Anthony Yaba) – Attac France (Alice Picard) – Convergence Nationale Rail (Didier Le Reste)  – Coudes à Coudes (Willy Pelletier)  – Dernière Rénovation (Amine) – Fondation Copernic (Marie Pierre Vieu et Karl Ghazi) - Greenpeace France (Jean-François Julliard) - Les Amis de la Terre (Khaled Gaiji) -  Oxfam France (Cécile Duflot) - Europe Ecologie Les Verts (Marine Tondelier) – Génération S (Arash Saedi) - La France Insoumise (Mathilde Panot) - Parti Communiste Français (Fabien Roussel) – Parti Ouvrier Indépendant (Jérôme Legave) - Parti Socialiste (Olivier Faure) – NPA (Olivier Besancenot) – Gauche démocratique et sociale (Gérard Filoche)

 

L’appel de 25 syndicats, associations

 

et partis politiques à « sauver le fret ferroviaire »

 

« Il faut réaménager dans notre pays notre fret ferroviaire, qui a été un échec français il y a une vingtaine d’années et qu’il faut développer. » Voici les mots d’Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle en avril 2022. Face au défi de notre siècle que représente la lutte contre le changement climatique, la question des mobilités et celle du transport de marchandises doivent être revues de fond en comble. Il est temps de sortir des déclarations d’intention et de remettre le fret ferroviaire au cœur de notre économie et de nos modes de vie.

 

Nous savons que les transports sont responsables de plus de 30 % des émissions de gaz à effet de serre, dont près de 95 % incombent au transport routier de marchandises et voyageurs, en hausse de plus de 39 % depuis 1990. Depuis près de vingt ans, les choix politiques effectués, l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire en 2006 ont eu pour effet de favoriser le transport routier et d’encourager le dumping social au détriment des objectifs écologiques et sociaux.

 

Les opérateurs privés se sont rués sur les parties rentables du fret ferroviaire au détriment de la SNCF, sans créer de nouveaux trafics. La SNCF s’est ainsi vu retirer la possibilité de procéder à une péréquation entre trafics rentables et trafics déficitaires et a dû progressivement abandonner sa vocation de transfert de marchandises de la route vers le rail.

 

Alors que nous avons besoin d’un outil efficace pour piloter une transition énergétique très exigeante, la Commission européenne a ouvert une enquête ciblant Fret SNCF et considérant que cette entité a reçu des aides incompatibles de l’État français par rapport aux dogmes libéraux de Bruxelles. Diligentée au nom du prétendu principe de « concurrence libre et non faussée », elle a comme objectif de faire disparaître Fret SNCF avec pour conséquence le transfert de plusieurs milliers de camions supplémentaires par an sur nos routes.

 

En effet, seule la SNCF, opérateur de transport territorial, peut avoir des capacités fédératrices au niveau des territoires, qui sont nécessaires pour massifier les trafics, pérenniser et renouveler l’offre ferroviaire. Un chiffre : un train de 35 wagons, c’est 55 camions de 32 tonnes en moins sur nos routes.

 

Pour préserver le climat et nos emplois, il faut sortir des logiques libérales et de la soumission du transport de marchandises par rail à l’économie de marché. Face à l’inaction de l’État, nous ne pouvons laisser faire ce scandale écologique et social ! L’application des règles européennes ne peut pas passer avant l’intérêt commun ; le gouvernement français doit s’opposer à cette épée de Damoclès de l’Union européenne sur Fret SNCF et ses 5 000 cheminotes et cheminots.

 

Face à l’inaction de l’État, nous ne pouvons laisser faire ce scandale écologique et social !

 

Rien n’est inéluctable, il est encore temps d’agir ! Collectivement, nous pouvons changer les choses. Des choix s’imposent, à contre-courant des orientations libérales actuelles. Il est temps de passer des mots aux actes concrets. Le fret ferroviaire ne peut plus être qu’une simple alternative ; il doit être incontournable.

 

Nous, syndicalistes, cheminot·e·s, usagers, élu·e·s militant·e·s asso­ciatif·ive·s, appelons l’État français à ne pas sacrifier Fret SNCF sur l’autel de la concurrence. Nous proposons de sortir le fret ferroviaire du marché de la concurrence et de créer un grand service public, unifié et cohérent, de transport ferroviaire et routier de marchandises ; prélever 1 milliard d’euros par an sur les profits réalisés sur les sociétés d’autoroutes pour les investir dans le développement des infrastructures ferroviaires fret ; fixer une écotaxe poids lourds qui concernerait les poids lourds en transit qui refuseraient la solution du report modal, destinée à alimenter un fonds national d’investissement à destination de projets de fret ferroviaire et maritime ; prendre les initiatives législatives visant à développer le fret ferroviaire en imposant le réseau ferré pour le transit routier et en interdisant des nouvelles constructions de zones logistiques si celles-ci ne sont pas embranchées au réseau ferré ; déterminer les orientations nécessaires pour assurer un vivre-ensemble aux êtres humains, compatibles avec les exigences de justice sociale, de protection de l’environnement et d’autonomie des territoires.

 

Nous proposons créer un grand service public, unifié et cohérent

 

L’ensemble des signataires de cette tribune s’engage à faire converger les forces syndicales, politiques et associatives qui veulent organiser démocratiquement une politique alternative des transports vraiment efficace de préservation de l’environnement et de lutte contre le changement climatique, tout en tenant compte des conditions sociales des salarié·e·s.

 

 

Il n’y a pas de classe moyenne ni « des » classes moyennes, … seulement deux camps sociaux et politiques, salariat contre actionnariat, gauche/droite

Macron et Attal n’ont que « classe moyenne » à la bouche. Tous les gros médias reprennent en boucle sans s’interroger

Sauf qu’il n’existe pas de classe moyenne.

Sans cesse, cette question théorique revient à l’ordre du jour : pour analyser les élections, pourquoi il n’y a pas de « centre », ou pour discuter des impôts…

 

SALARIES, SI VOUS SAVIEZ….

 

Il est intéressant d’écouter dans l’immense buzz médiatique toutes les imprécisions de vocabulaire de celles et ceux, qui parlent en permanence et à tort et à travers « des classes moyennes ». Parfois ils parlent aussi de « couches » moyennes. Ce n’est pas très nouveau, en fait : Marx était à peine mort que toutes les théories voyaient proliférer une énorme « nouvelle petite bourgeoisie » (sic) de fonctionnaires, d’employés, de cadres, d’ingénieurs, de techniciens et de nouvelles professions libérales au sein d’un secteur « tertiaire » hypertrophié qu’elles rejetaient du prolétariat puisqu’elles réduisaient celui-ci aux seuls ouvriers. Mais ces bonimenteurs sont totalement incapables de vous les décrire aujourd’hui et de vous dire de quoi il s’agit. Pourquoi ? Parce qu’elles n’existent pas. Concept impossible. Vouloir les définir, c’est la chasse au dahu. C’est facile à prouver : commencez par leur demander pourquoi ils mettent toujours « les classes moyennes » au pluriel. Il y en a donc plusieurs ? Lesquelles ? Enumérez-les ! Dites lesquelles sont plus ou moins « moyennes » ? Qu’est ce qui les distingue ? Vous n’aurez jamais de réponse claire.

« Classes moyennes » contre « classes populaires » ?

Pourquoi les mêmes qui parlent des « classes moyennes » parlent-ils de « classes populaires » au pluriel ? Y a-t-il plusieurs « classes populaires » ? Cette dernière notion apparaît aussi imprécise que l’autre. Que les bonimenteurs essaient, pour une fois, de nous dire combien il y en a et comment ils décrivent « LES » classes populaires ?  Qu’est ce qui distingue les « classes populaires » des « classes moyennes » ? Est-ce que « les » classes populaires sont les pauvres et les classes moyennes moins populaires ?

Le salariat représente 90 % de la population active.

Parmi les salariés, il faut compter les jeunes qui sont des salariés en formation, les chômeurs qui sont des salariés privés d’emploi, les retraités qui vivent en direct des cotisations des salariés occupés. C’est le salariat qui règne, qui domine sociologiquement dans ce pays : la caractéristique est claire, unique, c’est la grande masse de tous ceux qui n’ont que leur force de travail à vendre. Les salariés vendent, certes, cette force de travail plus ou moins cher, selon leur âge, qualification, carrière, selon le rapport de force social. Est-ce que cela les différencie en classes ? Alors doit-on chercher à distinguer une « classe moyenne » au sein du salariat ? Les salaires, dans leur quasi totalité, sont compris entre 900 euros et 3 200 euros, avec un salaire médian à 1 580 euros. 97 % des salaires sont en dessous de 3 200 euros. Comment cerner, caractériser, à ce niveau, une « catégorie », une « couche », une « classe » moyenne… dont le salaire, le statut bouge et bougera tout au long de la vie et de la carrière ?

Il est assez facile de distinguer la classe supérieure, celle des capitalistes :

5 % de la population possède environ 50 % du patrimoine. Elle possède l’essentiel de la rente, des actions, elle est maîtresse de la finance et de la propriété des moyens de production, des biens immobiliers et mobiliers. C’est une toute petite partie de la population. Elle vit de l’exploitation du travail des autres et ses intérêts communs sont puissants : augmenter les profits du capital, baisser le coût du travail. Certains y adjoignent les « cadres supérieurs » (appelés parfois à tort « bobos ») mais cela ne rajoute que très peu d‘éléments : les cadres dits « supérieurs » (assimilables aux employeurs, échappant au droit commun du travail) sont moins de 0,2 % des cadres.

Il est assez facile de distinguer les « pauvres », encore que… :

Là, les instituts prennent, sans s’encombrer, un concept clair, celui du montant du salaire : un chiffre de revenu actuellement inférieur à 900 euros. C’est le « seuil » dit « de pauvreté ». Il y a aujourd’hui, en 2012, plus de 8 millions de personnes concernées.  Ce sont 10 % de la population qui possèdent moins de 1 % du patrimoine. Mais ces pauvres peuvent devenir salariés à temps plein, ou rester pauvres à temps partiel,  rester smicards pauvres, puis le chômage n’épargnant aucune catégorie,  à nouveau pauvres.  Ce n’est donc pas une catégorie isolée, séparée du salariat. Jacques Rigaudiat concluait justement, dès 2005 : « Entre chômage, sous-emploi, incertitude de l’activité et précarité financière des “travailleurs pauvres”, c’est très vraisemblablement entre le quart et le tiers de la population, entre 15 et 20 millions de personnes – 7 millions de pauvres et 8 à 12 millions de précaires – qui ont, de façon durable, des conditions de vie marquées du sceau de l’extrême difficulté. »

Mais entre riches et pauvres où sont les classes moyennes ?

Donc 5 % possèdent 50 % des richesses, et 10 % possèdent moins de 1 %. Il reste 85 % de la population qui se partage 49 % des richesses. Est-ce cela la « classe moyenne » ?  85 % de la population ?  Qu’est ce qu’elle fait, que gagne-t-elle, comment vit-elle ?  Qu’a-t-elle de commun et de différent pour la « classer » ?

Sont-ce les « indépendants » ?

Les actifs « indépendants », les « libéraux », les artisans, les commerçants, les petits et moyens agriculteurs, les petits patrons ne sont plus que 6 % des actifs dans ce pays. 6 % ! Est-ce là UNE classe moyenne ? ou DES classes moyennes ? Peu convaincant, car ces actifs sont hétérogènes… Bien des artisans s’apparentent à des ouvriers du rang, y compris du point de vue du revenu salaire, ou alternent entre travail indépendant et travail salarié. De même pour les petits exploitants en agriculture ou les petits commerçants. Ces 6 % d’actifs qui ne sont pas salariés sont extrêmement « étirés » socialement, entre le million de petits patrons divers de TPE, le médecin installé à l’acte à honoraire libre, le plombier débordé et l’auto-entrepreneur isolé sans le sou, qui est moins protégé qu’un salarié et qu’il serait abusif de placer dans « les classes moyennes ». Toutes les tentatives pour recréer des transformer les travailleurs salariés en travailleurs indépendants (lois Madelin, Dutreil, Novelli…), pour réduire leurs protections sociales, ont jusqu’à présent échoué. Il semble bien difficile de voir dans ces actifs une « catégorie » encore moins une « classe » ou des « classes moyennes ». comme concept pertinent.

Le salariat représente à ce jour 90 % de la population active occupée. (93 % il y a 10 ans)

Et en plus, il faut rajouter les jeunes qui sont des salariés en formation, les chômeurs qui sont des salariés privés d’emploi, les retraités qui vivent en direct des cotisations des salariés. C’est le salariat qui règne, qui domine sociologiquement dans ce pays : la caractéristique est claire, unique, c’est la grande masse de tous ceux qui n’ont que leur force de travail à vendre. Les salariés vendent, certes, cette force de travail plus ou moins cher, selon leur âge, qualification, carrière, selon le rapport de force social. Est-ce que cela les différencie en classes ? Alors doit-on chercher à distinguer une « classe moyenne » au sein du salariat ? Les salaires sont compris entre 900 euros et 3 200 euros, avec un salaire médian à 1 580 euros. 97 % des salaires sont en dessous de 3 200 euros. L’écart entre la moyenne des salaires des cadres et la moyenne des salaires des ouvriers et employés est réduit à 2,3. Comment cerner, caractériser, à ce niveau, une « catégorie », une « couche », une « classe » moyenne… dont le salaire, le statut bouge et bougera tout au long de la vie et de la carrière ?

Sont-ce les cadres ?

Il y en a 4,5 millions. Les cadres sont des salariés comme les autres : avec une dégradation de leur statut et de leurs conditions de travail, ils n’échappent pas au lot commun. Les « grilles de notations » et les « paramètres personnalisés » aboutissent à un barème à la « tête du salarié », et à un système des « primes individuelles », qui finit par toucher les cadres assimilés au reste du salariat au plan de la rémunération. Ils ont aussi des horaires légaux communs au reste du salariat, même si les lois les concernant sont plus souvent violées, contournées. Plus de 40 % d’entre eux sont ainsi passés en dessous du plafond de la Sécurité sociale. L’écart Le rapport entre la moyenne des salaires des cadres avec celle des employés et ouvriers a été abaissé progressivement de 3,9 en 1955 à 2,3 en 1998. Alors que les employeurs se targuent, par tous moyens, d’individualiser les salaires, en fait, par leur obsession de réduire les salaires pour augmenter leurs profits, ils les ont « compactés » !

S’il convient de suivre, avec l’Insee, le rapprochement du « bas des cadres » et du « haut des employés et ouvriers », par contre, les cadres ne sont pas correctement catégorisés par la statistique publique comme ils devraient l’être, c’est-à-dire, séparés entre « cadres » et « cadres supérieurs ». Ce serait pourtant une clarification parmi les plus nécessaires car elle porte sur les critères de définition du statut : le contrat, le salaire et la relation de subordination. Les cadres supérieurs sont assimilables au patronat. Mais ils sont peu nombreux et ne renvoient pas plus que le « patronat » à une réalité homogène. Avec le développement de la sous-traitance et une soumission à des donneurs d’ordre résolument du côté du CAC 40 les petits patrons sont loin d’être tous du niveau « cadres supérieurs » et subissent un sort aléatoire proche du salariat. Il existe en France, une pyramide d’entreprises avec une base très large : en haut, mille entreprises de plus de mille salariés (3,4 millions de travailleurs) produisent près de 50 % du PIB ; en bas, un million d’entreprises de moins de dix salariés (3,4 millions de travailleurs également) ont une existence précaire et la moitié d’entre elles dépendent d’un seul donneur d’ordre.

Les fonctions d’encadrement ont diminué considérablement au profit des tâches de production. Il n’y a plus de coupure entre les « cols blancs » et les « cols bleus » comme dans le passé. L’emploi non qualifié augmente sans que l’emploi des moins diplômés reprenne : le paradoxe renvoie à un « déclassement » des diplômés, qui, à un niveau de diplôme donné, occupent des emplois de moins en moins qualifiés. Quant aux cadres, ils connaissent eux aussi des périodes plus importantes de chômage, l’épée de Damoclès du Pôle emploi règne sur eux comme sur les autres. Le chantage à l’emploi est répandu du haut en bas du salariat. « La dégradation des conditions de travail est générale, l’urgence réduit la prévisibilité des tâches et les marges de manœuvre pour les réaliser. La charge mentale s’accroît et la pénibilité du travail ». Pour une majorité croissante des salariés, les pressions s’accroissent : augmentation du rythme de travail, multiplication des contraintes, mécanisation plus forte, rapidité d’exécution, demandes multiples, vigilance accrue, contrôle hiérarchique permanent, stress…

Sont-ce les « catégories intermédiaires » ?

L’INSEE utilise depuis des lustres une catégorie très contestée : celle dite des « catégories intermédiaires ». Mais qu’est ce qu’une « catégorie intermédiaire » ? Le haut du salariat ? Il commence où ? Aux contremaîtres ou ETAM ? Le bas des cadres ? À quel niveau les distingue-t-on ? Tous les cadres ? L’INSEE y classe tous les enseignants, la plupart des fonctionnaires à partir des catégories « B ». Pourquoi les catégories « B » seraient-elles des « classes moyennes » ? Les instituteurs, les infirmiers, les contrôleurs des impôts, du travail, ne sont pourtant pas plus « classes moyennes » que les maîtres d’hôtel, les agents de maîtrise, les VRP, ou les techniciens… Sont-ce des employés par opposition aux ouvriers ? Sûrement pas puisque même l’INSEE les décompte en dehors des « catégories intermédiaires » !

Lesdites « catégories intermédiaires » avaient une telle disparité interne que depuis fort longtemps les experts contestaient ce classement incertain de l’INSEE. En même temps, ces catégories  ont gagné une homogénéité avec les autres salariés qui pousse à ne pas les traiter séparément. Ainsi dans la fonction publique, dans le passé, il y avait quatre catégories A, B, C, D.  On analysait ainsi les missions : les « A » cadres concevaient une lettre, les « B » moyens cadres rédigeaient la lettre, les « C » agents exécutants frappaient la lettre, les « D » manœuvres, l’expédiaient. Cela a été bousculé puisque les « A » frappent la lettre à l’ordinateur et appuient sur la touche du clavier pour l’expédier. La catégorie « D » a été supprimée un peu comme ont disparu les troisièmes classes dans les trains. Mais toutes les catégories forment le même train, la différence est souvent devenue de niveau salaire. Non seulement le salariat s’est imposé numériquement et proportionnellement au travers du siècle écoulé, mais il s’est homogénéisé, de façon encore relative mais réelle.

70 % ou 10 % de la population ?

Certains disent parfois sans bien réfléchir : « Le nouveau prolétariat, ce sont les femmes ». Ou bien encore : « Ce sont les immigrés ». Ou bien « Ce sont les précaires ». Mais cela n’a pas de sens théorique sérieux, global de découper des catégories, sexes ou générations. C’est du point de vue commun et supérieur de la place dans le procès de production et du niveau de vie qu’il faut raisonner.

Bien qu’il s’obstine dans la recherche d’une hypothétique « classe moyenne » finalement aussi introuvable que le centre en politique [2], Louis Chauvel pose une question cruciale : « Le portrait social d’une classe moyenne heureuse correspond-t-il aujourd’hui à 70 % de la population, ou plutôt à 10 % ? Tout semble indiquer que ce noyau central, idéalement situé aux environs de 2 000 euros de salaire mensuel, doit faire face à un vrai malaise et connaît, comme par capillarité, la remontée de difficultés qui, jusqu’à présent, ne concernaient que les sans-diplôme, les non-qualifiés, les classes populaires. À la manière d’un sucre dressé au fond d’une tasse, la partie supérieure semble toujours indemne, mais l’érosion continue de la partie immergée la promet à une déliquescence prochaine [3]. »

Un « précariat » a t il remplacé le salariat ?

Non. Ni par la création manquée d’indépendants non-salariés dont le nombre régresse malgré les lois qui les poussent à exister (auto-entrepreneurs, etc..). Ni par les 3 millions de précaires (CDD, intérimaires, saisonniers…). Ni par les 3 millions de temps partiels. Ni par les 5 millions de chômeurs. Evidemment, c’est énorme actuellement.  Cela frappe surtout les jeunes, les femmes, les immigrés : c’est donc imposé politiquement, en tout cas, ça ne vient pas des nécessités de la production. Le « précariat » c’est comme les termites, ça creuse les pieds du meuble du CDI, mais il reste un meuble. 85 % des contrats restent des CDI. Entre 29 ans et 54 ans, 97 % des contrats sont des CDI. Le CDI reste majoritaire de façon écrasante avec le Code du travail, statut et/ou conventions collectives. En 25 ans, la durée moyenne du CDI s’est allongée de 9, 6 ans à 11, 6 ans.

Les classes moyennes, sont-ce les « employés » et « ouvriers » ?

La distinction entre ouvriers et employés, fondamentale au début du XXe siècle, s’est estompée. Tout comme celle qui les opposait à la majorité des cadres. Le « col bleu » avait les mains dans le cambouis, en bas, à l’atelier ; le « col blanc » avait des manches de lustrine, en haut, dans les bureaux : le premier semblait défavorisé par rapport au second. Ce clivage si net tout au long du siècle précédent dans l’imagerie populaire, syndicale et politique, a laissé place à un brassage des conditions de travail, de l’hygiène et de la sécurité, des conventions collectives, des salaires et des statuts : aujourd’hui, l’ouvrier peut encore porter des bleus de travail mais œuvrer dans un environnement aseptisé de machines informatisées dont la maîtrise exige un haut niveau de qualification, tandis que l’employé peut effectuer des services sales, déqualifiés et mal payés, notamment dans l’entretien ou l’aide aux personnes.

Il y a environ 9 millions d’employés, et 6 millions d’ouvriers dont 2 millions d’ouvriers d’industrie. Ils sont l’essentiel du salariat selon l’INSEE. Mais des ouvriers d‘industrie qualifiés gagnent plus que des enseignants débutants. Des employés de restauration rapide gagnent nettement moins que des ouvriers. Et en fait,  il est impossible de les séparer des autres « catégories intermédiaires » de l’INSEE.

L’ensemble du salariat est une sorte de toile tissée avec des mailles qui vont bas en haut et de haut en bas. Il y a plus de points communs que de différenciations. On ne vit pas de la même façon à 900 euros, 1 800 euros ou 3 200 euros, mais on est placé devant les mêmes problèmes fondamentaux d’emploi, de droit, de salaire. Et c’est l’existence qui détermine la conscience et qui fait le lien « objectif ». Reste à ce qu’il soit perçu subjectivement : cela ne peut se faire qu’avec une vision claire de la réalité pleine et entière du salariat. Qui la développe ?

Il reste encore une drôle de théorie : ce seraient les salariés qui seraient la « classe moyenne »

Ce serait là une « grande couche moyenne centrale » qui, en travaillant normalement, retirerait les bienfaits du système (capitaliste) et n’aspirerait qu’à en bénéficier davantage. Ce serait les 24 millions d’actifs qui composeraient  la classe moyenne, par opposition à ceux qui ne le sont pas comme les pauvres et les chômeurs. Parfaitement intégrés au marché, les salariés n’y seraient pas hostiles et le voudraient au contraire plus efficace, plus rentable. L’horizon du système capitaliste étant indépassable, il suffirait donc de s’efforcer de mieux faire marcher l’industrie, le commerce, les échanges, l’innovation, la production, la compétition, afin de satisfaire les souhaits fondamentaux de cette « grande couche moyenne » salariée qui ne demande que cela.

La fonction politique de cette analyse est évidente : elle revient à marginaliser tout projet socialiste de gauche, à le réduire à la charité compassionnelle d’une part, à une recherche de rentabilité rationalisée d’autre part, saupoudrée d’une légère redistribution des richesses en « constatant » qu’il n’y a plus de force sociale désireuse d’un vrai changement. Finie la révolution et vive la classe moyenne et ses aspirations sacrées !

Les cris, aussi imprécis que pervers, abondent : pas touche aux classes moyennes (sic) !

Et les commentateurs se répandent en assimilant dans la confusion celles-ci à la fois aux riches, à la fois aux salariés du haut de l’échelle. Appeler le « salariat » « classe moyenne » n’a plus aucune autre fonction conceptuelle et descriptive, c’est une manipulation idéologique. C’est contribuer à l’empêcher de prendre conscience de son immense force collective et de ses revendications légitimes communes.

Cette « théorie » a un immense « hic » : « masquer ce nouveau nom de prolétariat que je ne saurais voir »… elle n’explique pas les mouvements sociaux d’ensemble du salariat de Mai 68 à Nov-Déc 95, de 2003 à 2006 ou 2010… Cela n’explique pas les revendications sociales communes pour les salaires, retraites, durée du travail… ni l’acharnement des employeurs à ne plus vouloir de durée légale commune du travail, ni de Smic, à préférer des « retraites à la carte » et des « contrats » plus que des « lois ».

Car si le Medef veut diviser, atomiser, rendre invisible le puissant et hégémonique salariat c’est qu’ils ont bien peur de cette force sociale, la plus importante la plus décisive du pays, qui  est  la classe qui produit de façon dominante les richesses et qui n’en reçoit pas la part qu’elle mérite.

En vérité donc, non, il n’y a pas de couche moyenne avec ou sans « s ».  Il y a deux classes fondamentales, celle minoritaire et dominante de l’actionnariat et du patronat, et celle majoritaire et dominée du salariat. Les conséquences politiques de cette analyse sont évidemment énormes.

Lire « Salariés si vous saviez… », éd. La Découverte, de Gérard Filoche, 2006 (et de nombreux autres articles depuis 20 ans dans la revue mensuelle D&S).


 

Présomption de salariat contre présomption d’indépendance Emplois non-salariés – Contre emplois-salariés

Ruffin contre Dussopt

 

 

Quel emploi Macron veut-il dans « France travail » ?

Dans un débat en commission de l’ASSEMBLÉE NATIONALE face à François Ruffin, le ministre du travail, Olivier Dussopt a tombé le masque.

Il souligne que la divergence avec François Ruffin qui défend le statut du salariat, c’est que le gouvernement est « pour la présomption d’indépendance ». Il s’agit cette fois clairement posé du choix préférentiel, essentiel, historique, décisif contre l’emploi salarié et pour l’emploi non salarié.

Depuis la première loi Macron de 2015, celui-ci ouvrait la voie au remplacement du contrat de travail par un contrat commercial. (1). Macron proposait de modifier le Code civil pour que dans le cas d’un conflit pour ce type d’emploi, ça n’aille plus vers les prud’hommes mais vers les tribunaux d’instance. Ensuite Macron défendait (notamment dans son livre « Révolution ») une « société sans statuts », une « société post salariale » en supprimant notamment les cotisations sociales (2). Jusque-là le choix de l’ubérisation n’était pas aussi franchement avoué, mais là, Olivier Dussopt tranche explicitement contre l’avis qui, depuis, a été voté en septembre 2021 par la majorité du Parlement européen en faveur de la « présomption de salariat ». Et Dussopt ajoute qu’il « souhaite que ça aille plus loin ». François Ruffin avance les chiffres d’Eurostat selon lesquels la France ne crée pas plus d’emplois salariés que les autres pays, mais qu’elle « explose » en championne des emplois non-salariés avec la Hongrie et l’Estonie. Avec notamment 2,4 millions d’auto entrepreneurs. Et sous le premier mandat de Macron il semble qu’on soit passé de 90 % des actifs salariés à 88 % des actifs salariés. C’est clairement un choix de civilisation inconnu et impensé jusque-là : on a la preuve complète, formelle de la politique suivie par Macron depuis 8 ans, c’est ainsi que tout se décrypte. Des lois anti Code du travail de 2016 à 2017, de la loi anti chômage, des attaques conte tout ce qui provient des cotisations sociales. Il s’agit bien de « Révolution », ou plutôt de « contre-révolution, de la plus grande attaque historique contre le coût du travail en remettant en cause le statut même du salariat. La volonté déclarée, persistante, d’un « grand remplacement » du salariat par une main d’œuvre sans protection sociale, sans retraite, sans horaires, sans droits, ni loi du travail.

le 9 avril 2023

(1) Je dénonçais cela, alors repris dans le Monde Diplomatique en 2015. À l’automne 2015, l’évocation d’une « société sans statut » avait fait dresser l’oreille à qui s’intéresse au droit des sociétés. La formule étant prêtée à Emmanuel Macron, on se demandait si, après avoir orchestré la libéralisation de différents secteurs économiques allant du transport par autocar aux professions réglementées du droit, le ministre de l’Économie préparait une nouvelle forme de société, au sens de l’article 1832 du Code civil, fonctionnant sans statuts. Le 13 juin 2018 Macron se fait siffler devant la  mutualité française en critiquant la société avec statut. À la place de l’EIRL, un nouveau statut unique d’entrepreneur individuel est entré en vigueur à compter du 15 mai 2022 pour toute création d’entreprise …
GDS-DS.orghttp://www.gds-ds.org › lauto-entreprise-le-reve-de-m…11 mars 2019 — C’était écrit dans son livre intitulé Révolution : une « société post salariale », « sans statut ». Sur le coup, les électeurs n’ont pas bien …(2) Ce que je dénonçais dès 2017 dans mon livre « Macron ou la casse sociale ». Les tracts. De la campagne Macron annonçait la suppression des cotisations sociales et lui-même le redit dans un interview devant Edwy Plenel et J-M Apathie

Rappel :

Le social au cœurAuto-entreprise: rêve de Macron, cauchemar des salariés
11/03/2019 | Gérard Filoche

Ces derniers mois, les décisions de justice requalifiant des « indépendants » travaillant pour différentes plateformes de l’économie dite « collaborative » en salariés dotés de droits sociaux se sont multipliées (*) . Mais l’actualité dramatique, marquée par la mort accidentelle de deux « auto-entrepreneurs » en janvier, nous rappelle que même les sentences judiciaires les plus fondées sont bien peu de chose si la volonté politique fait défaut.
Macron, c’est la « France startup », une grande société low cost avec des institutions light. C’était écrit dans son livre intitulé Révolution : une « société post salariale », « sans statut ». Sur le coup, les électeurs n’ont pas bien saisi le vrai sens de ce projet, et, dans le Grand débat, Macron se garde d’en parler, ce qui ne l’empêche pas de clamer qu’il ira « jusqu’au bout » et même qu’il va « accélérer » cette « révolution ».
L’« auto-entrepreneuriat » vient de loin : cela fait dix ans qu’il a été inventé. Conçu par les ultra-libéraux, par Alain Madelin et Hervé Novelli, c’est le droit de s’exploiter soi-même à bas prix. L’auto-entreprise, c’est le monde de Mad Max : l’auto exploitation sans frein.
Flexibilité maximale
Dès 2015, Macron avait œuvré à remplacer le contrat de travail par des contrats commerciaux. « Je le dis aux jeunes : ne cherchez pas des patrons, cherchez des clients », pérorait alors le fringant ministre de Hollande. C’était le retour des besogneux du XIXe siècle. Des journaliers, des tâcherons, des loueurs de bras. Pour faire moderne, on les appelle startupers, développeurs, incubateurs, programmeurs, auto-entrepreneurs (AE), mais ce pseudo-statut archaïque nous ramène avant même les prémisses du mouvement ouvrier.
Les AE voituriers d’Uber sont « souples » – comprenez, flexibles. Ils peuvent conduire 14 h par jour et 100 heures par semaine, sans même toucher le Smic, et ils paient tout : le véhicule, l’assurance, les accidents, les 25 % de commission à Uber. À tel point qu’il ne leur reste rien pour leurs congés, leurs arrêts maladie ou leur retraite.
Ce nivelage vers le bas touche tous les secteurs. Ainsi les pilotes et hôtesses de Ryan Air sont des AE, tout comme des professeurs de boîtes de cours du soir, des nounous, des femmes de ménage, des fabricants de sandwichs dans des chaînes de restauration, des informaticiens, des tailleurs de pierre dans le bâtiment et les célèbres « pédaleurs » de Deliveroo qui livrent les pizzas en des délais records.
Ils n’ont même pas à « traverser la rue », ils s’inscrivent directement en ligne et le paiement des cotisations sociales, des impôts et taxes est regroupé dans un impôt unique et proportionnel au chiffre d’affaires. Il leur faut seulement respecter les plafonds de chiffre d’affaires définis pour la micro-entreprise, c’est-à-dire 70 000 euros par an maximum pour les activités de services, et 170 000 pour la vente de marchandises.
Il existe 1,18 million d’AE sur le papier. Mais 39 % sont « bidon » et seulement 61 % existent dans les faits, soit 729 000. Moyenne de chiffre d’affaires : 1200 euros par mois. Sur ce chiffre d’affaires, le revenu médian mensuel est de 250 euros. 25 % touchent moins de 70 euros. Seuls 10 % dépassent les 1 160 euros.
Réalité de l’auto-entrepreuneriatDu coup, la protection sociale est hyper réduite. Cet état de fait permet aux grandes entreprises d’utiliser ces micro-entrepreneurs sans avoir à les gérer. Les questions d’horaires de travail, de droit aux congés, de formation, de chômage sont désormais à la charge du travailleur « indépendant ».
Il leur suffit de tomber malades pour comprendre. « Je me suis cassé la main dans une chute en vélo en livrant une pizza, je me suis aperçu que j’étais très insuffisamment couvert, ça m’a coûté 6 000 euros, pas à Deliveroo mais de ma poche », peut-on entendre. Certes les jeunes ne pensent pas forcément à l’accident ni à leur retraite, mais, s’ils ne sont pas obligés de cotiser, quand ça arrive, il est trop tard. Pour compenser le pillage qui est au fondement même d’un contrat commercial Uber, il faut travailler plus longtemps, plus durement.
Drame de la sous-traitance
C’est comme cela qu’un ouvrier a été conduit à bosser le 3 janvier 2019 dans les Yvelines, alors qu’il avait 68 ans. C’est même le préfet qui l’a indirectement embauché « dans le cadre d’un statut d’auto-entrepreneur sous-traitant de l’entreprise » chargée de l’entretien de la Préfecture de Versailles. « Cette société avait un contrat avec la préfecture pour le nettoyage des chenaux, précise le directeur de cabinet du préfet Thierry Laurent. La victime était précisément chargée de nettoyer les gouttières ». Le vieil homme, AE de 68 ans, travaillait seul en hauteur ; il est tombé du 3e étage. Les secours, arrivés trop tard, ont juste pu cacher le corps avec des bâches en attendant l’enquête.
Tout employeur donneur d’ordre imposant un travail au-delà des limites physiques, isolé, sans l’ensemble des moyens que la technologie permet pour alléger et sécuriser la tâche, et conduisant à un accident mortel, peut être condamné lourdement pour « faute inexcusable ». Mais là, c’était un auto-employeur…
Même tragédie avec ce jeune de 18 ans, Franck Page.
Mourir à 18 ans pour Uber
Il avait tout l’avenir devant lui. À quoi pensait-il, juché sur son vélo, ce jeudi 17  janvier ? À la danse, à son cours d’éco ? À 18 ans, il était passionné de hip-hop et de break dance, ses amis disaient de lui qu’il était un prodige dans ces disciplines. Il était d’origine ivoirienne, habitait Marmande, faisait ses études d’économie à l’Université de Bordeaux. Pour financer ses études, il travaillait pour le compte de Uber Eats, c’est-à-dire qu’il livrait des repas, payé à la course. Alors qu’il aurait dû être dans un amphi avec une allocation d’étude. Plutôt que d’étudier, il lui fallait pédaler vite, afin d’assurer l’horaire pour que le client mange chaud. Faut il mettre en danger des jeunes étudiants en vélo pour livrer des pizzas à grande vitesse ?
À 13 h 40, à la hauteur de la bretelle d’entrée de l’A 360, dans le sens extérieur de l’échangeur 14 à Pessac Saige-Ladonne, il a été percuté par un camion et est décédé dans l’accident. Le conducteur, un Girondin de 47 ans, ne s’est pas rendu compte du choc et a poursuivi sa course, en le traînant sur plusieurs centaines de mètres, jusqu’à l’entrée de la rocade avant d’être interpellé par un autre conducteur de poids lourd, témoin de la scène, et de s’arrêter.
Les coursiers à vélo sont très souvent victimes d’accidents, rappelle Arthur Hay, de la CGT des coursiers à vélo de Bordeaux. « Nous en avons tous plusieurs par an, heureusement moins graves, mais nous sommes très vulnérables ». Le syndicaliste souligne l’absence de formation aux règles de sécurité, ainsi que la rémunération à la course. « Il faut aller vite, on n’a pas le choix. Si tu respectes le code de la route, tu ne t’en sors pas ».
Quel droit va s’appliquer ? Il est auto-entrepreneur, pas salarié. Ce n’est pas un accident mortel de travail, mais un accident de la route !
Résistances et fuite en avant
Heureusement, des décisions de justice ont été prises contre Uber, en Espagne, en Californie, ou à Londres, et la justice néerlandaise vient de reconnaître à son tour que les livreurs Deliveroo ne sont pas des travailleurs indépendants, mais doivent être considérés comme des salariés.
En France aussi, Uber a perdu plusieurs procès : la Cour d’appel de Paris, le 3 décembre 2018, vient de les condamner. Les juges reconnaissent aisément qu’il existe un « lien de subordination juridique permanent » entre les donneurs d’ordre et les AE. Le Medef a essayé d’argumenter qu’il s’agit d’une « soumission librement consentie », et non pas d’une « subordination juridique ». Rien n’y fait, les juges requalifient quand même les contrats, les accidents : ils peuvent pour cela s’appuyer sur le droit du travail mondial de l’OIT ou européen de l’UE. Mais ces victoires de la jurisprudence ne suffisent pas, il faut que la loi prenne le relais de ces décisions de justice.
Macron et ses épigones n’ont pas du tout l’intention d’aller dans ce sens, au contraire : le député LREM Aurélien Taché vient tout juste de proposer une nouvelle loi, fêtant les dix ans des AE en rendant « universel » ce régime « pour tous les actifs » !
« En cas de cessation d’activité, les AE n’auront pas droit au chômage, mais selon les promesses électorales de Macron ils pourront toucher 800 euros par mois pendant six mois. À des conditions d’accès très restrictives : il faudra avoir travaillé au moins deux ans avec au minimum 10 000 euros de revenus, et être placé en redressement ou liquidation judiciaire. »
Aurélien Taché, poursuit : « Je ne fais pas partie de ceux qui veulent sacraliser le travail salarié (sic). Le travail indépendant est une forme de liberté, de progrès ». Le député macronien persiste et signe. « Je ne suis pas favorable au versement de cotisations par le donneur d’ordre ou les plateformes. Je soutiens plutôt l’idée d’un régime universel, payé par l’impôt, qui assurerait un socle minimum de protection, auquel s’ajouteraient des cotisations du micro-entrepreneur pour accéder à une mutuelle, se couvrir contre tel ou tel risque. [...] L’intérêt d’avoir un système universel est de pouvoir passer d’un statut à l’autre, ce qui deviendra de plus en plus courant dans le futur. »
Ces cotisations volontaires seraient librement choisies par les intéressés eux-mêmes au niveau souhaité. Vous cotisez peu si vous le voulez quand vous êtes jeunes, mais si, plus tard,vous n’avez pas assez de retraite, eh bien, vous travaillerez sur les toits à l’âge de 68 ans !
Ce système macronien pousse jusqu’au bout l’individualisation, la déstructuration de toute sécurité sociale collective. La « révolution » prônée par Macron est bel et bien une contre-révolution.
(*) Cet article de notre camarade Gérard Filoche (Démocratie&Socialisme n°262) est antérieur au report, annoncé le 11 mars, de la décision des prud’hommes de Paris concernant le litige qui oppose 9 chauffeurs de VTC à Uber.

depuis Uber a gagné puis perdu en Californie

en mars 2022 Deliver a été condamné en 1er jugement pour TRAVAIL  dissimule illégal (650 000 euros d’amendes, et 10 mois de prison avec sursis)

depuis le PE a adopté un avis en septembre 2021 en faveur de la présomption de salariat

Avant le 21 juin 1973 il y a 50 ans

en cette année 1973 :

Nixon allait-il être chassé à la suite du scandale du Watergate ?
Le 4 février, 331médecins reconnaissaient, dans Le Nouvel Observateur, avoir pratiqué des avortements, ils risquaient de un à dix ans de prison. Le Mlac (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception) se créait le 9 avril, en même temps que se développait le MLF (Mouvement de libération des femmes).

Le CES Pailleron brûlait.

Le journal Libération cherchait de l’argent pour paraître régulièrement.

Au Chili, l’Unité populaire de Salvador Allende approchait de sa fin.

Au Vietnam, le cessez-le-feu devançait la défaite et la fuite paniquée des soldats américains.

En France, le grand Picasso venait de mourir.

Les luttes ouvrières « exemplaires » continuaient, le gouvernement de Pierre Messmer se voulait de plus en plus répressif, les provocations se multipliaient. Un ouvrier, Pierre Maître, fut tué près de Reims par des commandos armés par un patron. Des défilés se terminaient par des « casses », si bien que les organisations politiques traditionnelles, PCF, PS, et les syndicats décidèrent une grande journée unitaire contre la répression, le 20 juin 1973.

Le 21 juin 1973 et la dissolution de la LC

Cette grande manifestation du 20 juin 1973, personne ne devait s’en souvenir. Je fus chargé par le BP d’organiser, avec Jean Métais, la participation de la Ligue à ce cortège très unitaire. Pour cette initiative, nous avions publié une belle affiche et fabriqué de belles banderoles.

Il y eut 30 000 à 40 000 participants. Toute la gauche était là. La Ligue défila, mais sans enthousiasme particulier, en queue, jusqu’à la gare de l’Est. Nous avions une puissante sonorisation et lancions surtout des slogans pour appeler à l’« autre » manifestation, le lendemain même, pour laquelle nous n’avions pas imprimé d’affiche ni même tenté de faire participer la gauche et les syndicats.

Ce contraste entre les deux initiatives provenait directement des « démons » qui travaillaient à la Ligue.

Il s’agissait d’interdire, ce soir-là, un meeting d’Ordre nouveau, les successeurs d’Occident et les prédécesseurs de Le Pen, à la Mutualité. Les groupes fascistes avaient mis le paquet : depuis plusieurs semaines, ils préparaient ce rassemblement « contre l’immigration sauvage » en collant massivement des affiches. Selon eux, des « hordes d’étrangers » déferlaient illégalement sur la France et ils se proposaient de mobiliser pour s’y opposer.

Alain Krivine, dans le bureau du premier étage de Guéménée, avait griffonné dans son éphéméride : « 20 juin, responsable Roger ; 21 juin, responsable Ludo. » Et la manifestation du 21 comptait bien davantage dans les préoccupations de la majorité du BP. Pour elle, elle était bien plus décisive que le cortège unitaire traditionnel de la gauche la veille.

C’était l’occasion à saisir pour appliquer nos théories sur les « actions exemplaires », imposer par l’autodéfense ouvrière que les fascistes ne puissent tenir le haut du pavé.

BI 30 contre BI 33.

La majorité de l’organisation LCR était depuis plusieurs années, surtout dans la partie activiste responsable du service d’ordre, engagée dans sa logique guérilleriste : préparation à la clandestinité, aides aux groupes latino-américains, espionnage des fascistes, coups de main, formation des chefs de groupe aux sports de combat, à la fabrication de cocktails Molotov, accumulation de matériels, de « planques », écoutes des ondes de la police, etc. Il fallait bien qu’une telle énergie, une telle patience, un tel investissement chez des jeunes trouve son débouché. L’organisation de commandos qui partaient un jour pour Nice « faire la peau aux fachos en fac de droit », qui s’attaquaient à la fac d’Assas, qui allaient aider les copains de Rennes dans une vaste opération contre les fascistes de la CFT (Confédération française du travail) et leurs commandos propatronaux de Citroën, qui rentraient dans un local d’extrême droite pour rafler le fichier de leurs militants, qui lançaient des « bombes » de peinture rouge sur le général sud-vietnamien Ky ou qui envoyaient du matériel d’impression caché dans le moteur d’une voiture jusqu’en Pologne, tout cela constituait autant d’exercices, mais n’était pas à la hauteur des théories professées et des attentes entretenues.

Moi, j’appréciais qu’on envoie un groupe, avec Alex, en Pologne pour monter une opération de sauvetage des archives de Léopold Trepper, l’ex- chef de l’Orchestre rouge, dont Gilles Perrault avait relaté l’histoire50. Cela me semblait utile. Patrick Rotman obtint ainsi la mission d’écrire les Mémoires de celui-ci 51.

Mais je protestais contre l’énergie, que j’estimais gaspillée, mise dans d’autres « travaux » moins bien orientés. Des « commissions spécialisées », comme la CT (commission technique), s’étaient mises en place depuis longtemps, avec différents services et un budget – confidentiel lui aussi – qui ne cessait de grossir. Le BP et plus encore le CC étaient tenus dans l’ignorance de ces activités, pour des « raisons de sécurité », me disait- on. Seuls des camarades comme Alain Krivine ou Daniel Bensaïd, outre ceux qui étaient directement impliqués, comme Michel Recanatti, n’ignoraient rien.

C’est ainsi que je n’ai pas « vu venir » la manifestation du 21 juin 1973.

Ce n’est pas très fort, pour un responsable politique, je l’avoue, mais mon activité principale, à ce moment-là, consistait à préparer les stages de l’été 1973 à Bièvres. Il était prévu, comme l’année précédente, six semaines de formation par groupes de 100 personnes, sur des thèmes très divers, pour des catégories différentes de militants.

Nous faisions les inscriptions, préparions les lieux, les sujets, prévoyions les orateurs… Si les choses avaient été explicitement présentées en BP, j’aurais voté contre le sens qui allait être donné au 21 juin.

J’ai commencé à me douter de quelque chose seulement à la dernière réunion préparatoire de la manif dans un amphi de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Nous y étions plus nombreux que d’ordinaire et il régnait une fébrilité exceptionnelle dans la direction du service d’ordre. Je ne sais plus si Daniel Bensaïd dit : « Inch Allah » ou : « Alea jacta est », mais c’était quelque chose dans ce genre. Alain Krivine, lui, était parti pour un meeting à Nice, ce soir-là. Je compris immédiatement, mais tardivement, ce qui allait arriver, quelques heures après, sur la place du métro Censier, rue Monge, en voyant débarquer les caisses de cocktails Molotov, tandis que se formait le SO du cortège, archi-motivé, casqué et armé de manches de pioche. Direction : la Mutualité.

Même nos partenaires de Révolution !, ce soir-là, cosignataires avec nous de l’appel à interdire la réunion d’Ordre nouveau, furent, d’après certains d’entre eux qui me le confièrent, surpris.

Il est difficile de dire le nombre de « cocks » qui furent lancés, mais sûrement plusieurs centaines, d’après ce qu’on m’avoua longtemps après. Évidemment, aucun militant ne rentre chez lui avec un tel matériel, il fallait donc s’en servir. Et se servir d’un tel stock implique une véritable bataille. C’est ainsi que le militaire l’emporte sur le politique : avec 300 cocktails Molotov au lieu d’une dizaine…

Le cortège remonta la rue Monge jusqu’à hauteur de Jussieu et enfonça le service d’ordre de la police, une fois, deux fois. Il y avait des flammes partout, et un peu d’inquiétude, car parfois les bouteilles incendiaires étaient lancées de trop loin, par certains camarades encore inexpérimentés, et avaient tendance à passer par-dessus nos têtes, arrivant trop près non pas des flics, mais des manifestants. Mais l’ardeur était telle, apparemment, que ce fut la police qui recula… D’ailleurs, elle recula toute la soirée et en plusieurs endroits.

Car si elle finit par nous empêcher d’approcher de la Mutualité, à force de lacrymogènes (l’air était irrespirable), elle ne put disperser le cortège. Nous nous sommes regroupés en bas de Mouffetard et de Monge. C’est alors que nous avons vu venir de Gay-Lussac et d’Ulm un sombre cortège, une masse d’individus casqués, noirs, formant bloc. Nous avons craint le pire, avant de constater, en nous approchant, que c’étaient les nôtres, qui eux-mêmes avaient peur, tellement, de loin, nos propres cortèges ressemblaient… à ceux des CRS. Nous avons fusionné joyeusement pour repartir à l’assaut des vrais CRS, vers Censier, Monge.

La direction de la manif était éclatée. Les informations captées par la CT qui écoutait les radios de la police ne nous parvenaient plus.

Je commençai à chercher une issue avec le secteur du cortège qui était le mien. Nous avons fait demi-tour et mon idée a été de défiler le plus loin possible du théâtre direct des opérations pour limiter les dégâts, déjà importants. Ce n’est pas que je n’aimais pas la bagarre, au contraire, sur le plan physique j’étais excité comme tout le monde, mais encore fallait- il qu’elle ait un objectif utile, compréhensible par les gens « normaux ».

Nous avons remonté le boulevard Étienne-Marcel, tourné boulevard de l’Hôpital. Las, il y avait encore des cars de policiers, ceux-ci curieusement non informés, mais embusqués et coincés là, à Austerlitz, prenant peur et traversant, pour fuir, les rangs de manifestants. Les cars furent chahutés, cabossés, avant de finir contre un poteau de feu rouge, enflammés par les cocktails Molotov. Une fois la Seine traversée, mon objectif de diversion avait pris corps : il consistait en l’attaque du local d’Ordre nouveau, rue des Lombards. Avant d’y parvenir, il y avait encore des cars de police, et l’un, coincé place de la Bastille, prit carrément feu. Là, c’était vraiment trop, nous avons décidé d’aider les policiers affolés à sortir de leur car, assurant l’extinction des flammes et leur sécurité. Je me demandais quand et comment cela s’arrêterait. Alors que nous remontions jusqu’au local de la rue des Lombards, nous étions encore très nombreux. Nous avons réussi à enfoncer la porte, quelqu’un tira et un manifestant à côté de moi reçut des chevrotines dans la tête. Nous avons trouvé des caisses de cocktails Molotov dans ledit local, je me rappelle bien les avoir fait sortir et, dans un instinct de contre-propagande, les avoir exposées pour que des photographes puissent les prendre et témoigner que les autres, en face, étaient armés…

Dans ma tête, ce soir-là, en insistant pour que ces photos soient prises, j’essayais naïvement d’inverser les preuves. Je comprenais tous les effets politiques de ce qui se passait, nous étions tout à fait à découvert, dans une action totalement minoritaire, étrangère et incompréhensible pour des millions de gens qui n’y participaient pas et ne pouvaient la comprendre, donc la défendre. Quelque part, le débat, hier abscons, entre les BI 30 et 33, était tranché, ceux concernant la réintroduction de la violence aussi, l’impatience gauchiste juvénile vis-à-vis d’un Mai 68- qui-devait-resurgir-armé-de-pied-en cap également.

Nous avions aidé « l’histoire à nous mordre la nuque ! »

Le lendemain, toute la presse titrait sur l’émeute. Les photos des cars enflammés s’étalaient partout.

Il fallut attendre Le Canard Enchaîné pour que soit dénoncé l’étrange attentisme de la préfecture de police, qui avait laissé faire, et le curieux manque de consignes et de communication entre les cars de police, qui tombaient à tour de rôle dans des traquenards, face à des segments de manifestations armés.

Les policiers perquisitionnèrent à l’aube au local de l’impasse Guéménée et y arrêtèrent les militants de garde, dont Pierre Rousset. Ils cassèrent tout. Ils trouvèrent les bouteilles placées au premier étage pour la défense du local contre une attaque fasciste. Et aussi, comble de désordre, deux vieux fusils de guerre, archaïques, apportés quelques semaines plus tôt par un individu mal identifié et que la CT avait oubliés là… Les flics mirent aussi la main sur l’éphéméride dans lequel Krivine avait écrit : « 20 juin, responsable Roger ; 21 juin, responsable Ludo. » Le juge lança un mandat pour retrouver « Roger » et « Ludo ». Mais surtout « Ludo », évidemment.

Pendant quelques jours, il y eut incertitude sur ce qui allait arriver de la part de Marcellin et du gouvernement. Une conférence de presse fut organisée dans nos locaux dévastés. Mais nous attendions la décision gouvernementale. Une enquête était ouverte. Serions-nous tous arrêtés ? Ou seulement quelques-uns ? Krivine était à Nice le soir du 21, c’était bien intentionnel, il ne pourrait être accusé…

La décision fut prise au BP de ne plus habiter dans nos appartements habituels. Et même de se dissimuler. Hubert Krivine insistait surtout pour que nous changions de visage, notamment « Ludo ». Celui-ci, au bout de huit jours, se fâcha tout rouge. Il se laissait pousser la moustache avec obstination, mais vu qu’il était imberbe, cela ne se manifestait que par un mince filet de poils. Nous tenions nos réunions chaque fois dans un lieu différent. Nous voilà comme les maos deux ans plus tôt. Belle affaire !

C’est ainsi que nous étions, le 28 juin, dans l’appartement de Jacques Charby (j’appris à cette occasion son aide au FLN pendant la guerre d’Algérie), près de Montparnasse, lorsque le communiqué du conseil des ministres tomba. Nous venions de faire un sondage informel au sein du BP réuni : qui pariait que nous serions dissous ? « Non, ils n’oseront pas », avait répondu la majorité écrasante des camarades, excepté Hubert Krivine et moi. J’étais très pessimiste. En effet, nous avons appris notre dissolution à midi pile, par la radio.

Silence. L’affaire était bouclée. Nous nous sommes regardés. Chacun pensait aux conséquences : le débat national, le débat international, l’organisation, les militants. Comment justifier une telle « connerie » ?page254image1006607472 page254image1006607680 page254image1006607888 page254image1006608096

Le BP fit aussitôt bloc pour survivre. La polémique ne devait éclater que quelques mois plus tard, dans un CC clandestin réuni à Gand, en Belgique. En attendant, il fallait prendre des mesures, de sécurité, de défense de l’organisation, de défense démocratique.

La première mesure consista à cacher Krivine et Recanatti. Alain irait chez Michel Piccoli, Michel en Belgique. Il fallait éviter que tout le BP ne subisse le sort de Pierre Rousset.

La seconde fut de contacter toutes les organisations de gauche pour organiser une contre-campagne vis-à-vis du gouvernement. Cette fois, nous allions avoir besoin du « front unique ».

Je m’y collai : je pris mon bâton de pèlerin pour rencontrer tous les syndicats, tous les partis de gauche. Une camarade, notre trésorière, permanente, qui avait une moto, fut chargée de me véhiculer dans Paris. C’était « Thalou », de son vrai nom Sybille Fasso. Elle me convoya avec patience pendant les semaines suivantes. Dans le cadre de mon mandat pour organiser une défense démocratique unitaire, je rencontrai Louis Astre pour la FEN, rue de Solferino (ce n’était pas encore les locaux du Parti socialiste). Je fus reçu au Colonel-Fabien, mais seulement en bas, dans le hall, par un secrétaire responsable du Bureau politique qui m’écouta poliment sans rien medire.CitéMalesherbes,auPS,Claude Estierm’accueillitchaleureusement et je serrai la main de François Mitterrand. Je fus également reçu square Montholon par des responsables de second rang de la CFDT et me rendis à Louis-Blanc, rue Lafayette, alors local confédéral de la CGT.

Tous les permanents (environ vingt-cinq à l’époque) étaient ventilés dans des locaux différents, le PSU nous prêta deux pièces et un téléphone. Françoise quitta ainsi, forcée et contrainte, la librairie de Guéménée et alla travailler là-bas. Les cellules de militants étaient organisées avec tout un système de « rendez-vous secondaires » rapidement mis en place. Mille militants, sur Paris, plongèrent, de façon parfois très excessive, dans la clandestinité. Nous étions censés prendre des précautions, éviter d’être suivis quand nous nous rendions d’un point à un autre. Nous devions changer de lieu chaque nuit. Je n’allais plus à l’appartement où je logeais, rue Borda, après avoir quitté la rue Saint-Guillaume. Une fois, je fus hébergé pour la nuit, avec « Ludo », du côté de Château-Rouge, une autre fois chez une artiste sympathisante du côté de la Gaîté, ou encore dans un studio de la rue des Arquebusiers, dans le IIIe arrondissement.

Il fallait organiser une réunion unitaire : ce serait au local du PSU, rue Borromée, dans le XVe arrondissement. Je représentais la Ligue. Mais si tous les groupes d’extrême gauche étaient présents, les grandes forces démocratiques manquaient à l’appel. Charles Berg (plus tard connu, nous l’avons mentionné, sous le nom de Jacques Kirschner) était là, pour l’OCI. Ironique, il me faisait des « vannes » privées, hors sujet, mais bien informées, sur les conséquences de notre aventure dans les débats du SU (le Secrétariat unifié de la IVe Internationale devant assumer notre ligne guérilleriste face à la fraction dirigée par le Socialist Worker Party, qui y voyait déjà la conséquence concrète de notre ultra-gauchisme).

Il y avait Alain Geismar, pour moi, un revenant. Il me prit à part pour me donner des conseils fraternels et un peu paternels à partir de son expérience personnelle, quand il s’était retrouvé dans la même situation : comment ne pas se faire prendre ? Que faire ?

Finalement, un curieux meeting unitaire nous serait imposé par le PCF qui sentait le vent : l’opinion de gauche était pour nous. Les staliniens, c’était une première, allaient donc défendre les trotskistes. Ce serait au Cirque d’Hiver, le 4 juillet.

La réunion au local du PSU fut interrompue, on annonçait que la police était là. Les écoutes de la CT qui me parvenaient le confirmèrent. Il fallait que je parte car, apparemment, le seul but de cette présence policière, pour cette réunion-là, c’était moi. On me fit sortir à toute vitesse et enfourcher la moto du jeune Christophe Aguiton (dit « Vartang »), venu me chercher.

En fait, jamais la police n’a vraiment cherché à nous arrêter.

Nous avons eu le temps de lancer un « appel de personnalités » contre la dissolution, pour la libération de Krivine et de Rousset : Michel Rocard, Claude Estier, Jean Poperen, Albert Detraz, Louis Astre, Juliette Gréco, Michel Piccoli, Simone Signoret, Costa-Gavras, Robert Enrico, Laurent Schwartz, Alain Touraine, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Michel Foucault, Michel Leiris, des centaines de noms prestigieux s’alignaient en bas du texte en notre faveur.

Nous avons réussi à ressortir Rouge et une revue spéciale sur les événements, contre Ordre nouveau, contre Marcellin, et nous avons réoccupé les locaux ravagés de Guéménée.

Semi-clandestins, semi-plébiscités

Nos lieux secrets de réunions de BP devenaient de plus en plus « huppés ». Henri Weber avait trouvé un appartement avec piscine sur le toit aux Champs-Élysées. Nous nous retrouvions aussi chez Michel Piccoli, Juliette Gréco. En fait, tout cela représentait pour la police un secret de Polichinelle.

Nous devions trancher : la Ligue serait-t-elle « clandestine », comme les maos, ou allions-nous choisir d’assumer notre défense publique ? C’était absurde de militer clandestinement dans la France de 1973, nous n’étions ni en Argentine ni en Uruguay. Un BP spécial, très tendu, se réunit, rue de l’Université. Il fut décidé qu’Alain Krivine tiendrait une conférence de presse, le lendemain, et qu’il se ferait arrêter s’il le fallait. Il y eut un vote très majoritaire, explicite sur ce point : « pour » qu’Alain se fasse arrêter.

Nous avons appelé le PS, sans nous interroger, cette fois, sur sa nature de classe, pour demander à Charles Hernu de nous prêter le local des élus socialistes et républicains, place de l’Hôtel-de-Ville. Il accepta. À l’aube, Henri Weber réveilla François Mitterrand et Edmond Maire, il leur expliqua à tous deux séparément que Krivine parlerait à la presse et qu’il serait sûrement arrêté. La réponse des deux fut : « Ils n’oseront pas. » Henri insista. François Mitterrand et Edmond Maire se consultèrent et décidèrent, finalement, de venir en personne place de l’Hôtel-de-Ville, mais de n’apparaître que s’il se confirmait que le gouvernement voulait vraiment l’arrêter.

Alain Krivine parla ce jour-là devant une nuée de micros et de caméras. Nous écoutions les radios de la police retransmises par la CB de la CT au Bureau politique, depuis la rue de l’Université. Les abords de la conférence de presse grouillaient de policiers, leur mission était claire : l’arrestation. Avertis par nous, Mitterrand et Maire choisirent alors d’apparaître par une porte de côté, en cours de conférence de presse, et la presse, stupéfaite, les vit soutenir Krivine. Tout s’agitait, c’était l’événement, le maximum de remous. Bien joué ! François Mitterrand demanda à Krivine ce qu’il voulait faire après son speech à la presse. Il offrait, si Krivine l’acceptait, de le faire venir au local du PS, cité Malesherbes. Après consultation par CB et téléphone, notre réponse fut « oui ».

Le cortège de voitures partit de l’Hôtel de Ville pour le local du PS, Krivine entre Mitterrand et Maire. Affolement dans les radios de la police. L’ordre était d’attendre, Alain arriva libre cité Malesherbes. Mais là, que faire ? Y rester ? Mitterrand l’avertit que c’était possible. Nouvelles consultations par téléphone : nous avions voté pour qu’Alain se fasse arrêter, il devait se faire arrêter. Quel sens de rester à Malesherbes au local du PS ? Il devait donc sortir, puisque les flics n’osaient pas le prendre dans les locaux. Alain transmit sa décision à Mitterrand et à Maire, qui montèrent avec lui ce scénario : il sortait, les deux leaders l’accompagnaient jusqu’à la porte de la cité, puis Charles Hernu et Claude Estier iraient avec Alain jusque chez lui, puisqu’il habitait un peu plus bas, rue Saint-Georges. C’est ce qui se passa, on vit Alain Krivine entre François Mitterrand et Edmond Maire sur toutes les photos. Tandis qu’ils marchaient tous les trois, le premier secrétaire du PS commentait sur un ton amusé les détails de l’architecture de la cité, pour, comme il l’avait expliqué auparavant à Alain, « faire naturel » devant les photographes.

Tous les médias retransmirent directement les événements. En descendant la rue Saint-Georges, Alain fut interpellé par un passant solidaire qui lui demanda : « Qu’est-ce que je peux faire pour vous ? » « De l’argent pour l’organisation », répondit-il, et la personne lui en donna. Alain était arrêté chez lui, quelques instants plus tard, par la police enfin décidée à appliquer sa mission. Il resterait à la Santé jusqu’au milieu du mois d’août.

L’opinion évoluait. Le Monde, Le Nouvel Observateur, Le Canard enchaîné, L’Humanité dénonçaient maintenant « le piège de Marcellin ». La Fédération autonome des syndicats de la police, par la voix de Gérard Monatte, s’interrogea aussi sur ce qu’avait vraiment voulu faire le pouvoir.

Les révélations se multipliaient, qui nous rendaient victimes d’une volonté manichéenne du pouvoir. La thèse de la provocation policière prenait une telle importance que la police dut réfuter les arguments un à un. Le ministre de l’Intérieur en personne dut intervenir sur la première chaîne de la télévision : il contre-attaqua et accusa Mitterrand et Marchais de faire le jeu des gauchistes en défendant la Ligue communiste dissoute. Dans ces conditions, le meeting du 4 juillet du Cirque d’Hiver rassembla toute la gauche et fit le plein. « Le Parti communiste français proteste contre la dissolution de la Ligue communiste. » L’Humanité précisait : « La dissolution de la Ligue communiste, l’arrestation de ses principaux dirigeants, c’est d’abord une atteinte aux libertés de tous. » Le seul hic était le veto du PCF au fait que nous parlions au cours du meeting. Ils nous défendaient tout en nous faisant taire.

Il y avait eu beaucoup d’hésitation dans notre BP : une partie des camarades voulait s’orienter vers une activité clandestine prolongée, en attendant, sans doute, le grand soir qui n’allait pas tarder… Il fallait donc mesurer qui d’entre nous allait apparaître en public. Comme j’avais déjà eu la charge de la conférence de presse à Guéménée, comme j’avais pris les contacts unitaires, on m’y colla encore.

Il fut décidé que je me tiendrais à l’intérieur du Cirque d’Hiver avec Jean Métais, qu’Henri Weber serait à l’extérieur avec le SO. Quand j’arrivai dans la salle, derrière la tribune, alors que tous les acteurs se répartissaient l’ordre de parole, j’essayai de négocier encore notre intervention. Jacques Duclos, que j’interpellais, me tourna grossièrement le dos aussitôt. C’est Daniel Meyer, embarrassé, qui me prit par la manche pour me rassurer : « On ne parlera que de vous ! » Certes, mais en nous censurant ! J’interpellai Jean Le Garrec qui allait parler, comme les autres, six minutes au nom du PSU, et lui suggérai de partager la parole à ce moment-là, depuis la tribune. Il refusa. Dans la salle archi-bondée et dehors, où se massaient des milliers de personnes, les cris fusèrent : « Libérez Krivine », « La parole à la Ligue. » Ce fut un chahut monstre. Au fur et à mesure que se succédaient les orateurs, la salle se divisait pour ou contre la « parole à la Ligue ». Je tentai, quand ce fut au tour de Jean Le Garrec, de monter sur une chaise, dans un brouhaha indescriptible, pour demander modestement « trois minutes ». Rien. Seul Duclos, excellent orateur, vieux routier stalinien, força l’attention et les applaudissements de la salle. Mais il est vrai que nous avions la vedette et que la censure nous concernant choquerait ; nous y gagnerions un statut confirmé de double victime de l’ostracisme à la fois du pouvoir et des staliniens. Ces derniers avaient été amenés à nous défendre et à ne pas se rendre sympathiques. Je sortis du Cirque d’Hiver alors qu’Henri Weber, dehors, essayait de parler à la sono, le SO m’entoura et m’emmena jusqu’à la fuite programmée sur la moto de « Thalou ». Nul ne fut poursuivi.

Belle histoire ! Partout en province nos camarades rencontraient une solidarité active, tenaient des meetings nombreux et combles, en cette période de juillet où normalement les gens partaient en vacances. Ils étaient ravis, on parlait de nous partout, nous recrutions, nous nous renforcions spectaculairement.

Ce qui me vaudrait, deux mois plus tard, à la réunion nationale de bilan, un isolement total quand je voudrais critiquer notre « action exemplaire du 21 juin ».

Joe Baxter

La police fit une seule enquête sérieuse. J’avais hébergé, rue Borda, pendant quelques mois, un militant argentin en exil, Joe Baxter, connu comme l’un des fondateurs des Tupamaros, puis comme l’un des dirigeants de l’ERP. Hubert Krivine l’appelait « El gordo » et le respectait infiniment, c’est pourquoi j’étais ravi de le loger. Il était au demeurant fort sympathique, bon vivant et intéressé par la politique « rationnelle » telle qu’on la vivait, selon lui, en France. En fait, il avait plus ou moins rompu avec l’ERP, avec son chef Roberto Santucho, lequel se réclamait davantage de Kim Il-Sung, de Mao Zedong, de Hô Chi Minh et de Castro que de Trotski… et des nôtres. Il me raconta l’histoire de l’ERP et j’appris avec stupéfaction les dégâts idéologiques du militarisme terroriste, les « revues » sur la fabrication des armes « terre-mer » façon armée française, la discipline militaire, les « gradés », les « prisons du peuple » où l’on enfermait les mauvais guérilleros, les sanctions internes, etc.

Joe Baxter avait prévu de quitter Paris le 20 juin 1973 pour Santiago du Chili. Je le vis une dernière fois avec sa compagne, Rosa, place Clichy, avant qu’il ne prenne l’avion pour le Chili où, nous le savions, les choses se gâtaient. Un peu après son arrivée, le 29 juin, il devait y avoir le tancazo, la première tentative de coup d’État de l’armée contre Salvador Allende. C’était une sorte de répétition générale de la droite militaire pour vérifier comment réagiraient les forces vives de l’Unité populaire si les chars sortaient dans les rues. Joe Baxter s’était aussitôt, en bon combattant, rendu dans les entreprises, aux côtés d’Hugo Blanco, et avait constaté l’impuissance dans laquelle se trouvaient les travailleurs pour résister, sans organisation, sans directives et… sans armes ! Les guérilleros locaux ne lui avaient guère inspiré confiance : « J’ai vu des têtes moustachues circuler dans des mini- Austin », disait-il cyniquement en parlant du service d’ordre du MIR allant d’une entreprise à l’autre. Dans son récit téléphonique du 30 juin, il était sévère et désespéré sur les conditions dans lesquelles le mouvement ouvrier chilien pourrait résister si l’armée décidait véritablement de faire un coup d’État. Hélas, on allait le vérifier soixante-dix jours plus tard, quand Kissinger donnerait le véritable ordre de la tuerie à Pinochet.

Mais lorsque, de notre côté, nous avions averti Joe Baxter que nous étions « dissous », il avait hurlé qu’il ne fallait pas plaisanter, que le téléphone coûtait cher… Lui, grand admirateur de la politique rationnelle conçue par les Européens, parti le 20 juin de Paris, le jour calme de la manifestation unitaire contre la répression, ne pouvait imaginer que le lendemain 300 cocktails Molotov brûlaient dans Paris et que le 28 juin Marcellin nous interdisait ! Nous avons dû l’assurer que nous ne plaisantions pas. Il reçut les journaux français, nous rappela… et nous promit une surprise, pour quelques jours plus tard.

La surprise fut amère. Le 5 juillet, l’avion de la compagnie brésilienne Varig devait s’écraser à Orly, faisant près de 300 morts. Les passagers furent asphyxiés par un gaz dégagé à cause de l’incendie d’une matière toxique contenue dans les parois.

La seule enquête sérieuse de la police après le 21 juin fut de chercher à savoir pourquoi le corps de Joe Baxter se trouvait à bord de cet avion en possession d’un faux passeport appartenant à un membre de la IVe Internationale britannique et d’une mallette contenant 40 000 dollars. Les policiers interpellèrent plusieurs de nos camarades, montrant des photos où Joe Baxter sortait du local, impasse Guéménée, en compagnie d’Alex, de Jean-Pierre Beauvais, de moi…

Que s’était-il passé ? On nous l’expliqua ensuite. Joe Baxter, qui était l’un des responsables de l’enlèvement et de la mort de Sallustro, événement que nous avions si bien « suivi » lors de notre IIe congrès à Rouen, avait appris que la Fiat avait passé dans les journaux, en Argentine, des petites annonces pour chercher à contacter la guérilla, les ravisseurs. Elle souhaitait prendre une « assurance » pour que ses cadres et responsables ne soient plus menacés. Joe Baxter, à l’annonce de notre dissolution, était tout simplement allé « vendre » cette assurance et avait pris l’avion de Santiago, puis changé pour la Varig, afin de nous venir en aide… Ce geste et ce sacrifice ne nous servirent pas.

Isolé

Alain Krivine sortit, en pleine forme et rayonnant, de la Santé, sans être autrement poursuivi, au bout de quatre semaines. Toujours chargé de l’apparition publique, porte-parole de remplacement, j’allai le chercher à la porte de la presse, avec la presse. Nous nous sommes aussitôt rendus chez Jean Daniel, au Nouvel Observateur, sur l’entregent de Gilles Martinet, pour rédiger un article sur le marbre avant le bouclage (l’hebdomadaire avait déjà donné un coup de pouce en racontant que Krivine, s’il était à Nice, au fond, c’était parce qu’il n’était pas d’accord avec ce qui se passait ce soir-là dans les rues de Paris…). Puis nous sommes allés chez les parents Krivine fêter la sortie du rejeton.

Le Comité central de la Ligue dissoute se réunit à Gand. Les camarades belges nous firent traverser la frontière séparément sans problème, louèrent une salle et créèrent les meilleures conditions de travail. Sauf que nous ne pouvions conserver les textes soumis au vote, pour des raisons de sécurité. Comme j’en avais gros sur le cœur, j’écrivis une contribution de rupture, très critique, avec ce que nous avions fait. Je voulais que non seulement nous dénoncions les dérives du fameux BI 33, mais que nous en revenions à une orientation de construction sérieuse pour un nouveau parti tourné vers les masses – et non pas soumis aux pulsions gauchisantes.

Je croyais le moment venu de le dire. Mal m’en prit, car il y avait enthousiasme et quasi-unanimité pour approuver l’action du 21 juin ! Je fus maltraité, sinon tout à fait méprisé. Les camarades étaient ravis d’avoir eu l’occasion d’être au centre de l’actualité, ils avaient été fêtés partout en province, traités en héros grâce à notre « hardiesse », s’étaient attiré une sympathie inouïe. Pour la première fois, le PC avait été obligé de nous défendre, de nous soutenir, pas seulement le PC, toute la gauche. Nous avions défié le gouvernement et qu’avions-nous perdu ? Rien, Rouge paraissait, nous étions rentrés dans nos locaux, nous agissions sous le nom du journal, nous recrutions. Certes, nos stages d’été avaient été annulés et nous avions un problème d’identité à terme, mais à quoi bon se plaindre, le bilan était positif !

Il y eut bien quelques nuances. D’une part, les plus gauchistes, partisans du BI 30, voulaient que nous profitions de l’occasion pour nous structurer clandestinement. Puisque, de toute façon, l’explosion sociale était proche, autant transformer un inconvénient en avantage ! La grève de Lip montrait, selon eux, le degré de maturité des travailleurs, l’intervention de la police le 15 août à Palente prouvait la violence du capital, il fallait parfaire l’éducation des militants, des cellules, renforcer le rôle de la CT, lancer de nouvelles « actions exemplaires ». À l’inverse, inclinant plutôt de mon côté, les responsables du « travail ouvrier », Janette et « Radot », minimisaient le rôle des « actions exemplaires », les subordonnant à notre travail syndical, mais ne voulaient pas s’opposer sérieusement, ni surtout engager un débat avec toutes ses conséquences prévisibles.

J’obtins une voix, une seule, la mienne, sur mon texte.

J’étais isolé.
Presque dix ans de militantisme, une grande crise révolutionnaire sans

précédent et c’était, pour moi, l’échec. Que faire ? Baisser les bras ? J’y songeais.

Nous avons tous changé nos pseudos. À l’heure où, trente ans après, la Ligue a abandonné ceux-ci, il n’y a plus guère de mystère, sauf, un peu de jeu, de mémoire, de sourires, à ce propos. Nous nous appelions toujours par nos pseudos dans les réunions, dans les BI, si bien que, de longues années après, je reconnais certains visages sans avoir jamais su le vrai nom correspondant. On me dit : « Mais si, Untel, tu sais, qui a été longtemps à la Ligue… » Et je ne sais pas du tout qui est Untel. Parfois, je mélange, ou je confonds, à cause des changements consécutifs aux dissolutions de 1968 et de 1973. Façonné, j’ai encore des scrupules réflexes, alors que ça n’a plus d’importance de donner à la fois le nom et le pseudo.

Dans une réunion de BP clandestine… sur les Champs-Élysées, je choisis « Matti » à cause de mon admiration pour ce héros de Brecht. Charles Michaloux s’emballa : « Alors, je choisis Puntila. » « Chiche ! » Il y renonça pour le nom d’une ville où il avait été élevé enfant.

La Ligue issue du Mai du quartier Latin était morte, mais elle ne le savait pas encore.

Interdite en symétrie d’Ordre nouveau, rangée dans l’extrémisme, elle était certes sympathique à de petites franges, mais étrangère à la grande masse de ceux qui allaient, peu à peu et de plus en plus, placer, de 1973 à 1981, leurs espoirs dans l’Union de la gauche.

La dissolution officialisait pour nous la fin de ces cinq années de bouillonnement où nous espérions que Mai 68 allait reprendre à tout moment.

Nous vivions dans une illusion de Mai des barricades, alors que le Mai massif, ouvrier et jeune survivait en profondeur. Nous avions fini par nous identifier au Mai mondain dont la presse nous renvoyait l’image, car il parlait de nous. Nous désespérions de comprendre le Mai social et de nous y mêler.

Même Alain Krivine ou Daniel Bensaïd expliquaient dans les médias que nous étions « nés en mai », alors que la LC était une section de la IVe Internationale créée en 1939 par la volonté de Léon Trotski. Nous passions ainsi plus pour des étudiants que pour un courant du mouvement ouvrier. Le pire, c’est que nous avions rompu avec le mouvement traditionnel des étudiants en rêvant chaque matin du grand soir. Sans doute, par ces impatiences, ce gauchisme, avions-nous gâché les chances de construire un nouveau parti de gauche. Car s’il y a eu une « fenêtre » pour y parvenir, ce fut bien dans ces années 1968-1973. La LC, hélas, s’est mise dans une mauvaise voie, dans un mauvais réseau, et a raté tous les wagons et trains successifs.

La Ligue, avec retard sur les éphémères maos, se trouvait confrontée au mur de la réalité. Non, le « vieux » mouvement ouvrier n’était pas relégué dans les poubelles de l’histoire. Non, la social-démocratie n’était pas définitivement morte. Et nous n’allions pas mordre la nuque de l’histoire ni ranger le mouvement étudiant puis la classe ouvrière directement – universités rouges et usines rouges – sous notre bannière triomphante !

Le Chili, Lip, le Mlac, l’antimilitarisme et une nouvelle élection présidentielle allaient encore nous occuper avant qu’au congrès de décembre 1974 une autre page de l’histoire de la Ligue ne s’ouvre, celle du débat de tendances et de l’Union de la gauche.

 

 

 

une autre version gauchiste de l’évènement :

https://www.mediapart.fr/journal/politique/150123/21-juin-1973-quand-l-extreme-gauche-ecrasait-le-fascisme-dans-l-oeuf

21 juin 1973 : quand l’extrême gauche écrasait le fascisme dans l’œuf (vraiment ultra gauche)

Le 21 juin 1973, à l’appel de la Ligue communiste, des milliers de manifestants casqués et armés prennent d’assaut un meeting raciste d’Ordre nouveau protégé par la police. Tournant dans l’histoire de l’extrême gauche de l’après-1968, cette manifestation reste un souvenir vivant de l’antifascisme et de son actualité.

par. Mathieu Dejean

15 janvier 2023 à 11h18

IlIl est minuit passé, au soir du jeudi 21 juin 1973, quand les membres de la « commission technique » (CT, ancienne CTS, « commission très spéciale ») de la Ligue communiste se retrouvent à leur point de rendez-vous, une brasserie parisienne en face de la gare de l’Est. La CT est la direction du service d’ordre de la Ligue, qui s’occupe des actions extralégales. Michel Recanati (pseudonyme : Ludo), en charge de la manifestation coup de poing contre le meeting d’Ordre nouveau à la Mutualité, attend ses camarades de pied ferme.

Ils arrivent au compte-gouttes. Michel Angot (Laszlo, pour les camarades) fait son entrée. Recanati l’envoie aux toilettes se laver le visage, noir de la fumée des cocktails Molotov – 400, saura-t-on plus tard – qui ont déferlé sur les policiers durant les heures précédentes, faisant 76 blessés. Le militant avait traversé tout Paris en métro sans s’en rendre compte. Les huit membres de la CT sont dans un état second, dopés à l’adrénaline.

 

La une de « Rouge » en 1973, après la manifestation du 21 juin et la dissolution de la Ligue communiste.  © Illustration Simon Toupet / Mediapart

L’analyse des événements commence, dans une odeur d’essence suspecte. « Une analyse militaire », précise aujourd’hui Michel Angot, le regard aussi clair que sa mémoire. Sur une feuille, dans son appartement parisien, l’ancien militant de la Ligue dessine un plan du Quartier latin, de l’arrêt de métro Censier-Daubenton à la Mutualité, que relie la rue Monge – le terrain des affrontements. Tout avait été méticuleusement planifié.

Cinquante ans plus tard, c’est tout un monde enfoui qui resurgit. Une époque où le consensus social pour interdire la parole à l’extrême droite était acquis, où une extrême gauche aux méthodes de plus en plus musclées rayonnait au point d’obtenir le soutien de la gauche officielle, du Parti socialiste à la CFDT. Et où les actions de cette journée déboucheront sur la dissolution, ordonnée le 28 juin 1973 par le gouvernement, de la Ligue communiste (LC) et d’Ordre nouveau.

Une « petite déviation militariste »

Gérard Chaouat, spécialisé dans les « aspects techniques », avait mis au point des appareils récepteurs pour écouter les communications de la police. Des camarades avaient discrètement dissimulé du « matos », la veille de la manifestation, sur l’itinéraire prévu – barres de fer et autres pieds de biche, déposés dans de fausses caisses du service de la voirie de la Ville de Paris. Une voiture amènerait des bouteilles derrière les arènes de Lutèce, pour les cocktails Molotov. Avec les nouvelles chaussettes en nylon et un mélange d’essence et de pétrole testé préalablement, l’explosion à l’impact est spontanée.

La CT, composée de militants triés sur le volet, baigne dans une culture révolutionnaire mâtinée de violence politique. Celle-ci est omniprésente dans le contexte post-68. Dans les débats de la Quatrième internationale, l’influence de la « guerre de guérilla » en Amérique latine ou des Zengakuren au Japon (des fédérations étudiantes organisées en redoutables commandos casqués) est palpable. Avec les Brigades rouges en Italie et la Fraction armée rouge en Allemagne, l’escalade de la violence déborde l’extrême gauche.

En France, le service d’ordre (SO) de la Ligue affronte déjà depuis quelques années des milices patronales aux méthodes musclées, comme la Confédération française du travail aux usines Citroën de Rennes. L’assassinat du militant maoïste Pierre Overney, tué par un vigile de Renault en 1972, a jeté un froid. Les groupes maoïstes, la Gauche prolétarienne en tête, analysent la situation comme « préfasciste ». Sa « branche armée », la Nouvelle Résistance populaire, dirigée par Olivier Rolin, passe à la clandestinité.

C’est dans ce contexte bouillant que la CT a travaillé. A posteriori, Michel Angot reconnaît, en euphémisant, une « petite déviation militariste »« À partir du moment où tu fais des opérations de plus en plus professionnelles, où tu chiades l’armement des camarades, tu structures les troupes, tu parles avec un langage militaire, on peut dire qu’il y a eu cette tentation militariste », dit-il.

Le 21 juin 1973, donc, les manifestants arrivent par groupes de vingt, avec des rendez-vous secondaires pour perdre les policiers. Place Monge pour le SO, métro Censier-Daubenton ou Cardinal-Lemoine pour les autres. Un ultime « PC » (poste de coordination) est prévu rue Monge, dans l’appartement d’une camarade situé, idéalement, au cinquième étage. C’est de là que sont filmées les images aériennes de la manifestation dans le film de Romain Goupil (un des dirigeants du SO à l’époque) Mourir à trente ans« Notre stratégie était de descendre la rue Monge vers la Mutualité : elle présente l’avantage d’être en pente, assez large pour faire une manif de front, et il y a deux lignes de métro, la 7 et la 10, dont une ne serait pas surveillée », raconte Michel Angot.

 

Article du journal « Rouge » le 15 juin 1973.

L’ancien du lycée Buffon (XVe arrondissement) – où il se bagarrait déjà avec le futur secrétaire général d’Ordre nouveau, Alain Robert –, un des rares du SO à ne plus être étudiant en 1973, avait posé trois jours de congés en amont. Rouge, l’hebdomadaire de la Ligue, avait appelé, dans son édition du 15 juin, « tous les antifascistes à exiger en commun l’interdiction du meeting prévu le 21 juin à Paris par les nazis ».

« Si le pouvoir laisse faire, nous prendrons nos responsabilités […] : le meeting d’Ordre nouveau ne se tiendra pas », prévenait le journal. Le groupuscule d’extrême droite, adepte des ratonnades, et qui faisait office de service d’ordre du tout jeune Front national, comptait lancer une campagne sur le thème : « Halte à l’immigration sauvage ».

Le Bureau politique (BP) de la Ligue, dont plusieurs membres sont issus de familles juives portant la mémoire du génocide, répond par le mot d’ordre : « Écraser la peste brune ». « La décision unanime du BP a été d’empêcher le premier grand meeting fasciste après 68 de se tenir. C’était en plus une vraie provocation, car il devait avoir lieu au Quartier latin, c’est-à-dire chez nous », rapporte Janette Habel (pseudonyme de Jeannette Pienkny), la seule femme membre du BP.

Les maoïstes de La Cause du peuple, de L’Humanité rouge et de Prolétaire-Ligne rouge, ainsi que Révolution ! (dite « Révo », une scission de la Ligue), ont répondu présents – ils auront une place dans le SO de tête. On leur prête un rôle important dans l’avalanche de cocktails Molotov, qui a surpris même les plus aguerris. « Sur la nécessité d’écraser le fascisme dans l’œuf, il n’y avait pas l’ombre d’une divergence entre nous », rapporte un des dirigeants de Révo à l’époque, qui préfère taire son nom.

La gauche officielle, liée depuis peu par le Programme commun, préfère défiler calmement le 20 juin contre le racisme et pour « l’élargissement de la liberté » – « un sommeil organisé, avec pour fin les élections », raillera quelque temps plus tard Philippe Gavi, fondateur deux mois plus tôt de Libération, quotidien d’obédience mao.

Le BP de la Ligue donne des consignes claires : un affrontement limité, qui marque le coup. La CT prend la tâche très au sérieux. Elle peut s’appuyer sur un SO digne d’une véritable organisation bolchevique, composé d’anciens lycéens de Mai-68, qui ont souvent fait leurs armes au Front universitaire antifasciste (FUA). Certains ont côtoyé Pierre Goldman, connu pour son expérience des combats de rue. Il aurait sûrement été de la partie s’il n’avait pas séjourné en prison en 1973.

Débordement général

Le soir du 21 juin, entre 3 000 et 5 000 personnes font irruption rue Monge, casquées pour la plupart et le visage dissimulé derrière un foulard. L’esthétique zengakuren saute aux yeux. « Quand on a appelé à cette manif, les gens savaient pourquoi ils venaient, la violence était prévue. Les gens venaient là pour interdire un meeting, pas que pour dénoncer », analyse Alain Cyroulnik, « Cyroul » pour les intimes, membre de la CT. Quelques slogans sont lancés : « Ordre nouveau, ordre fasciste ! » Les minutes d’attente des derniers arrivants avant l’assaut semblent longues.

À l’avant, les militants de Révo s’impatientent de ce désordre un peu trop ordonné à leur goût : « On se demandait quand la LC allait déclencher les hostilités », rapporte l’un d’eux. Le SO de la Ligue, informé de la structuration du cortège par des estafettes à mobylette, finit par sonner la charge. « On se tenait par les coudes, très serrés les uns derrière les autres. On a avancé, c’était fort et massif. Il devait y avoir quinze ou vingt rangs de gens casqués, alors qu’il n’y avait que cinq ou six rangs de SO ! », s’étonne encore Michel Angot. La première rangée de brigades spéciales qui barre la rue ne fait pas le poids. Elle éclate. Des deux côtés de la voie, des groupes de lanceurs de cocktails Molotov, commandés respectivement par Alain Cyroulnik et Michel Angot, font leur œuvre incendiaire.

« Les cocktails Molotov pleuvent, c’est un miracle qu’il n’y ait pas eu de morts dans l’affrontement, ç’aurait été possible », se remémore Janette Habel. Certains policiers, tombés entre les trotskistes, sont exfiltrés tant bien que mal. Le SO a interdiction absolue de faire des « victimes de campagne ». « Je suis personnellement intervenu quand j’ai vu un flic par terre, j’ai dit aux camarades que c’était la peste brune qu’on voulait écraser », rapporte Cyroulnik.

Après le choc contre le deuxième barrage policier, obligé de reculer, la manifestation se disperse progressivement, sous la protection du SO. Un peu plus tard, deux cents militants qui ne s’étaient pas dissous franchissent le pont d’Austerlitz pour faire une descente au local d’Ordre nouveau, rue des Lombards, près des Halles. Romain Goupil et Alain Cyroulnik, qui sont du commando, rapportent les faits à Recanati dans le bistrot de la gare de l’Est, au milieu de la nuit. Personne ne bronche.

Le meeting contre l’« immigration sauvage » a eu lieu en très petit comité. Les « rats noirs » ont rasé les murs.

Dans le chaos, alors qu’une chaîne retenait la dernière porte blindée, un coup de fusil a été tiré par un des membres de l’organisation d’extrême droite – un militant de quatorze ans. Un document interne d’Ordre nouveau parle d’une main arrachée côté trotskiste. Cyroulnik dément : « Ils avaient un fusil, un militant paniqué a tiré, mais il n’y a pas eu de blessés. » « On a tous entendu parler de ça, mais on n’a eu aucun camarade blessé le 21 juin, c’est d’ailleurs complètement dément », assure Michel Angot.

À chaud, gare de l’Est, les membres de la CT font un bilan globalement positif. Certes, ils n’ont pas atteint la Mutualité, mais le SO d’Ordre nouveau est resté sagement derrière les policiers. Le meeting contre l’« immigration sauvage » a eu lieu en très petit comité. Les « rats noirs » ont rasé les murs.

« Même Reca [Recanati – ndlr] ne s’est pas dit que c’était peut-être une bavure, on n’a pas pensé que ça pouvait mettre l’organisation en péril, car au BP personne ne s’y était opposé », rapporte Angot. Le cinéaste Bertrand Tavernier, proche des trotskistes lambertistes de l’Organisation communiste internationaliste (OCI), regrettera même qu’ils n’aient pas rejoint cette action, jugée trop « gauchiste ».

Crise interne à la Ligue

La troupe d’élite du SO ne mesure pas la crise dans laquelle cette action va plonger l’organisation. Le lendemain, Pierre Rousset, membre du BP, est arrêté lors de la perquisition policière au siège de la Ligue communiste. La rumeur d’une dissolution imminente se propage. Alors que les trotskistes se cachent chez des artistes sympathisants (Michel Piccoli, Juliette Greco, Jean Seberg, Marguerite Duras…), un clivage latent depuis 1972 explose entre la tendance jugée « gauchiste », incarnée notamment par Daniel Bensaïd (« L’histoire nous mord la nuque », disait-il), et la tendance dite « ouvriériste » défendue par Janette Habel et Gérard Filoche.

Janette Habel, présente à l’arrière de la manifestation le 21 juin, ouvre les hostilités. Lors d’une réunion clandestine du BP chez le comédien Jacques Charby, elle dénonce leur aventurisme. Les moyens techniques utilisés étaient totalement disproportionnés et risqués, accuse-t-elle. « La critique porte sur le fait qu’on y voit une véritable autonomisation du SO par rapport à la direction de l’organisation. Quatre cents cocktails Molotov, très bien faits, plus les pieds de biche, ça faisait beaucoup. Une discussion très houleuse commence », relate celle qu’on appelait alors « la Cubaine ».

Au-delà même des rangs de la Ligue, toute l’extrême gauche s’interroge sur les leçons à tirer.

Henri Weber et Daniel Bensaïd, qui assuraient le lien entre le BP et la CT, étaient-ils informés de l’ampleur des moyens mobilisés ? Le doute demeure. « Je crois que tout le monde, indépendamment des divergences qu’on a pu avoir, a été surpris, car je suis formelle : on n’était pas au courant. Il n’y a eu aucune prévision au BP des risques que cette affaire faisait courir », affirme Janette Habel.

Au-delà même des rangs de la Ligue, toute l’extrême gauche s’interroge sur les leçons à tirer. L’historien Benjamin Stora, membre de la direction de l’OCI, l’organisation trotskiste rivale de la Ligue, rapporte ce séisme dans La Dernière génération d’octobre : « L’épisode du 21 juin laissa des traces dans toute l’extrême gauche, y compris dans nos rangs. Bien sûr l’OCI n’avait jamais plaidé pour l’exemplarité d’une violence avant-gardiste [...]. Mais la tentation du gauchisme extrême, pouvant basculer dans le terrorisme, touchait des secteurs significatifs de la jeunesse et n’épargnait aucune organisation toujours prompte à convoquer des services d’ordre, très “équipés”, pour les manifestations. »

Après l’annonce de la dissolution de la Ligue communiste et d’Ordre nouveau par le gouvernement, et une réunion clandestine du comité central où la minorité est traitée violemment de « droitière », il est convenu que la défense de l’existence démocratique de l’organisation doit primer, plutôt que le passage à la clandestinité. Alain Krivine doit se laisser arrêter. Il tient une conférence de presse rue de Rivoli, dans un local prêté par le Parti socialiste (PS), où Charles Hernu l’accueille. L’ex-leader étudiant de Mai-68 y dénonce un coup monté par le ministre de l’intérieur, Raymond Marcellin, qui aurait sciemment sous-équipé les policiers pour pouvoir dissoudre la Ligue.

Dans ses mémoires, Krivine maintient : « Nous ne comprîmes que plus tard que nous étions tombés dans un piège. En sous-équipant ses hommes en grenades lacrymogènes, Raymond Marcellin espérait souder la police contre l’extrême gauche et développer un syndicalisme policier d’extrême droite face à la Fédération autonome des syndicats de police (FASP), proche du Parti socialiste et alors largement majoritaire. »

Il apparaît ensuite devant les caméras au siège du Parti socialiste, cité Malesherbes, flanqué de François Mitterrand et d’Edmond Maire, le secrétaire général de la CFDT.

 

Edmond Maire et François Mitterrand entourent Alain Krivine avant son arrestation le 28 juin 1973, au siège du Parti socialiste.  © Photo collectif RaDAR

Le 4 juillet 1973, la gauche officielle tient meeting au Cirque d’hiver pour défendre la Ligue. L’avocat de la Ligue des droits de l’homme, Yves Jouffa, joue un rôle clé d’entremetteur. Signe des temps, et union de la gauche oblige, même le vieux dirigeant du Parti communiste (« un parti stalinien de la plus belle eau », dixit Janette Habel), Jacques Duclos, prend la parole pour se solidariser de la Ligue et réclamer la libération d’Alain Krivine. En contrepartie, les trotskistes ne s’expriment pas à la tribune.

« Paradoxalement, la dissolution de la Ligue a accru son audience et crédibilisé son image auprès du mouvement ouvrier, dont les communistes. Le courant que représente la LC a été pleinement admis au sein de la gauche après cet événement qui aurait dû la marginaliser », analyse le sociologue Ugo Palheta, militant du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA). Après une courte période de sommeil, la LC se reforme sous le nom de Ligue communiste révolutionnaire (LCR).

« Le FN aurait pu mourir à ce moment-là »

En 1987, quand Alain Krivine jette un coup d’œil  dans le rétroviseur, il considère la date du 21 juin 1973 comme une rupture : « La dissolution de la Ligue en 1973 clôt une époque. Celle de l’action directe, dans la rue. […] La montée de l’union de la gauche, la renaissance du Parti socialiste, l’apparition d’une solution électorale transformaient les conditions de notre intervention politique. »

L’extrême droite, elle, est accablée. D’autant plus que les antifascistes ne les lâchent pas. « Ils étaient moins présents dans la rue, mais on les surveillait : on avait récupéré des fichiers de fafs à la fois à leur local rue des Lombards et à Assas [suite à la mise à sac de leurs locaux dans l’université par la LC et les lambertistes, en 1971 – ndlr], raconte Michel Angot. Quand il y a eu l’éclatement avec le GAJ [Groupe Action Jeunesse], qui était très violent, ils ont commencé à s’affronter, on les a manipulés, si bien que quand le Parti des forces nouvelles [PFN] issu d’Ordre nouveau apparaît deux ans après, c’était un tout petit truc sans légitimité, accroché au FN. »

« Le FN aurait pu mourir à ce moment-là, abonde Ugo Palheta. Ils sont au fond du trou, notamment après l’échec absolu de leur campagne aux législatives de 1973, financée par des fonds du MSI [héritier du fascisme italien – ndlr]. Le Pen ne peut d’ailleurs pas se présenter à la présidentielle en 1981, et le PFN, qui drague la droite libérale voire gaulliste, non plus. La ligne d’indépendance totale du FN vis-à-vis de la droite traditionnelle ne lui permettra de percer que plus tard, dans les années 1980. »

Jean-Pierre Tatin, qui militait à Ordre nouveau, note toutefois que sur le moyen terme, Jean-Marie Le Pen tire son épingle du jeu : « La dissolution donne une chance inouïe à Le Pen. Il était isolé, et il devient le chef du seul mouvement légal. Il n’a plus de rival. Commence une guerre qui va durer dix ans. » La crise de l’antifascisme et l’institutionnalisation de l’extrême droite sont encore loin.

Dans un dialogue, publié en 1974, avec le journaliste à Libération Philippe Gavi et le dirigeant de la Gauche prolétarienne Pierre Victor (pseudonyme de Benny Lévy), Jean-Paul Sartre tire le bilan de cette période. Considérant l’évolution du contexte national et international, il estime que le passage de relais entre les générations militantes d’extrême gauche implique un changement de tactique.

« Nous, nous envisagions la prise du pouvoir comme une nécessité mais les moyens que nous envisagions étaient bien vagues, considère le philosophe. [...] On se battait de toutes ses forces et puis on finissait par se dégonfler. Ce n’est pas comme ça désormais que les choses se passeront. On se battra, mais pas à la manière militaire ; de quelle manière ? C’est ce qu’il faut préciser. » Cinquante ans plus tard, la question reste entière.

Mathieu Dejean