Une rotule cassée au lieu de deux

Le 20 juin, Nicolas Sarkozy estimait en présentant son projet de loi contre les retraites qu’un salarié devait avoir un taux d’incapacité supérieur ou égal à 20 % pour conserver la retraite à 60 ans. Il estimait que cela concernerait 10 000 personnes sur 24 millions de salariés. En gros, il fallait les deux poumons remplis de poussière, la colonne vertébrale immobilisée, deux rotules cassées, ou deux coudes et poignets paralysées par des TMS (troubles musculo-squelettiques). Un « collège d’experts » tripartite, médecins du travail, syndicats sous direction patronale devait évaluer sérieusement le degré d’usure des corps des humains au travail et sélectionner ceux qui « bénéficieraient » de ce privilège.
Depuis juin, Nicolas Sarkozy a « entendu la rue » avec 2,7 millions de manifestants le 7 septembre : alors, très sérieusement, il a réexaminé le degré d’usure des corps humains au travail et estimé dans sa grande sagesse, que désormais 10 % d’incapacité suffiraient : avec un seul poumon, une seule rotule, un coude, et un poignet, la moitié de la colonne vertébrale paralysée, des dérogations deviendraient possibles  pour que 30 000 salariés sur 24 millions partent en retraite à 60 ans.
Le Figaro a présenté cela triomphalement comme une « avancée ». Les médias qui roupillent d’ennui à la seule évocation de la « pénibilité » ont écrit que Sarkozy faisait des concessions.
Mais les notes de l’Elysée ont cru bon de définir ladite pénibilité selon trois critères. Le premier concernerait la soumission au port de charges, avec des gestes et postures pénibles : cela concerne, selon les spécialistes, de façon continue, régulière, dangereuse, plus d’un salarié sur 5, soit 5 millions d’entre eux. Pas 30 000. Les TMS constituent 85 % des maladies professionnelles en fait. Le deuxième critère serait l’exposition à des atmosphères polluées, cancérigènes, toxiques dangereuses : là on sait qu’il y a 10 000 cancers d’origine professionnels qui sont reconnus mais qu’en France, tous les scientifiques estiment que c’est une sous estimation généralisée par rapport aux autres pays d’Europe, le vrai chiffre est probablement entre 50 000 et 70 000. Il y a 100 000 salariés menacés de mort par l’amiante. Pas 30 000.
Le troisième critère serait la contrainte à des horaires atypiques : travail de nuit, travail postés, cycles irréguliers. On sait que cela concerne plus d’un salarié sur cinq : soit 5 millions pas 30 000. Le travail de nuit, nuit à la santé, 10 ans de travail de nuit, c’est 15 ans de vie dépensés : 3 millions de salariés, 14,3 %, travaillent la nuit, pas 30 000. Tout le monde a entendu parler des 3 x 8, 4 x 8, voir 5 x 8. Le travail posté concerne 66 % des salariés de la métallurgie, 54% dans le caoutchouc, 53% dans le verre, 53% dans l’automobile, 47% dans le papier, la police, l’armée, les pompiers, les métiers de la santé et des transports et courriers terrestres, maritimes puis aériens sont « postés ». cela ne fait 30 000 personnes. Mais Nicolas Sarkozy a décidé que les patrons présideraient des « commissions » (avec une médecine du travail affaiblie et subordonnée) qui trieraient comme des bestiaux, non plus les 10 000 mais les  30 000 « lauréats » qui garderaient le droit de partir à 60 ans, un peu avant de mourir… On s’étonne que ce mépris des humains au travail ne provoque pas plus de dégoût généralisé, face à une telle arrogance, une telle ignorance de la vie de 92 % de la population active, salariée, de notre pays.

Gérard Filoche

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