Suicide d’un vieil homme grec : « - ainsi, je n’aurai pas à fouiller les poubelles pour assurer ma subsistance ».

Selon le correspondant du Monde à Athènes, Alain Salles, le pharmacien à la retraite a laissé une note manuscrite, non signée. Dimitris Christoulas y revendique la portée symbolique de son acte : « Puisque mon âge avancé ne me permet pas de réagir de façon dynamique (mais si un Grec attrapait une Kalachnikov, je serais juste derrière lui), je ne vois pas d’autres solutions que cette fin digne de ma vie. Ainsi, je n’aurai pas à fouiller les poubelles pour assurer ma subsistance. » Il a ajouté : « Je crois que les jeunes sans avenir prendront un jour les armes et pendront les traîtres de ce pays sur la place Syntagma, comme les Italiens l’ont fait avec Mussolini en 1945. »

La lettre fait également référence au « gouvernement Tsolakoglou », le premier gouvernement collaborationniste, pendant l’occupation allemande. Certains manifestants dénoncent régulièrement « l’occupation de la troïka » en la comparant à l’occupation nazie. Une affiche placée sur le cyprès accusait : « la junte des prêteurs l’a assassiné », assimilant le Fonds monétaire international, la Commission européenne et la Banque centrale européenne au régime des colonels qui a plongé le pays dans la dictature de 1967 à 1974.

Environ un millier de personnes a afflué sur les lieux du drame en début de soirée. Au pied d’un cyprès, elles ont déposé des bouquets de fleurs et des dizaines de messages appelant notamment « au soulèvement du peuple ».

La plupart des manifestants, silencieux et émus, refusaient de parler aux médias mais certains scandaient le mot « Assassins ». « Soulevez-vous, son sort sera le sort de nous tous », « Que cette mort soit la dernière de citoyens innocents. J’espère que les prochaines victimes seront les politiciens traîtres », pouvait-on lire sur les notes déposées par les Athéniens. La police a bouclé l’avenue longeant le Parlement.



Vendredi 6 Avril 2012 à 05:00 | Lu 2310 fois I 9 <http://www.marianne2.fr/Grecs-l-UE-est-en-train-de-nous-tuer-_a216828.html?com#comments> commentaire(s)
Greek Crisis – Blogueur associé <http://www.marianne2.fr/author/Greek-Crisis/>
Historien et ethnologue, ancien correspondant en France pour la revue grecque Nemecis, Panagiotis… En savoir plus sur cet auteur <http://www.marianne2.fr/author/Greek-Crisis/>
S’abonner à Marianne+ <http://plus.marianne2.fr> Imprimer <http://www.marianne2.fr/Grecs-l-UE-est-en-train-de-nous-tuer-_a216828.html?print=1> Augmenter le texte <javascript:void(0)>      Diminuer le texte <javascript:void(0)>

Au lendemain du suicide d’un homme de 77 ans à Athènes, Panagiotis Grigoriou décrit l’atmosphère qui règne dans les rues de la ville. Selon notre blogueur associé, l’indignation a laissé place à l’envie de se venger.

<javascript:void(0)>
(Sur la place de la Constitution, à Athènes, où un septuagénaire s’est suicidé mercredi – Thanassis Stavrakis/AP/SIPA)


« Le gouvernement d’occupation de Tsolakoglou [1] a littéralement anéanti tous mes moyens de subsistance, qui consistaient en une retraite digne, pour laquelle j’ai cotisé pendant trente-cinq ans (sans aucune contribution de l’Etat). Mon âge ne me permet plus d’entreprendre une action individuelle plus radicale (même si je n’exclus pas que si un grec prenait une kalachnikov, je n’aurais pas été le dernier à suivre), je ne trouve plus d’autres solutions qu’une mort digne, ou sinon, faire les poubelles pour me nourrir. Je crois qu’un jour les jeunes sans avenir prendront les armes et iront pendre les traîtres du peuple, sur la place Syntagma, comme l’ont fait en 1945 les Italiens pour Mussolini, sur la Piazzale Loreto, à Milan », a écrit le pharmacien âgé de 77 ans, avant de mettre fin à ses jours sur une pelouse de la place Syntagma, mercredi.

Rapidement, durant toute la journée du 4 avril, la nouvelle du suicide sur la place de la Constitution a fait son chemin. Hormis les médias, la rue fut un vecteur essentiel de la nouvelle et surtout de sa portée. Car c’est précisément ce vecteur essentiel qui est créateur de lien politique.

De bouches à oreilles et en mouvement perpétuel. Dans la rue et en plein air, fertilisant les idées et formant les consciences. C’est ainsi que nous avons pris connaissance de sa dernière lettre, tout comme nous avons appris que ces dernières vingt-quatre heures, cinq autres personnes ont « opté » pour le suicide en Grèce. Inlassablement, et de la même manière, « virements automatiques définitifs », imposés par le régime bancocrate. Le dernier suicide connu, tard dans la soirée de ce 4 avril, fut celui d’un homme de 38 ans en Crète, un albanais vivant et travaillant chez nous depuis longtemps, père de deux enfants, chômeur de longue durée. Il s’est jeté du balcon de son domicile.

A Athènes, c’est à partir de midi que le suicide du matin a pris de l’ampleur dans le syllogisme collectif. Dans un bistrot du centre ville, un jeune homme s’est montré gêné, car « le malheureux aurait pu se suicider chez lui ». Aussitôt, une femme a répliqué en rappelant « que cet acte, est d’abord un acte politique, au-delà de son aspect tragique, car cet homme s’est suicidé pour nous et pour nous faire réagir, sur cette même place des manifestations, devant le Parlement ». Le jeune homme a compris.

J’ai senti la portée de cet acte se transformer en fait politique majeur au fil des heures. A midi déjà, des gens étaient sur place. Puis, dans l’après midi et vers le soir, des centaines de personnes redevenaient des témoins actifs du temps présent. Des manifestants lycéens et étudiants se sont rendus devant le monument du soldat inconnu (entre la place et le Parlement), tandis qu’au même moment, les premières compagnies de MAT (CRS) se précipitèrent sur la place.

Au pied du cyprès, des anonymes ont déposé des bouquets de fleurs, des cierges et des dizaines de messages manuscrits appelant notamment « au soulèvement du peuple » : « soulevez-vous, son sort sera le sort de nous tous », « salopards gouvernants, un jour nous vous suiciderons » , « le sang du peuple va vous noyer », «  la liberté ou la mort », « vengeance » , pouvait-on lire sur ces messages écrits, le maître-mot n’étant plus « l’indignation » mais « la vengeance ».

Le soir la place s’est remplie davantage. Notre police prétorienne, œuvrant pour les occupants, intérieurs et extérieurs, a chargé comme d’habitude. Parmi les citoyens passés à tabac par les policiers, il y avait une jeune journaliste de la chaine ANT-1. Puis, il y a eu des interpellations, et tout cet usage de la chimie habituelle. Alchimies encore, du régime bancocrate. Les politiciens ont peur de la rue et nous le savons. Dans l’air du temps, il y a aussi les élections, d’ailleurs toujours hypothétiques, enfermant pourtant les représentations des partis de gauche dans un carcan tristement étriqué. Un vieil homme que j’ai rencontré sur la place vers 21 heures, alors très ému, les larmes aux yeux, s’est adressé à un groupe de jeunes ainsi : « Pour une révolution, il faut du sang, prenez les armes et tuez-les.»

Ce jeudi matin sur la place Syntagma, il y avait encore l’odeur de la chimie policière mais aussi celle de la vie, la nôtre. Nous étions là, autour du cyprès, porteur désormais de nos messages et surtout du sien : « Ce n’est pas un suicide, c’est un assassinat politique. » Puis ce nouveau graffiti sur le marbre : « Le nom du mort devait être Papandréou, le nom du mort devait être Samaras, le nom du mort devait être Karatzaferis… »

Par la radio (real-FM), on apprend qu’hier également une retraitée a mis fin à ses jours en Italie. « Je ne pouvais plus vivre d’une retraite ainsi amputée », fut son ultime message.

Décidément, les messages ultimes de ce genre se multiplient à travers la zone euro. Notre pharmacien étant un enfant des temps de l’occupation et de la famine de 1941, il a bien détecté l’odeur de l’époque et le mauvais vent. L’occupation revient, et pas seulement dans les stéréotypes. Peu importe si c’est autrement. L’éditorialiste Trangas (real-FM) tient Madame Merkel pour responsable de cette nouvelle mauvaise Europe. Mais sur la place Syntagma, on pense que c’est plutôt l’Union européenne qu’il faut briser. « Eh Grecs, l’UE est en train de nous tuer », a crié un homme devant le cyprès.

Les membres d’une équipe de documentaristes venus d’Allemagne se sont confié, il y a quelques jours, à un de mes amis : « Cette Europe est morte, elle fait du mal à tout le monde. » C’est dommage, je n’ai pas pu les rencontrer.

Jeudi midi, Athènes sous une pluie fine, douceur.

[1] Le général Georgios Tsolakoglou, signataire de l’armistice avec les forces allemandes, fut le premier chef du gouvernement grec sous l’Occupation, nommé par les nazis. Un poste occupé du 30 avril 1941 au 2 décembre 1942. Son nom en Grèce est synonyme de « collaborateur ».

Retrouvez Panagiotis Grigoriou sur son blog <http://greekcrisisnow.blogspot.fr/2012/04/le-nom-du-mort.html> .

10 Commentaires

  1. Pierre
    Posted 5 avril 2012 at 10:52 | Permalien

    La logique de la Finance et de la banque c’est la logique de l’extrême, dans tous les domaines. C’est cela la ‘rupture’ et elle a lieu au niveau européen. Les marchés affichent un cynisme ‘decompléxé’. ce qu’ils ont fait en Grèce et qui n’est qu’un debut, ils se preparent à le faire dans d’autres pays europeens. La Grece est pour eux une sorte de laboratoire experimental.Leur obsession et premier objectif est de privatiser les secteurs public.
    Avant d’envisager la moindre negociation avec le monde financier, il faut garder à l’esprit la remarque de W.Buffett, grands financiers americains, qui ne cache pas ses intentions quand il dit tres simplement : « Il y a une lutte des classes aux Etats-Unis, bien sûr, mais c’est ma classe, la classe des riches qui mène la lutte. Et nous gagnons. »
    Peut on faire des compromis avec eux ?

  2. Tom
    Posted 5 avril 2012 at 13:28 | Permalien

    Il n’y a qu’une solution et non seulement pour la Grèce. Certaines personnes commencent à le comprendre.

    « Au pied d’un cyprès, elles ont déposé des bouquets de fleurs et des dizaines de messages appelant notamment « au soulèvement du peuple ». »

  3. Gilbert
    Posted 5 avril 2012 at 17:55 | Permalien

    « J’espère que les prochaines victimes seront les politiciens traîtres », pouvait-on lire sur les notes déposées par les Athéniens.

    Ils ont les mêmes « socialistes » que nous ?

  4. Posted 6 avril 2012 at 4:27 | Permalien

    Le Pasok n’est pas le PS
    Le PS n’est pas le PSE
    Il n’y a pas de fatalité à perdre

  5. Posted 6 avril 2012 at 4:28 | Permalien

    non

  6. Jo
    Posted 6 avril 2012 at 4:41 | Permalien

    Horrible ! Il faut d’abord pendre haut et court tous les Goldman Sachs, JP Morgan, toute cette clique de voleurs et d’assassins !

  7. Kali
    Posted 6 avril 2012 at 4:41 | Permalien

    En complément, l’article de Panagiotis Grigoriou ( blog passionnant…) :
    http://greekcrisisnow.blogspot.fr/2012/04/le-nom-du-mort.html

    Extrait :
    Le soir la place s’est remplie davantage. Notre police prétorienne, œuvrant pour les occupants, intérieurs et extérieurs, a chargé comme d’habitude, Parmi les citoyens passés à tabac par les policiers, il y avait une jeune journaliste de la chaine ANT-1. Puis, il y a eu des interpellations, et tout cet usage de la chimie habituelle. Alchimies encore, du régime bancocrate. Les politiciens ont peur de la rue et nous le savons. Dans l’air du temps, il y a aussi les élections, d’ailleurs toujours hypothétiques, enfermant pourtant, les représentations des partis de gauche dans un carcan tristement étriqué. Un vieil homme que j’ai rencontré sur la place vers 21h, alors très ému, les larmes aux yeux, s’est adressé à un groupe de jeunes ainsi : « pour une révolution, il faut du sang, prenez les armes et tuez-les ».

    Ce jeudi matin sur la place Syntagma, il y avait encore l’odeur de la chimie policière mais aussi celle de la vie, la notre. Nous étions là, autour du cyprès, porteur désormais de nos messages et surtout du sien. « Ce n’est pas un suicide, c’est un assassinat politique », puis ce nouveau graffiti sur le marbre : « Le nom du mort devait être Papandréou, le nom du mort devait être Samaras, le nom du mort devait être Karatzaferis… ».

  8. Samir
    Posted 8 avril 2012 at 0:23 | Permalien

    Hollandréou l’ami de la city organise un apéritf géean à vincennes … Merkel sera là parait-il ..

    Pour moi c’est Mélenchon !

  9. CAYROL
    Posted 28 avril 2012 at 16:08 | Permalien

    Avant d’arriver à la même situation en France, une seule solution : Révolution Citoyenne avec le Front de Gauche et Mélenchon ! Économisons les larmes et le sang du peuples, ils n’ont que trop coulé, attaquons-nous radicalement et politiquement au capitalisme financier responsable de ces situations. L’HUMAIN D’ABORD !

  10. Posted 29 avril 2012 at 11:00 | Permalien

    « l’insurrection civique » cela ne peut pas exister, c’est une erreur théorique, qui vous illusionne en masse et vous déçoit…
    il peut y avoir une insurrection sociale, et en résultat une victoire dans les urnes,
    mais il ne peut y avoir de victoire à froid dans les urnes sans un puissant mouvement social
    voila pourquoi certains pleuraient le 22 au soir à Stalingrad : parce qu’ils avaient cru en une théorie fausse, et ils ne comprenaient plus ceux qui, comme moi, leur disait a juste titre que 11 % c’était un bon score.
    syndiquez vous reprenez les choses par le bon bout, la lutte sociale,

One Trackback

  1. [...] Suicide d’un vieil homme grec : « - ainsi, je n’aurai pas à fouiller les poubelles pour assur…. [...]

Déposer un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera jamais transmise.

*