L’OCDE nouveau partisan des euro-obligations. Qu’en penser ?

L’OCDE, nouveau partisan des euro-obligations

Le Monde.fr avec AFP | 22.05.2012 à 15h15 • Mis à jour le 22.05.2012 à 15h15  - Pier Carlo Padoan, économiste en chef de l’OCDE, a pris parti en faveur des euro-obligations, mardi 22 mai. | Andrew Wheeler
Dernier soutien en date des euro-obligations, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui présentait mardi 22 mai ses perspectives pour 2012 et 2013, a pris parti dans le vif débat sur les euro-obligations.
C’est le Financial Times qui rapporte que Pier Carlo Padoan, chef économiste de l’institution, a expliqué que « la consolidation budgétaire seule, sans autre élément de croissance, pourrait réduire à néant les chances d’union économique viable à long terme ».
« Nous devons nous engager sur le chemin de l’émission des euro-obligations, et le plus tôt sera le mieux », a-t-il déclaré. Tout soutien à la croissance est le bienvenu, en somme, un discours qui rejoint celui de François Hollande. « Un ensemble de mesures à l’échelle de l’Union européenne renforcerait l’activité en Europe, directement et indirectement, en boostant la confiance et en rééquilibrant les efforts budgétaires au sein de la zone », peut-on également lire dans le rapport.
L’OCDE juge qu’en plus des réformes entreprises par les Etats, la Banque centrale européenne pourrait poursuivre une politique d’assouplissement monétaire, par le biais de son programme de rachat d’obligations souveraines (SMP).

Pierre Moscovici a concédé mardi matin qu’il existait encore un « désaccord majeur » avec l’Allemagne sur les eurobonds. Le ministre de l’économie et des finances et son homologue allemand ont fait connaissance avant la réunion informelle des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne mercredi à Bruxelles.

Berlin a redit, de son côté, son opposition aux euro-obligations, et confirmé que son opposition sera valable « aussi en juin », lors d’un prochain sommet européen, selon l’AFP, qui rapporte les propos d’un responsable du gouvernement allemand.

Les euro-obligations sont-elles une solution au problème de la dette publique ?

Les « euro-obligations » ont le même objectif que les plans d’austérité, la réforme de la gouvernance européenne ou la « règle d’or » : « rassurer les marchés financiers ». Mais cet objectif reste, là encore, hors d’atteinte.

La création d’« euro-bonds » ou d’euro-obligations est, à l’origine, une proposition du président de l’eurogroupe, Jean-Claude Junker, et du ministre de l’Economie et des Finances italien, Giulio Tremonti. Cette proposition avait été rendue publique dans une tribune du Financial Time, le 5 décembre 2010 où ils affirmaient que l’Europe devait apporter la preuve « de son engagement politique en faveur de l’union monétaire et économique et de l’irréversibilité de l’euro ». Cette proposition avaient été rangée dans les tiroirs européens pendant plus de six mois avant que le rebond de la crise de la dette au cours de l’été 2011 n’amènent Junker et Tremonti à relancer leur projet dans une tribune du même Financial Time, le 1er août 2011. Poussée par la crise de l’été 2011, la Commission européenne annonce qu’elle présentera un rapport sur le sujet « après l’été ».

La proposition de Junker et Tremonti consiste à opérer une mutualisation partielle des dettes publiques européennes

La création du Fonds européen de stabilité financière (FESF) en juin 2010 était déjà un pas en ce sens puisque ce fonds permet de prêter aux pays qui ne pouvaient pas refinancer leur dette publique sur les marchés financiers à des « taux raisonnables ». Les prêts de ce fonds, réservés aux  pays membres de la zone euro, sont garantis par les gouvernements de la zone euro en fonction de leur part dans le capital de la BCE.

La création d’euro-obligations, émises par une Agence européenne de financement, constituerait cependant un pas beaucoup plus important puisqu’il s’agirait de regrouper les émissions de titres de la dette publique des Etats de la zone euro. Ces émissions, garanties par l’ensemble des Etats de la zone euro devraient permettre d’obtenir des taux d’intérêt beaucoup plus bas auprès des marchés financiers pour les Etats-membres en difficulté. Les Etats de la zone euro devraient, en effet, bénéficier – c’est ce qui est souhaité – de la crédibilité allemande.

Ces euro-obligations devraient permettre de faire face aux attaques spéculatives menées contre les dettes souveraines en « rassurant les marchés financiers ».
Seules seraient, cependant, concernées les émissions de titres ne dépassant pas 40 % du PIB d’un pays. Au-delà de ces 40 %, les Etats devraient payer un taux plus élevé (fixé par les marchés) pour leurs propres émissions de titres de la dette publique. Les euro-obligations n’auraient donc pas vocation à se substituer aux dettes publiques des Etats-membres.

Le premier emprunt obligataire du FESF, émis pour financer le prêt à l’Irlande en janvier 2011, avait rencontré un important succès et avait renforcé la proposition de Jean-Claude Junker et de Giulio Tremonti. Alors que le FESF ne souhaitait lever que 5 milliards d’euros, l’émission avait attiré prés de 500 investisseurs internationaux (38 % venaient d’Asie) et leur demande globale atteignait 44,5 milliards d’euros. Cet emprunt était garanti par 14 pays de la zone euro. Il avait obtenu la note AAA des agences de notation. Son taux d’émission de 2,9 % était bas, supérieur de 0,5 point, cependant, au taux des obligations allemandes de même durée. Ce qui expliquait en partie son succès.

Les dirigeants politiques européens sont partagés

Le SPD, le Parti social-démocrate allemand, est pour l’adoption d’un tel système.
La CDU, le parti au pouvoir d’Angela Merkel refuse, à la fin de l’été 2011, cette perspective. Jens Weideman, le dirigeant de la banque centrale allemande (la Bundesbank) n’a pas hésité à déclarer, quant à lui, qu’il n’y avait « rien de mieux pour détruire rapidement et durablement une solide politique budgétaire qu’une prise de responsabilité commune des dettes des Etats… »[1] <#_ftn1> Il est vrai que le système des euro-obligations devrait avantager les pays qui ne peuvent emprunter sur les marchés qu’à des taux élevés mais désavantager un pays comme l’Allemagne qui emprunte à 10 ans, en août 2011, au taux de 2,40 %.
Pour Angela Merkel, les « eurobonds » seraient « une erreur absolue »[2] <#_ftn2> .

Le Parti Socialiste Européen qui regroupe l’ensemble des partis socialistes et sociaux-démocrates européens a pris position « pour » un système d’euro-obligations mais le parti socialiste espagnol s’est prononcé « contre », à la différence du PASOK, le parti socialiste grec.

La solution de Junker et Tremonti présente, cependant, deux inconvénients majeurs

Elle ne changerait rien au montant des dettes publiques actuelles

Les nouvelles dettes publiques seraient en partie « européanisées » mais les dettes publiques actuelles n’auront pas disparu pour autant. Il faudra toujours continuer à payer les intérêts annuels de la dette et rembourser les titres de cette dette qui arriveront à échéance. La France devra toujours continuer à débourser plus de 130 milliards d’euros par an pour le service de sa dette publique : le remboursement du capital (83 milliards d’euros en 2010) et le paiement des intérêts (50,5 milliards d’euros). L’actuelle dette publique grecque sera toujours là et la Grèce aura toujours un problème de solvabilité et non un simple problème de liquidité : la Grèce ne peut pas rembourser sa dette, elle ne dispose pas des ressources suffisantes pour le faire. Les euro-obligations ne changeront rien à cet état de fait. Les plans d’austérité continueraient à fleurir dans tous les pays européens pour payer les intérêts de cette dette et diminuer le montant de la dette publique elle-même, même si l’émission d’« euro-obligations » pouvait permettre (ce qui n’est pas du tout sûr) de baisser le taux de ces intérêts, pour les dettes nouvellement émises au profit des pays les plus fragilisés.

On ne voit pas comment les spéculateurs pourraient être «rassurés»

En effet, la dette publique d’un Etat ne serait garantie que jusqu’à 40 % de son PIB (ou 60 % selon la proposition de l’économiste Jacques Delpla). Or, toutes les dettes publiques européennes dépassent ces 40 % et la plupart se rapprochent dangereusement des 100 %. Les marchés financiers ne seraient donc en aucune façon « rassurés » sur la part de la dette dépassant ces 40 %, qui ne serait garantie que par les Etats emprunteurs. Or, c’est bien la crainte d’un défaut de certains de ces Etats qui pose problème aux spéculateurs.

Pire, la priorité du remboursement accordée (dans la proposition de Junker et Tremonti) aux « euro-bonds », rendrait encore plus aléatoire qu’aujourd’hui le remboursement des dettes au-delà de 40 % (ou de 60 %). Certes, Junker et Tremonti précisent que l’agence qui émettrait ces obligations pourrait même financer la totalité des émissions des pays ayant de grandes difficultés à accéder au marché. Mais cela deviendrait impossible en cas d’extension de la crise de la dette à l’Espagne et à l’Italie.

De toute façon, l’idée que les obligations émises par une agence de financement européenne pourraient bénéficier de taux identiques ou peu éloignés des taux allemands a maintenant du plomb dans l’aile. En l’absence d’un véritable budget européen, en effet, la confiance attribuée à ces euro-obligations dépendrait de la confiance accordée à ses Etats-membres puisque ce sont eux qui garantiraient le paiement de la dette européenne. Il n’est donc pas du tout indifférent d’observer que la situation a bien changé depuis le début de l’année 2011. Les marchés financiers n’ont plus aujourd’hui seulement des doutes sur la Grèce et l’Irlande. Ils en ont aussi, maintenant, sur les dettes publiques portugaise, espagnole et italienne. Les taux, supérieurs à 6 % (3,5 points de plus que les taux allemands) demandés lors des émissions de titres des dettes publiques espagnoles et italiennes en témoignent. Sans parler des taux portugais qui, durant l’été 2011, ont dépassé les 12 %.

Avec un système de garantie des émissions d’euro-obligations de l’agence européenne identique à celui utilisé pour le FESF, nous l’avons vu dans la réponse à la question précédente, près de 37 % du total des garanties de cette agence proviendraient d’Etats en difficulté. L’Italie apporte, en effet, une garantie de 17,91 % au FESF ; l’Espagne une garantie de 11,90 % ; la Grèce 2,82 % ; le Portugal 2,51 % ; l’Irlande 1,59 %. Il n’est pas sûr que cela « rassure » vraiment les spéculateurs et que derrière la façade des euro-obligations ils n’aient pas la curiosité de s’intéresser à la santé financière des Etats-membres censés garantir leurs créances. Aller voir derrière la façade, c’est bien ce qu’a fait Standard and Poor’s qui affirmait lundi 4 septembre 2011 « Si nous avions une obligation européenne garantie à 27 % par l’Allemagne, 20 % par la France et 2 % par la Grèce, la note serait alors « C », soit celle de la Grèce [3] <#_ftn3>  ». Standard & Poors’s prévient qu’elle ne tiendra aucun compte des notes AAA de l’Allemagne et de la France mais que seule comptera pour elle la note « C » de la Grèce.
Les euro-obligations n’auraient de sens que si elles pouvaient permettre de prêter à la Grèce (ou à un autre pays en difficulté) en bénéficiant de taux proches des taux allemands. Comment croire, après cette déclaration de Standard & Poor’s qui ne fait qu’exprimer les craintes des opérateurs financiers, que ce vœux puisse se réaliser ?

Il faut bien le constater, la volonté de « rassurer » les marchés financiers mène à chaque fois à l’impasse.

La valeur  des  titres  des  dettes  publiques  serait-elle  modifiée  en cas  d’échange ?

Jean-Claude Junker et Giulio Tremonti proposent que l’Agence européenne de la dette puisse échanger des obligations publiques d’un pays membre de la zone euro contre des euro-obligations. Ils précisent que le change se ferait selon une option « discount » et que les titres des dettes publiques des Etats-membres, (détenus le plus souvent par les banques et les assurances) se verraient infliger, lors de cet échange, un rabais lié à la pression qu’ils subissent de la part des marchés financiers.

Il est, cependant, possible de s’interroger sur l’importance d’un rabais qui toucherait directement les banques et les assurances, principales détentrices des titres des dettes publiques des cinq pays actuellement dans le collimateur des spéculateurs : la Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne et l’Italie. Surtout quand on constate comment la participation de ces mêmes banques et assurances au financement de la dette grecque, annoncée à grands coups de tambour en juillet 2011, se réduit comme peau de chagrin quand il s’agit de la concrétiser.

Le communiqué du G7 du 8 août 2011, publié à la suite de la chute des cours boursiers durant la semaine précédente ne laisse quant à lui guère de doute sur ce que serait un tel « rabais ». Dans ce communiqué, en effet, les ministres des Finances et banquiers centraux du G7 assurent que « l’implication du secteur privé dans le cas du règlement des problèmes de dette publique de la Grèce est une mesure exceptionnelle et ne sera en aucun cas appliquée à un autre membre de la zone euro ».

Sans ce « rabais », l’opération d’échange reviendrait à refuser d’entériner la perte de valeur des titres des dettes publiques constatée par les marchés financiers eux-mêmes sur le marché secondaire, le marché boursier qui est un marché de l’occasion où sont achetés et vendus les titres déjà émis par les Etats. Cela reviendrait à considérer que la valeur nominale des titres de la dette publique doit être garantie quoi qu’il arrive pour permettre aux banques et aux compagnies d’assurance de ne pas subir la moindre perte. Dans cette optique, les euro-obligations seraient une nouvelle forme de transfert de la dette privée des banques et des compagnies d’assurance vers une dette publique européenne. Une sorte d’«  européanisation » de ces dettes privées.

L’émission d’euro-obligations pourrait être positive

Dans le cadre d’une annulation partielle des dettes publiques à l’initiative des Etats-débiteurs, après qu’un audit public aurait permis de décider démocratiquement quelle part de la dette devait être remboursé et quelle part était illégitime et ne devait pas l’être, une émission d’euro-obligations pourrait apporter un complément utile à la solution du problème posé par les dettes publiques. Mais, en aucun cas, ces euro-obligations ne doivent se substituer au droit démocratique des peuples européens concernés d’annuler totalement ou partiellement une dette publique qu’ils jugeraient illégitime. Les euro-obligations pourraient, enfin, avoir une tout autre utilité que celle de tenter vainement de « rassurer les marchés ». Elles pourraient être utilisées à financer des grands projets d’avenir pour l’Union européenne. Cela serait un progrès considérable mais il se heurterait aux traités européens en vigueur.

Extrait de “Dette indigne” chapitre 6  Chavigné/Filoche -  Ed JC Gawsewitch, 14,9 euros, 240 p


[1] <#_ftnref1>  « Mobilisation politique contre la chute des bourses en Europe » – Le Figaro – 05/08/2011.

[2] <#_ftnref2>  Marina Torre « Le débat se radicalise sur les « eurobonds » – La Tribune – 15/09/2011.

[3] <#_ftnref3>  Le Monde.fr avec AFP et Reuters : « Les Bourses européennes décrochent, le CAC 40 passe sous les 3 000 points » – 05/09/2011.

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