Quelle était l’ambition de la commission d’enquête parlementaire concernant la forfaiture Cahuzac? Tenter de prouver que les membres du gouvernement ont été embarrassés, gênés par les révélations de Mediapart à partir du 4 décembre 2012? Il est probable qu’il y ait eu des échanges informels, intraçables, des gênes, des passivités, des envies de nier, d’éluder, des espoirs que l’affaire fasse « pschiiitt », tant que Cahuzac lui-même, le coupable, niait effrontément, « les yeux dans les yeux ». L’important est qu’aucun acte réel confirmé, d’entrave, n’ait empêché la vérité d’éclater, comme cela a été souligné, en 117 jours, entre le 4 décembre et le 2 avril 2013.
D’autres questions me tentent: Pierre Moscovici explique que son collègue menteur était un bon ministre et qu’ils ont fait un bon et gros travail ensemble, soit « six lois budgétaires et fiscales ». Y avait-il un Dr. Jekyll et un Mr. Hyde dans la personnalité bien carrée, arrogante et droitière de Cahuzac? Était-il partagé entre un bon côté, celui qui luttait contre la fraude fiscale, et un mauvais côté, celui qui fraudait fiscalement? Nul ne peut croire cela, puisqu’il a fallu attendre sa démission, ses aveux, pour qu’une loi soit mise en chantier pour lutter vraiment contre ladite fraude.
Ses collègues au gouvernement, et son ministre de tutelle, lui ont ils fait confiance de juin 2012 à mars 2013 pour aller chercher les 60 a 80 milliards de fraude fiscale? Pourquoi l’ont ils laissé dire à la télévision que « la réforme fiscale était faite »? Y aurait-il eu une complicité intellectuelle, politique, si forte avec Cahuzac que nul n’ait vu alors qu’il était plus « juste » de traquer les fraudeurs fiscaux que les petites retraites, les allocations familiales ou les points d’indice des bas salaires des petits fonctionnaires? Est-ce que l’orientation du gouvernement appliquant la rigueur budgétaire était conciliable avec une impasse sur la recherche et la taxation des 590 milliards d’avoirs français dans les paradis fiscaux, dont 108 milliards en Suisse? Comment, politiquement, Cahuzac est-il arrivé, avec ses convictions, dans le casting gouvernemental? Comment a-t-il pu augmenter son autorité politique – jusqu’à révélation de sa forfaiture – dans l’élaboration et la mise en oeuvre des choix fondamentaux du gouvernement: car le budget, c’est essentiel, n’est ce pas? Delphine Batho se l’est vu rappeler avec force.
On voit que c’est seulement en 2014, que la colonne « recette » du budget envisage 2 milliards issus de la lutte contre la fraude fiscale? D’ailleurs pourquoi seulement 2 milliards? Si on recrutait 2000 inspecteurs des impôts et plus de 50 magistrats (dans le nouveau parquet financier) cela pourrait être bien plus que 2 milliards, non? Il est vrai que cela n’était même pas envisageable sous Cahuzac. Sous Cahuzac il n’y avait pas que la fraude de l’individu, il y avait aussi, en dépit des proclamations, des affichages, un refus de facto de lutter contre la fraude fiscale de masse. Ça, ça vaut bien des questions qui n’y ont pas été posées par la commission De Courson.
Et ça vaut aussi bien des enseignements: comment faire une loi pour que les citoyens aient les moyens d’interférer pour que à l’avenir, fisc et parquet, administration et justice, soient saisissables et contraints de mettre tous les moyens nécessaires à la traque de ceux qui fraudent la République en « optimisant », en contournant, en trichant sur leurs obligations vis a vis de la collectivité?
Gérard Filoche est l’auteur de Le choc, après Cahuzac (128 pages, juin 2013, 9,90€) et de La dette indigne (240p. 14,90€) aux éditions Gawsewitch.