Stopper le scandale de travailleurs « détachés : la montagne va t elle accoucher d’une souris ?
Les employeurs ont trouvé le moyen de faire baisser le cout du travail avec la venue des salariés « détachés » de divers pays d’Europe. Le nombre de salariés détachés déclarés atteignait 170 000 en 2012, il a été multiplié par 10 en dix ans, ils seraient 220 000 en 2013. Il faut doubler ces chiffres pour tenir compte des salariés détachés non déclarés. Ils sont 40 % dans le BTP et même plus de 50 % avec les intérimaires (20 %), 15 % dans l’industrie et 10 % dans l’agro-alimentaire.
Le ministre Sapin a promis de faire feu de tout bois contre cette gangrène. Las !
Le projet de loi « Savary » tel qu’il est écrit ce 15 décembre 2013 est un pistolet à eau pour endiguer ce fléau pour l’emploi, les caisses de la sécurité sociale et les salaires.
L’article 1 oblige le donneur d’ordre à déclarer la sous-traitance, auprès de la DIRECCTE.
L’article 2 vise à encadrer les détachements « intra-groupe » lorsque la maison mère est située hors de France, et qui disposent d’un établissement sur le sol français qui volontairement n’emploie pas directement de salariés ou très peu, l’activité normale de cet établissement étant assurée par des salariés « détachés » d’autres établissements afin de s’exonérer du paiement des cotisations sociales en France.
L’article 3 met en place une « liste noire » d’entreprises ayant fait l’objet d’une condamnation pénale pour des infractions de travail illégal (travail dissimulé, marchandage, prêt illicite de main d’œuvre, emploi d’étrangers sans titre de travail…) publiée sur le site internet du ministère du travail,
L’article 4 prévoit de donner la possibilité aux syndicats de se constituer partie civile.
Les trois premiers articles sont des « gadgets » qui ne résoudront en rien l’ampleur du phénomène de dumping social. Le quatrième institue un droit qui existe déjà.
Les cinq articles suivants du projet de loi visent le secteur du bâtiment et des travaux publics.
Ils reprennent les propositions des fédérations patronales du BTP, autrement dit celles du pyromane qui déplore l’incendie.
L’article 5 rend obligatoire la carte d’identification professionnelle délivrée par les caisses de congés payés du BTP. C’est le hochet du patronat inefficace car les intérimaires ne sont pas assujettis à la caisse de congés payés et la moyenne des contrats des salariés détachés est d’un mois.
L’article 6 propose de conditionner la signature des marchés à la production de l’attestation d’assurance décennale obligatoire.
L’article 7 voudrait responsabiliser les maîtres d’ouvrages professionnels privés. Les candidats évincés du fait d’un défaut de publicité et de mise en concurrence peuvent exercer à l’encontre du maître de l’ouvrage un référé. Ces recours peuvent notamment viser le choix d’une offre anormalement basse du fait du non-respect des règles sociales minimales. Mais ca reste une procédure aléatoire et pas simple.
L’article 8 vise à étendre le devoir d’injonction du maître de l’ouvrage privé au cas d’irrégularité de l’entreprise avec laquelle il a contracté. Autant demander au coupable de se retourner contre ses victimes.
L’article 9 propose très timidement d’engager la responsabilité pénale du maître de l’ouvrage ou donneur d’ordre professionnel (appelé « négligent » alors qu’il s’agit de fraudeur). Leur responsabilité n’est que pénale et non sociale et fiscale. Elle s’exerce lorsqu’ils poursuivent en connaissance de cause pendant plus d’un mois l’exécution d’un contrat passé avec une entreprise en situation irrégulière au regard de ses obligations sociales.
Ils n’ont donc aucune obligation de vérifier a priori le respect du code du travail et de la convention collective. Ils ont un délai pour « feindre » la bonne foi et se retourner contre … leur sous-traitant. C’est uniquement quand le pot aux roses est découvert qu’ils ne peuvent plus continuer… autrement dit, ils peuvent pratiquer sans risque le dumping social.
On est très loin des mesures qu’il faut pour stopper cette gangrène.
Le contrôle pour faire respecter le SMIC brut est pourtant « euro-compatible ». Les inspecteurs du travail peuvent déjà poursuivre un donneur d’ordre qui ne paie pas le smic brut : il suffit de renforcer leur nombre, leur actions, les sanctions. Il convient de faire respecter le salaire minimum conventionnel qui ne peut être inférieur au SMIC brut. Ce salaire doit s’entendre conformément à la jurisprudence sur le SMIC, les remboursements de frais notamment de déplacement non soumis à cotisation doivent en être exclus.
Mettre fin à l’omerta, en organisant la transparence :
· Le donneur d’ordre doit avoir toutes les informations : contrats, fiches de paye, relevés d’heures effectuées, il doit les transmettre au CE de son entreprise et les tenir à disposition des organismes de contrôle.
· Donner la possibilité aux délégués de l’entreprise donneuse d’ordre de vérifier avec un expert que le prix du marché de la sous-traitance permet de respecter la législation sociale.
· Limiter à deux niveaux la sous-traitance (y compris l’intérim).
· Les délégués syndicaux doivent pouvoir rentrer sur les chantiers.
Rendre responsable les donneurs d’ordre qui sont les vrais responsables.
Le donneur d’ordre doit être garant du respect de la législation dans toute la chaine de sous-traitance. Il doit être responsable dès le premier jour pénalement mais aussi fiscalement et surtout socialement. C’est aux donneurs d’ordre de payer les salariés et les caisses de sécurité sociale en cas de manquements dans la chaine de sous-traitance. En faisant peser toute la responsabilité sur le donneur d’ordre (qui le principal concerné) on l’oblige a faire la police lui-même sur tout ce qui se passe sous ses ordres et sous peine de lourds sanctions.
Enfin il faut que le nombre d’inspecteurs du travail soit considérablement augmenté, cela rapportera de l’argent dans les caisses, c’est nécessaire pour l’emploi. Comment le gouvernement peut-il expliquer qu’il faut plus de radars pour limiter la vitesse, plus de policiers pour diminuer la délinquance mais pas plus d’inspecteurs pour faire cesser la fraude sociale ?
René Defroment