Ratification de la GroKo par le SPD Mais qu’allait-il faire dans cette galère ?

Deux tiers des membres du SPD qui ont participé à la consultation militante ont opté pour la continuation de la grande coalition en ratifiant l’accord avec les conservateurs. Si ses partisans constituent un peu plus de la moitié de la totalité des membres du parti, il reste que les Jusos (les Jeunes socialistes) et une partie de l’aile gauche voulaient entrer dans l’opposition pour se réinventer et élaborer une politique plus sociale.

 

Mais cette stratégie risquait à court terme d’aboutir à l’exact opposé, puisqu’elle impliquait presque mécaniquement l’organisation de nouvelles élections dont la formation d’extrême droite AfD serait certainement sortie renforcée. Force est de constater qu’à l’heure actuelle, une coalition alternative formée par le SPD, Die Linke et les Verts – qui existe dans les Länder de Berlin et de Thuringe – est encore dans les limbes au niveau national.

Mais regardons plus près certains points de l’accord. S’ils sont souvent présentés comme un succès du SPD dans les négociations avec la CDU-CSU, ils montrent aussi de sérieuses limites.

 

Dans les entreprises

  1. Au niveau du droit du travail, la grande coalition entend mener à bien certaines réformes. Les CDD sans justification devraient être limités à 2,5 % des effectifs dans les entreprises de plus de 75 salariés. Leur durée devrait être raccourcie à 18 mois – au lieu de 24 actuellement – et seul un renouvellement – au lieu de trois – devrait être autorisé. Les CDD de plus de cinq ans chez le même employeur seront proscrits. En outre, un droit de retour à plein-temps après une période de temps partiel devrait être mis en place dans les entreprises de plus de 45 salariés – mais plafonné à un salarié sur 15 dans les entreprises employant jusqu’à 200 salariés – ce qui est un pas en avant, surtout pour les femmes.
  2. Pour les chômeurs de longue durée, on se dirige vers la création d’emplois aidés censés servir l’intérêt général. Mais les ressources financières couvrent seulement la moitié des besoins, si bien que les chômeurs concernés gagneraient seulement le salaire minimum et non celui prévu par la convention collective concernée. Notons par ailleurs que, dans le secteur des soins, des mesures pour assurer l’application des conventions collectives font cruellement défaut.
  3. Le régime de Hartz IV n’est pas remis en question par les leaders du SPD, alors qu’il entraîne un déclassement évident en cas de chômage et sera incapable de jouer un rôle d’amortisseur social lorsque la crise économique qui est en train de mûrir éclatera.

 

La protection sociale

  1. En ce qui concerne la Sécurité sociale, le financement paritaire entre employeurs et salariés de l’assurance maladie légale obligatoire est rétabli, mais une assurance purement publique ne verra pas le jour. Quant à l’actuel niveau moyen de la retraite, il sera stabilisé jusqu’à 2025 à 48 % du salaire moyen après 45 ans de cotisations, ce qui correspond à la prévision actuelle des caisses de retraite. En outre, un supplément de 10 %, plafonné à un minimum de 80 euros, devrait être introduit pour la pension de retraite minimum en cas de durée de cotisations supérieure à 35 ans. La pension d’incapacité devrait elle-aussi être revalorisée.
  2. Mais ces mesures n’empêcheront pas certains salariés de tomber sous le seuil de pauvreté qui s’élève à 1 050 euros (60 % du salaire moyen) en Allemagne. Le niveau de la retraite tend à baisser depuis des longues années et devrait atteindre 43 % du salaire moyen d’ici 2030. Avec la création massive de bas salaires, notamment sous Schröder, la pauvreté s’instille insidieusement dans les rangs des retraités. Le recours à l’épargne a donc de beaux jours devant lui, même s’il contribue davantage à sécuriser les profits des compagnies d’assurances que le niveau de vie des assurés…
  3. L’accord CDU-SPD est tellement bancal en matière de dépenses sociales qu’il prévoit la création d’une commission chargée de présenter d’ici mars 2020 un rapport sur l’avenir du système de retraite.

 

Des investissements…

  1. Dans le secteur de l’éducation, 12 milliards d’euros seront consacrés entre autres à l’accompagnement des élèves de primaire et aux investissements dans les écoles, mais les ressources allouées ne devraient couvrir que 10 % des besoins. Enfin, il y aura davantage de moyens pour la formation continue des salariés et plus d’aides financières pour les étudiants. Au total, ces mesures sont clairement plus avantageuses que celles qui avaient été négociées entre les conservateurs, les libéraux du FDP et les Verts.
  2. Dans la santé, il est prévu d’embaucher 8 000 aides-soignants pour les 13 000 établissements de soins, ce qui signifie qu’il n’y aura même pas une embauche par structure de soins ! Ces créations de postes seront loin de compenser ceux qui ont été supprimés suite aux reformes de la politique de santé réalisées sous Schröder en 2003…

 

… qui confirment la règle d’or !

  1. Les dépenses publiques supplémentaires – qui couvrent notamment les investissements éducatifs, mais aussi ceux consacrés à la digitalisation, à la santé, au logement et à l’accueil des migrants par les communes et les régions… – sont évaluées à 46 milliards d’euros. Mais tout cela ne remédie pas au sous-investissement chronique dans nombre d’infrastructures publiques et ne permet pas de satisfaire les besoins en service public. La règle d’or de la rigueur budgétaire est sacro-sainte en Allemagne… Quant aux charges fiscales, elles sont plafonnées au niveau actuel et la taxe de solidarité baissera de 10 milliards d’euros à partir de 2021. Le SPD, qui exigeait davantage d’impôts pour les gros revenus, n’a pas été entendu par la CDU et par sa succursale bavaroise.
  2. Au final, les mesures fiscales contenues dans l’accord se basent sur la continuation de la politique monétaire des bas taux d’intérêt et le spread des risques entre les pays de l’Eurogroupe grâce auquel l’Allemagne a économisé 290 milliards d’euros depuis 2008. En effet, l’Allemagne n’est pas davantage préparée à une hausse des taux d’intérêt qu’à un brusque changement de conjoncture économique. Il va sans dire que, si l’Europe entrait en crise, les dégâts seraient considérables chez les nombreux perdants du « modèle allemand ».

 

Coopération à géométrie variable

  1. La grande coalition veut approfondir la coopération franco-allemande et avance l’idée d’un nouveau Traité de l’Élysée. Mais, pour ce qui est des migrants, à la demande de la CSU, il y aura plus des restrictions au regroupement familial avec un statut particulier pour les réfugiés venant de la Syrie.

 

À l’heure des bilans

  1. Il y a, dans cet accord de gouvernement, un mélange de mesures néolibérales et de clauses contrecarrant l’austérité. La perpétuation de la logique ayant abouti au Pacte européen de stabilité et la généralisation des partenariats publics-privés dans les dispositifs d’investissement font incontestablement partie de son versant ordo-libéral. C’est moins vrai des clauses en appelant à davantage de régulation au niveau européen et des velléités de stabilisation de l’Union du texte qui prend en compte une partie des propositions de Macron, notamment celle d’un budget d’investissement pour la zone euro et la transformation du Mécanisme européen de stabilité (MES) en un Fonds monétaire européen (FME).
  2. Toutefois, si une taxe « substantielle » sur les transactions financières est évoquée dans l’accord, sa mise en place ne sera pas le seul fait du nouveau ministre social-démocrate des Finances, mais dépendra largement de la volonté du président Macron et son gouvernement d’y inclure, non seulement les actions, mais aussi les produits dérivés.

 

Armin Duttine, responsable syndical,

membre de Die Linke et ancien membre du SPD,

le 4 mars 2018.

 

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