Suite la grande réunion unitaire de toute la gauche du 20 mai : lettre de GDS aux 20 associations et syndicats à l’initiative du « plan de sortie de crise »

 

 

 

Cher.es ami.es et camarades

Lors de la réunion du 20 mai où vous avez invité une dizaine de partis de la gauche sociale et écologique, nous avons expliqué que l’appel « Plus jamais ça » que vous avez initié, et la démarche que vous avez engagée était « une bouffée d’oxygène » pour toutes celles et tous ceux qui croient à une issue progressiste aux crises que nous vivons. La publication de votre « plan de sortie de crise » nous confirme dans cette appréciation.

Que des associations et syndicats aux histoires différentes et aux préoccupations initiales distinctes réussissent à produire un tel document est un exemple dont les partis politiques de gauche devraient avoir la sagesse de s’inspirer. « Là où il y a une volonté, il y a un chemin ! ».

Ce chemin, nous espérons que vous allez continuer à le tracer ensemble et nous nous déclarons prêts à vous y accompagner pour mener toutes les actions communes que la situation impose. La journée de mobilisation des personnels soignants annoncée le 16 juin est peut-être la première occasion au travers de la défense de l’hôpital public de travailler ensemble et concrètement tant au plan national que dans les territoires.

Nous vous avons transmis il y a quelques semaines un document que la Gauche démocratique et sociale (GDS) a publié début avril « Pandémie : urgences et jours d’après ». Nous avons retrouvé dans votre texte de nombreuses préoccupations et exigences communes. C’est tout à fait normal puisque vous représentez des expériences militantes de terrain au sein de différents mouvements sociaux. Les militant.es du réseau de la Gauche démocratique et sociale, sont souvent eux-mêmes des militant.es syndicaux et/ou associatifs. Vos débats, nos débats se recoupent. Ils partent de l’analyse de la situation concrète que les salarié.es et citoyen.ne.s vivent, des revendications qui en découlent et des mobilisations syndicales et citoyennes de ces dernières décennies.

Nous pensons que plusieurs thèmes sont plus particulièrement d’actualité pour les semaines et mois à venir :

Augmenter les salaires : La question sociale c’est toujours la question de la répartition entre le Capital et le Travail, d’où l’importance des revendications salariales. La revendication de « 300 euros » affirmée depuis plus d’un an par les soignants est un exemple qui peut faire école dans de nombreux autres secteurs où les « premiers de corvée » ont des salaires inversement proportionnels à leur utilité sociale. S’y ajoute, selon nous, la question de l’égalité salariale femmes-hommes qui devrait être imposée par la loi sous menaces de fortes sanctions.

Empêcher les licenciements : l’emploi est une préoccupation commune majeure. Nous nous retrouvons pleinement dans la nécessaire réduction du temps de travail. Vous revendiquez aussi, à juste titre,  l’interdiction des licenciements dans les entreprises qui font des bénéfices. Cela risque d’être insuffisant face à  la « vague » de licenciements qui s’annonce. Comment les empêcher ? Renforcer les moyens de l’Inspection du travail pour contrôler ces licenciements et prolonger le chômage partiel jusqu’à la fin 2020 sont aussi nécessaires nous semble-t-il. De même que le refus de la précarité. Il conviendrait d’exiger un plafond maximum de 5 % de CDD ou intérim de l’effectif de chaque entreprise. L’encadrement de la sous-traitance est aussi une question d’importance qui supposerait : responsabilisation des donneurs d’ordre, alignement des conventions collectives des sous-traitants sur celles des entreprises utilisatrices, limitation à un seul niveau de sous-traitance, reconnaissance facilitée des unités économiques et sociales.

Enfin la relocalisation de certaines industries suppose de l’inscrire dans la liste des luttes à entreprendre et gagner. De même la reconversion de certains secteurs – avec maintien des emplois et formations – doit permettre d’aborder les questions de l’industrie et du numérique.

Redémarrer en décarbonant l’économie : atteindre la neutralité carbone est un  objectif essentiel. « L’enjeu n’est pas la relance d’une économie proprement insoutenable » mais de prioriser les investissements pour la transition écologique, et même de « désinvestir des activités les plus polluantes et climaticides » comme vous le disiez déjà dans votre appel initial. Cela nécessite une volonté politique claire, et une capacité à tenir tête à tous les lobbies qui n’ont aucun intérêt à cette transition écologique. Ce ne sont pas Macron et ses amis qui sérieusement peuvent mener à bien une telle politique étant donné la composition de la base sociale de ce pouvoir, certes étroite mais liée  la finance.

Se doter de moyens financiers : comme vous le notez dans le point 3 de votre plan, « l’argent magique existe : il suffit d’aller le chercher au bon endroit ». Il faut en finir avec un monde dominé par la finance et qui accroît chaque jour un peu plus les inégalités. Il ne s’agit pas seulement de rétablir l’ISF, mais de le compléter par un impôt « pandémie » sur les plus riches. Et d’augmenter les droits des grosses successions, de taxer à 90% tout salaire ou revenu supérieur à 20 fois le SMIC. Une vraie réforme de l’impôt sur le revenu pour le rendre plus progressif en accroissant le nombre de tranches est tout aussi nécessaire. Cela doit s’accompagner d’un réel plan de lutte contre la fraude et l’optimisation fiscale.

Sur  ces quatre thèmes, nous pensons que des échanges entre associations, syndicats et partis doivent se poursuivre.Ces échanges peuvent aussi aborder d’autres thématiques. Prenons quelques exemples :

La retraite :La pandémie a mis en évidence l’utilité sociale de ceux et celles qui pâtiraient le plus d’une retraites par points, calculée sur toute la carrière avec la fixation d’un âge pivot destiné à équilibrer financièrement le système de retraite. Ce projet doit donc être abandonné et le système actuel de retraite par annuités doit être amélioré. La retraite doit permettre à la population retraitée de profiter de sa retraite en étant le plus longtemps possible en bonne santé. Nous estimons nécessaire de revenir aux 40 annuités de cotisations, de supprimer les décotes, de valider des trimestres au titre d’années d’étude et de formation, pour une retraite à taux plein à 60 ans. Le montant de la retraite devrait garantir un taux de remplacement du salaire de l’ordre de 75 % pour une carrière complète en se rapprochant de 100 % pour les salaires les plus bas, sans que le montant de la retraite puisse être inférieur au Smic. L’augmentation des cotisations retraites, en particulier de sa part patronale, devrait financer cette avancée sociale. La retraite à 60 ans est, aussi, une façon de diminuer le temps de travail sur toute une vie et de permettre aux plus jeunes de trouver un emploi.

Enfin, les retraités par leurs engagements associatifs et autres sont des éléments importants de la vitalité démocratique, citoyenne dans nos villes et nos villages.

L’obsolescence programmée :

Des mesures pour contrôler l’ « obsolescence programmée » (en réalité contre l’usure physique programmée) doivent être mises en place. Ces mesures permettraient de combiner le combat contre la fin du monde et pour les fins de mois. La programmation, par exemple, d’un lave-linge pour durer cinq ans alors qu’il pourrait servir pendant 20 ans porte atteinte à la fois à la lutte contre le réchauffement climatique et au portefeuille du salarié qui en fait l’acquisition. Augmenter la durée de vie d’un produit nécessite de prendre en compte la diminution des emplois qui en résulterait. La diminution du temps de travail est aussi une réponse nécessaire.

Rationaliser les transports publics. Tout comme la santé, l’école, et d’autres services publics de l’énergie, de l’eau, des communications, le transport ferroviaire fait partie «des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché». La SNCF doit redevenir un service public efficace pour le maillage des territoires et comme alternative au tout-automobile. Il y a besoin de revenir sur son ouverture à la concurrence, revenir à un statut unique des cheminots. Il faut supprimer les cars «Macron».  Développer le ferroutage comme alternative aux transports routiers est une nécessité absolue.
De même il convient de développer une politique de gratuité pour les transports en commun dans les villes où c’est possible.

L’Europe : nous avons mené, les uns et les autres, des combats contre la construction néo-libérale de l’Europe. La proposition de la Commission d’un Fonds de relance financé par un emprunt européen, puis l’annonce d’une Conférence sur l’avenir de l’Europe remettent au premier plan la question européenne. Nous avons, pour notre part, mis en avant quatre principes: la monétisation des dettes, l’augmentation substantielle du budget européen (y compris via l’émission de dette européenne), la création d’impôts directs européens (sur les sociétés et les grandes fortunes) ainsi qu’une modification des traités pour donner au Parlement européen le pouvoir de lever l’impôt et contracter des dettes. Nous constatons que votre texte comporte une mesure proche de la nôtre, à savoir l’annulation des dettes détenues par la BCE qui  nécessite d’être complétée par des mesures sur la fiscalité européenne ainsi que par une réflexion sur les modifications à apporter aux traités.

Nous n’avons pris que quatre exemples (nous aurions pu parler des services publics, ou d’un autre modèle agricole et de la sécurité alimentaire…). Il s’agit pour nous de montrer tout l’intérêt que les partis politiques de la gauche et de l’écologie auraient à engager un débat de fond avec les syndicats et associations que vous êtes. Pour notre part, nous y sommes prêts.

Ces débats n’ont de sens que s’ils sont tournés vers l’action. L’action commune est la meilleure façon d’augmenter le rapport de force, et donc d’emporter des victoires. C’est aussi dans l’action que les différents points de vue peuvent évoluer et converger chaque fois que possible. Les syndicats et les associations, tout comme les partis, traitent de toutes les questions  qui se posent à la société. L’action commune est donc possible.

En revanche, la fonction des uns et des autres n’est pas identique. Quel que soit le pouvoir en place, les syndicats et associations ont le devoir de garder leur indépendance, les partis quant à eux aspirent à exercer le pouvoir (nationalement ou localement). Le rassemblement de la gauche et des écologistes pour en finir avec le tête-à-tête Macron-Le Pen nous semble incontournable. Pour nous, la lutte Capital-Travail amène au besoin d’unifier le salariat en tant que classe sociale en butte à la classe dominante. Et d’unifier toutes les sensibilités de la gauche qui, d’une manière plus ou moins déformée, représente les différents points de vue qui existent au sein même du salariat. Nous poursuivrons ce combat malgré les difficultés actuelles. Mais soyez sûrs que l’existence de votre alliance est un élément positif qui bouscule et bousculera la gauche politique.

Modestement mais sans relâche nous poursuivons ce combat pour l’unité sans laquelle rien de grand n’est possible !

Pour la Gauche démocratique et sociale (GDS)

Anne De Haro, Jean-Claude Branchereau, Gérard Filoche, Eric Thouzeau

 

 

 

4 Commentaires

  1. Bernard
    Posted 6 juin 2020 at 19:55 | Permalien

    Très beau programme.

    Peut être qu’il lui manque … une politique de baisse de ces charges , celles qui pompent les pouvoirs d’achat pour que ces mesures deviennent vraiment efficaces sur le long terme.

    J’imagine tristement , et comme toujours , qu’une fois de bonnes mesures mises en place , les pro de la concentration des richesses penseront à comment détourner ces nouvelles lois .

    Pour les 35 heures , il a suffit de demander aux gens d’en faire plus , en moins de temps bien sûr, pour un bénéfice positif/ négatif sérieusement ramené à la baisse.
    Il y a eut des embauches certes ( pas tant que cela aurait dû ) si la plupart des entreprises avaient vraiment jouées le jeu , mais l’occasion de doper la rentabilité était trop belle . Plus de rentabilité , plus de bénéfices , non partagés bien évidement.
    Prenons l’exemple d’une hausse de salaire de 300 euros. Ok , même des Patrick Artus commencent à comprendre que la part des salaires en a pris un coup depuis 40 ans .
    Que se passera t’il si tous les mécanismes de la concentration des richesses ne sont pas clairement identifiés par la gauche , tout comme cela a été le cas des années Mitterand avec l’explosion des revenus boursiers?
    Une simple inflation des loyers suffira pour laisser les plus pauvres dans leur misère , vu que le calcul de l’inflation est bidonné , de façon à ne jamais influencé de façon normale le smic en France.
    Tout va bien nous dit on depuis des années puisque l’inflation est « maîtrisée « 

  2. Posted 9 juin 2020 at 12:07 | Permalien

    Il y aura un avant et un après coronavirus.
    Mais personne ne peut dire ce que sera le monde d’après. Cela dépendra de nos capacités à changer l’ordre existant.
    Après 2008 Sarkozy était devenu un instant anti-capitaliste dans un discours. Macron nous rejoue la même comédie. Le pouvoir, les dominants, ont bien compris : la colère est grande.Elle était déjà bien présente avant la crise sanitaire ( gilets jaunes, mouvement sur les retraites). Cette colère contre les ravages du libéralisme économique qui creuse les inégalités sociales tout en détruisant l´ écosystème, s’est renforcée ces deux derniers mois.
    L’échec du système est parent pour le plus grand nombre, la concurrence libre et non faussée qui a mis à mal notre système de santé et la plupart des services publics est apparue comme insupportable à la population. Les inégalités sociales entre les premiers de corvée et les premiers de cordée encore plus criantes.
    La situation politique impose ici et maintenant de trouver une issue. Les initiatives multiples venant du mouvement social, de citoyennes et citoyens’ d.intellectuel(le)s et de forces politiques de gauche, se multiplient et c’est tant mieux.
    Désormais la question qui est posée n’est pas celle de l’alternance mais bien de l’alternative et de la rupture avec le capitalisme. Par la crise de 2008, le capitalisme a été incapable aux quatre coins de la planète de se transformer’ d’arrêter la course infernale de l’accumulation, de la marchandisation de tout et n’importe quoi. Le temps n’est plus aux demi-mesures. C’est une autre logique que nous devons mettre en avant pour l’émancipation humaine et la sauvegarde de la planète. Parmi les appels qui ont vu le jour dans la période, deux d’entre eux méritent toute notre attention, pour celles et ceux qui ont la volonté de trouver une issue favorable au monde du travail, des précaires,des chômeurs. Le premier appel réunit des personnalités politiques de gauche. « Au cœur de la crise construisons l’avenir » Si cet appel à le mérite d’avoir réuni des personnalités venant d’horizons différents de gauche, il est bien pauvre en propositions concrètes, et pour tout dire, à ce stade, pas à la hauteur des enjeux. Il ne suffira plus de dire que notr ennemi est la finance pour être crédible aux yeux des classes populaires. Les déclarations vagues et floues ne suffisent pas. Le défi que,il nous faut relever c’est construire une alternative.L’écueil à éviter c’est un programme sans unité qui se suffirait à lui seul et l’illusion que cela dispenserait de travailler à l’unité de tous, et d’un autre côté une union de façade de quelques uns qui ne reposerait sur aucun engagement concret sur les salaires, la diminution du temps de travail, la fiscalité,la nécessaire rupture avec le productivisme pour engager une véritable transition écologique. Le ciment de l’unité de notre camp social ce sont les mesures concrètes pour répondre aux besoins de la population, donc la répartition des richesses produites par le travail. D’affirmer aussi qu’il ne s’agira pas de quelques mesurettes vertes mais bien d’une rupture pour engager concrètement la bifurcation écologique de la société.
    Le second appel a l’initiative de syndicats (CGT,Solidaires,FSU,Confédération paysanne) et d’associations comme ATTAC, GREENPEACE,OXFAM etc., est d’une importance décisive me semble-t-il pour offrir une issue positive à la crise du système neo libéral productiviste. Il contient des mesures concrètes prenant en compte les exigences sociales et écologiques. Cette démarche unitaire de syndicats et d’associations rompt un isolement, renforce les capacités de mobilisation et d’action sur des propositions communes. En demandant aux partis politiques de gauche de participer à une réunion commune pour discuter de ces mesures et de mobilisations futures afin de porter celles ci, nous assistons à un événement majeur, porteur d’espoir. Aux partis politiques de répondre car rien ne serait pire que rater cette occasion de se saisir de propositions qui a l’évidence pourraient être des réponses immédiates à la crise. Comme le dit Philippe Martinez dans une interview au journal Le Monde du 27 mai « on a bossé, qu’est-ce que vous faites de ça ? »

    Patrick BRODY, syndicaliste

  3. Posted 10 juin 2020 at 16:43 | Permalien

    Soutien à la Maison-Musée Leon Trotsky à Mexico

    Confrontée à l’épidémie du Covid-19, la Maison-Musée Léon Trotsky a besoin d’un soutien financier.

    L’ingénieur Esteban Volkov Bronstein, petit-fils et unique survivant de la famille de Trotsky qui a vécu dans la maison de Coyoacan avec ses grands-parents Lev Davidovitch Bronstein et Natalia Sedova avant que Ramon Mercader puisse perpétrer dans ce même lieu l’ordre d’assassinat de Staline, a lancé un cri d’alarme sur la pérennité économique de la Maison-Musée Léon Trotsky.

    En raison de la pandémie du Covid-19, il n’y a pas eu de visiteurs du musée. Les entrées et les ventes étant les principales sources de revenus de l’association Institut du droit d’asile museo casa de Léon Trotsky, chargée par concession administrative des différents gouvernements mexicains de gérer le legs, la situation financière devient ingérable.

    Le musée se compose de la maison où Trotsky vivait, le jardin et les murs extérieurs avec des installations de garde. La maison a été maintenue telle qu’elle était à ce moment-là, en particulier le bureau dans laquelle Ramón Mercader a tué Trotsky.

    Sa disparition serait un coup très dur pour la mémoire historique révolutionnaire.

    Un don collectif sera effectué à partir d’Anticapitalistas, section de la IVe Internationale de l’État espagnol.

    Ceux qui souhaitent collaborer peuvent verser leur participation à :

    Titulaire : Asociacion Anticapitalistas

    IBAN : ES25 1491 0001 2221 7799 8321

    Préciser : Donacion Museo

    Nous espérons votre aide, il n’y a pas de grands ou petits dons, il y a la solidarité, quand elle est nécessaire.

  4. Posted 19 juin 2020 at 9:56 | Permalien

    Les tribulations burlesques de ce bon Monsieur Jouyet

    PAR LAURENT MAUDUIT
    ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 28 MAI 2020

    Ex-secrétaire général de l’Élysée, Jean-Pierre Jouyet a rêvé de devenir chef du gouvernement de Monaco. Si le poste lui a échappé, l’histoire en dit long sur celui qui a été le principal collaborateur de François Hollande et le parrain d’Emmanuel Macron, ainsi que sur les mœurs de cour de ces deux régimes.

    Ce pourrait être une pièce d’Eugène Labiche, mi- grotesque, mi-burlesque, révélant les travers de la bonne société bourgeoise, avec ses ambitions démesurées et ses petites médiocrités, son goût affiché pour les mondanités mais aussi ses fréquentes lâchetés. En réalité, ce n’est pas un vaudeville, dans le style du Voyage de Monsieur Perrichon, mais une histoire vraie que l’on pourrait intituler Les Tribulations de ce bon Monsieur Jouyet. L’un de ceux qui ont contribué, aux premières loges, au naufrage du dernier quinquennat socialiste, Jean-Pierre Jouyet, proche ami de François Hollande, a joué ces dernières semaines des pieds et des mains pour devenir ministre d’État et chef du gouvernement… du prince Albert II de Monaco.

    Même si elle est dérisoire et si, pour finir, le poste a échappé au haut fonctionnaire français, l’histoire mérite d’être contée, car elle éclaire encore un peu plus le caractère de ce personnage qui a joué un rôle important sous la présidence précédente. Étrange destinée : après avoir contribué à liquider le socialisme français, il rêvait de servir le régime d’opérette de Monaco !

    Il faut certes savoir que souvent Jean-Pierre Jouyet varie. S’il convoite un poste, ou s’il fait allégeance à un pouvoir, il peut vite s’en lasser et rapidement changer de bord. On l’a donc connu serviteur du pouvoir socialiste, en qualité de directeur adjoint de cabinet de Lionel Jospin à Matignon, avant de changer de camp dix ans plus tard, pour devenir secrétaire d’État aux affaires européennes au début de la présidence de Nicolas Sarkozy. Dans l’intervalle, il a occupé

    un grand nombre de postes : tour à tour directeur du Trésor, puis patron de la filiale française de la Barclay’s, puis chef de l’Inspection des finances, un jour dans le public, le lendemain dans le privé, le surlendemain encore dans le public.

    Jean-Pierre Jouyet. © Julien DANIEL / MYOP (OCDE)
    Ne se satisfaisant jamais des hautes fonctions qu’il occupe, et en en convoitant toujours de nouvelles, il se lasse donc très vite du petit maroquin que lui a offert Nicolas Sarkozy mi-2007. Dès décembre 2008, il obtient de devenir président de l’Autorité des marchés financiers, mais il ne reste en fonction que trois ans et demi, alors que le mandat est d’une durée normale de cinq ans. Dès juillet 2012, il change à nouveau de bord politique et presse son ami François Hollande de le nommer directeur général de la très influente Caisse des dépôts et consignations, ce qu’il obtient, alors que d’autres candidatures pour le poste sont sans doute plus légitimes que la sienne.

    Mais là encore, Jean-Pierre Jouyet se lasse assez vite de ses nouvelles fonctions et, alors que son mandat est normalement de cinq ans, il l’abandonne au bout de 21 mois pour devenir en avril 2014 secrétaire général de l’Élysée, sous la présidence Hollande. Il peut alors jouer un rôle clef pour contribuer à l’ascension de son adjoint et protégé, un certain Emmanuel Macron.

    Lequel Emmanuel Macron, devenu président de la République, renvoie très vite l’ascenseur à son mentor en le nommant, dès le 7 juin 2017, au nouveau poste

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    Directeur de la publication : Edwy Plenel http://www.mediapart.fr

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    qu’il convoite, celui d’ambassadeur de France au Royaume-Uni. Mais là encore, la rumeur court assez vite que le haut fonctionnaire s’ennuie et aimerait bien revenir en France, même si, en plein Brexit, le moment est très mal choisi.

    Il obtient pourtant gain de cause et, le 19 juin 2019, le même Emmanuel Macron le nomme représentant permanent de la France auprès de l’OCDE. Pour être précis, c’est un jeu de chaises musicales qui est organisé pour convenance personnelle : Jean-Pierre Jouyet remplace Catherine Colonna (l’ex-porte-parole de Jacques Chirac à l’Élysée) à l’OCDE, tandis que cette dernière part à Londres remplacer Jean-Pierre Jouyet.

    Mais il faut croire que Jean-Pierre Jouyet se lasse assez tôt aussi de cette nouvelle fonction. Et c’est là que notre histoire monégasque commence : l’ami proche de François Hollande a alors l’idée, à peine un an plus tard, de candidater au poste de ministre d’État et chef du gouvernement princier de… Monaco ! Ce sont Les Échos qui, au détour d’un article, ont révélé cette péripétie, dont Mediapart a obtenu confirmation : Jean-Pierre Jouyet a postulé, mais c’est un autre candidat qui a finalement été choisi. S’il avait obtenu gain de cause, Jean-Pierre Jouyet ne serait donc resté ambassadeur à l’OCDE que 11 mois et aurait battu tous les records de brièveté à ce poste.

    Même si depuis un traité signé en 2005 par Jacques Chirac ce n’est plus une obligation, la tradition veut en effet que la France soumette au souverain monégasque une liste de personnalités candidates pour occuper la fonction et que le prince choisisse celle qui a sa préférence. C’est ainsi que le nom de Jean-Pierre Jouyet a été couché à sa demande sur la liste, mais c’est finalement le nom de Pierre Dartout, préfet de la région Paca, qui est sorti du chapeau princier. Lequel Pierre Dartout est passé par l’ENA, dans la promotion Voltaire, la même que celle de… François Hollande et Jean-Pierre Jouyet.

    On devine sans peine ce qui a pu inciter Jean-Pierre Jouyet à se rêver une grandiose destinée sur le Rocher pour superviser les affaires de la principauté, son casino, ses plages, la Société des bains de mer…

    Sans doute y a-t-il de sa part l’attirance pour les paillettes passablement grotesques de la principauté, et ses mondanités surannées. Car l’intéressé apprécie visiblement ce type de festivités. En 2007, alors qu’il venait tout juste d’être nommé secrétaire d’État aux affaires européennes par Nicolas Sarkozy, on l’avait ainsi vu participer au très mondain bal des débutantes, accompagné de sa belle-fille, Judith de Warren, qui est la fille de Brigitte Taittinger, laquelle est l’une des héritières de l’immense empire Taittinger (champagne, etc.) et l’épouse de Jean-Pierre Jouyet.

    Le bal des débutantes 2007 : la plus à gauche, Judith de Warren. Jean-Pierre Jouyet avait sans doute une autre raison de briguer le poste : c’est qu’il lui aurait offert la possibilité de travailler plus longtemps. En France, son âge légal de départ à la retraite comme ambassadeur aurait dû être de 67 ans et 7 mois, alors qu’il a 66 ans et 3 mois. Pour lui, le temps était donc compté, alors qu’il n’y a pas d’âge limite pour un ministre d’État à Monaco, pas plus d’ailleurs que pour un ministre en France.

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    Brigitte Taittinger-Jouyet.
    Ultime avantage : disposant d’un poste très bien rémunéré et pour dire vrai assez peu prenant, Jean- Pierre Jouyet aurait pu goûter aux charmes de la vie dans le Midi d’autant plus facilement que son épouse, Brigitte Taittinger (ex-patronne des parfums Annick

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    Directeur de la publication : Edwy Plenel http://www.mediapart.fr

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    Goutal, administratrice de Suez, de HSBC France et de la Fnac), possède une belle propriété non loin de Saint-Tropez – pour être précis à La Croix-Valmer. Une propriété que François Hollande connaît bien pour y avoir caché ses amours débutantes avec Julie Gayet lors de sa présidence et pour être aussi venu s’y reposer juste à la fin de son quinquennat.

    Toute cette histoire sans queue ni tête, malgré son insignifiance, est pourtant bavarde. Car Jean- Pierre Jouyet fut tout à la fois une prise de guerre de Nicolas Sarkozy, le principal collaborateur de François Hollande et le parrain d’Emmanuel Macron. Elle en dit long aussi sur les mœurs de cour de ces deux régimes, et sur leur continuité…

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