Missak et Mélinée Manouchian

« … Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles … »

En hommage à Missak et Mélinée Manouchian et à leurs camarades

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Nantes – Février 2024

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Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant

Le 21 février prochain, Missak et Mélinée Manouchian entreront au Panthéon. Quelques semaines après que Macron eut avalisé une loi Darmanin contre les mi- grant.es votée avec le soutien du Rassemblement national, héritier des fascistes du XXème siècle qui envoyèrent à la mort Manouchian et ses camarades. Nous ne sommes pas partie prenante de ces hypocrisies et de ces manœuvres. Mais, pour nous, c’est l’occasion de rappeler ce que furent les combats de ces immigré.es et de dire leur actualité, alors que les périls d’hier se profilent à nouveau. De parler, non seu- lement de Manouchian, mais de ses camarades, qu’il aurait été bon d’associer dans la célébration, comme ils et elles le furent dans la mort (une pétition le réclamait d’ail- leurs).

Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants

Les nazis avaient, on le sait, recherché « un effet de peur sur les passants » par la dif- fusion massive de l’Affiche Rouge, indiquant que le groupe Manouchian était composé d’étrangers, souvent juifs. On sait aussi que, en février 1944, moment où l’exaspération contre l’occupant montait, en même temps que se dessinait la perspective de la Libéra- tion, la manœuvre des nazis fit long feu.

Les 23 (22 hommes fusillés le 21 février 1944 et une femme décapitée en Allemagne le 10 mai 1944) étaient des militant.es communistes ou sympathisant.es, internationa- listes, membres des FTP-MOI, Francs-Tireurs et Partisans- Main-d’Oeuvre Immigrée) organisation immigrée du Parti communiste. Certains avaient combattu en Espagne contre le fascisme, d’autres étaient trop jeunes pour cela, mais étaient menacé.es de mort parce que juif/ves (la moitié des membres du groupe étaient juifs). Mélinée, la compagne de Missak Manouchian avait perdu son père dans le génocide arménien déclenché à partir de 1915, elle devait perdre son mari, assassiné par les nazis : un résumé tragique de l’histoire du XXème siècle. Ces militant.es combattaient aussi pour une France rêvée, celle issue de la Révolution française et du soutien au capitaine Dreyfus, contre la France de Vichy, qui « accomplissait l’irréparable » en ces années.

Ayant réalisé de nombreux attentats, notamment contre des officiers allemands, ils et elle furent traqué.es par les policiers français et finalement arrêté.es en novembre 1943. En 1942-43, ce groupe avait joué un rôle très important dans la lutte armée à Paris contre l’occupant nazi.

Nul ne semblait vous voir de préférence

Malgré ce rôle important, malgré le symbole fort que représentait le groupe Manou- chian, sa mémoire fut effacée à la Libération. C’était le temps où le PCF se voulait un parti avant tout français et donnait aux rues et aux places des noms « faciles à pronon- cer ». Un temps où le gaullisme et le PCF se disputaient la mémoire de la Résistance et la voulaient patriotique, gommant ainsi ses aspects sociaux et révolutionnaires.

Il fallut 10 ans pour qu’Aragon écrive, en s’inspirant de la dernière lettre de Manou- chian, des Strophes pour se souvenir, publiées en 1956 dans Le Roman inachevé. Sur- tout, la mise en musique par Léo Ferré, qui en fit en 1961 la chanson L’Affiche rouge, mit en lumière ces « amoureux de vivre à en mourir ». Quelques années avant 68, ces paroles parlèrent à une génération avide de retrouver la mémoire des combats du pas- sé.

Le verso du tract nazi

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Olga Bancic, Juive roumaine dé- capitée à Stuggart le 10 mai 1944

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Moska Fingercweig,

Juif polonais

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Vous n’avez réclamé ni gloire ni les larmes

Leur action était avant tout un combat contre le fascisme et les racismes nazis, qui s’attaquaient prioritairement aux Juif/ves, mais aussi aux Tsiganes ; une haine de l’autre qui ciblait les homosexuels. C’était un combat pour la liberté. La menace du retour de ces haines est revenue hanter notre présent. Alors que, dans nombre de pays, l’extrême droite relève la tête, arrive même parfois au pouvoir, le rappel du combat des FTP-MOI n’est pas qu’une référence au passé. Il est une arme pour nos luttes d’aujourd’hui.

L’action de ces immigré.es doit être remise en mémoire pour dire combien l’essen- tiel n’est pas l’origine des un.es et des autres, mais bien leur communauté de pen- sée, leurs espérances et leur volonté de vivre ensemble. Dans la France d’aujour- d’hui, où des bandes fascistes veulent menacer celles et ceux qui viennent d’ail- leurs, chassé.es par la misère et les guerres, ce rappel que luttèrent ensemble français.es et étrangers/ères fait partie de nos luttes. Comme il fait partie de notre combat contre l’antisémitisme, d’où qu’il vienne.

C’est pourquoi, la Gauche Démocratique et Sociale (GDS 44) et ENSEMBLE !

44 tiennent à rendre hommage, non seulement à Missak et Mélinée Manou-

chian, mais à ceux – et celle – du groupe qui furent assassinés par les nazis.

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Nantes le 11 février 2024

Quelques repères historiques

Michel Laffitte (Extraits de La Résistance en Ile-de-France)

L’expression « groupe Manouchian » est issue d’une construction de la mémoire qui trouve son origine dans la diffusion massive de l’Affiche rouge sur les murs des villes de France, au moment de l’exécution, le 21 février 1944 au Mont-Valérien, de 22 résistants. Ces combattants des FTP-MOI sont présentés par la propagande nazie sous les allures d’une « bande » dont Missak Manouchian, respon- sable militaire des FTP-MOI de la région parisienne, est le « chef ». Il est remarquable que Joseph Epstein, chef des FTP de la région parisienne, supérieur hiérarchique direct de Manouchian, interpellé en même temps que lui, ait été jugé à part et exécuté le 4 avril. Au total, 68 militants dont une moitié de Juifs majoritairement étrangers sont arrêtés au cours d’un vaste coup de filet à l’issue des longues et patientes filatures des policiers français de la 2e Brigade spéciale de la Préfecture de police de Paris. Comme le remarque Adam Rayski dans ses mémoires,  »ce groupe n’a jamais porté pendant la Résistance le nom de Manouchian, qui n’était connu que sous son pseudonyme. Les premiers qui parlent du « groupe Manouchian » sont les services de propagande allemande, en février 1944, au moment du procès ».

Le « groupe Manouchian » représente le noyau dur des combattants des FTP-MOI, tombés pour la plupart entre le 12 et le 17 no- vembre 1943. L’arrestation de Missak Manouchian a eu lieu le 16 novembre, suivie dans l’après-midi de celle de Olga Bancic et de Marcel Rajman et, le lendemain, de Moka Fingerweig, de Wolf Wajbrot… Avec Schloïme Grzywacs, les visages de ces militants juifs d’origine polonaise ornent quatre des dix médaillons de l’Affiche rouge.

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József Boczor, Juif hongrois

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Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

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Sur les 22 résistants fusillés le 21 février 1944, la moitié sont identifiés comme Juifs et quatre sont issus du deuxième détachement, dit détachement juif, des FTP-MOI : Marcel Rajman a été versé au sein de l’Equipe spéciale, tandis que Moïshe Fingercweig, Wolf Wajsbrot et leur aîné, ancien des Brigades internatio- nales, Schloïme Grzywacs ont été mutés au quatrième détachement

.Cette dernière équipe, dite des dérailleurs, représente, en y ajoutant Thomas Elek, la moitié des 10 visages figurant sur l’Affiche rouge et 9 fusillés sur 22 ; ne sont pas représentés les visages de Jonas Geduldig, alias Michel Martiniuk, de Léon Goldberg, de Willy Schapiro, tous trois Juifs d’origine polonaise, ainsi que du Hon- grois Emeric Glasz. L’insistance sur les déraillements de train tente manifestement de sensibiliser une opinion utilisant alors massivement le réseau de la SNCF ; sur l’Affiche rouge, trois des six photographies évoquant des attentats sont des clichés de déraillements ferroviaires.

Avec Marcel Rajman, l’Italien Spartaco Fontanot et l’Espagnol Celestino Alfonso font partie de l’Equipe spéciale. Les deux premiers, à l’image de 12 des 22 fusillés du 21 février 1944, sont âgés de moins de 24 ans au moment de leur exécution, le Français Roger Rouxel, membre du troisième détachement, majoritairement ita- lien, n’ayant pas atteint son dix-huitième anniversaire. Cinq autres membres de ce détachement paient alors le prix fort : Cesare Luccarini, Antonio Salvadori, Ame- deo Usseglio, Rino Della Negra, le Français Georges Cloarec et Robert Witchitz, présenté comme Juif hongrois.

Missak Manouchian et Arpen Tavitian, respectivement âgés de 38 et de 45 ans, sont les seuls militants d’origine arménienne fusillés au Mont-Valérien le 21 février 1944. Ils ne sont donc représentatifs ni par l’âge, ni par l’origine, de la génération des rafles, celle des jeunes militants juifs en majorité polonais qui ont vu leurs pa- rents disparaître dans les déportations. La recension des noms des fusillés de- meure encore imparfaite. Les ouvrages les plus récents ne mentionnent par exemple à aucun moment la présence, parmi les 22 fusillés, de Stanislas Kubacki, Juif polonais sans doute âgé de 34 ans.

La représentation du « groupe Manouchian » est le résultat de ce que les auteurs du livre Le sang de l’étranger nomment  »un processus d’occultation de la mémoire MOI qui durera près de quarante ans ». L’impact immédiat de l’Affiche rouge collée sur les murs des villes de France en février 1944 reste discuté. Sans prégnance importante sur les consciences et donc sur l’élan de la Résistance, l’Affiche rouge a construit le « groupe Manouchian » en objet de mémoire, comme en témoigne en 1985 Mélinée Manouchian dans le film de Mosco Des « terroristes » à la retraite :  »Il y a des jours où je ne peux pas m’empêcher de penser que peut-être si les nazis n’avaient pas fait cette Affiche rouge, personne n’aurait parlé de Manouchian, de Boczor, de Rajman, d’Alfonso et des autres combattants étrangers. On les aurait enterrés et oubliés. Regardez les survivants, qu’est-ce qu’ils sont deve- nus ? »

Missak et Mélinée Manoukian

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A l’appui de ces remarques, l’historienne Annette Wieviorka a noté :  »La légende
véhiculée par le poème d’Aragon chanté par Léo Ferré veut qu’une main ait écrit
« morts pour la France ». Rien ne le prouve. Seul Maurice Benadon, parmi ceux avec
qui nous nous sommes entretenus, a le souvenir d’une telle inscription. » Dans ses
souvenirs intitulés La Belle Age, Lionel Rochman, ancien résistant juif communiste à
Guéret, cité par Annette Wieviorka, évoque explicitement un sentiment de honte :
« Se fussent-ils appelés Martin ou Durand, j’aurais communié dans leur mort et dans
leur martyre. Mais ils s’appelaient Grzywacz et Wajsbrot et Fingercweig et c’était
imprononçable. Oui les propagandistes firent bien leur besogne en imprimant l’Af-
fiche rouge. Oui, après des années de martèlement antijuif, même les résistants se
devaient d’être de bons Français de souche, bien de chez nous. [...] Le pieux men-
songe d’une France communiant secrètement dans la douleur au moment où fut
apposée l’Affiche rouge, mensonge entretenu par notre « bonne conscience natio-
nale », a trop longtemps masqué que la propagande (on dirait aujourd’hui la désinfor-
mation) a le pouvoir de créer de toutes pièces une vérité seconde qui peu à peu supplante la vérité tout court ».

Szlama Grzywacz, Juif polonais

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Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant

Le 21 février prochain, Missak et Mélinée Manouchian entreront au Panthéon. Quelques semaines après que Macron eut avalisé une loi Darmanin contre les migrant.es votée avec le soutien du Rassemblement national, héritier des fascistes du XXème siècle qui envoyèrent à la mort Manouchian et ses camarades. Nous ne sommes pas partie prenante de ces hypocrisies et de ces manœuvres. Mais, pour nous, c’est l’occasion de rappeler ce que furent les combats de ces immigré.es et de dire leur actualité, alors que les périls d’hier se profilent à nouveau. De parler, non seulement de Manouchian, mais de ses camarades, qu’il aurait été bon d’associer dans la célébration, comme ils et elles le furent dans la mort (une pétition le réclamait d’ailleurs).

Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants

Les nazis avaient, on le sait, recherché « un effet de peur sur les passants » par la diffusion massive de l’Affiche Rouge, indiquant que le groupe Manouchian était composé d’étrangers, souvent juifs. On sait aussi que, en février 1944, moment où l’exaspération contre l’occupant montait, en même temps que se dessinait la perspective de la Libération, la manœuvre des nazis fit long feu.

Les 23 (22 hommes fusillés le 21 février 1944 et une femme décapitée en Allemagne le 10 mai 1944) étaient des militant.es communistes ou sympathisant.es, internationalistes, membres des FTP-MOI, Francs-Tireurs et Partisans- Main-d’Oeuvre Immigrée) organisation immigrée du Parti communiste. Certains avaient combattu en Espagne contre le fascisme, d’autres étaient trop jeunes pour cela, mais étaient menacé.es de mort parce que juif/ves (la moitié des membres du groupe étaient juifs). Mélinée, la compagne de Missak Manouchian avait perdu son père dans le génocide arménien déclenché à partir de 1915, elle devait perdre son mari, assassiné par les nazis : un résumé tragique de l’histoire du XXème siècle. Ces militant.es combattaient aussi pour une France rêvée, celle issue de la Révolution française et du soutien au capitaine Dreyfus, contre la France de Vichy, qui « accomplissait l’irréparable » en ces années.

Ayant réalisé de nombreux attentats, notamment contre des officiers allemands, ils et elle furent traqué.es par les policiers français et finalement arrêté.es en novembre 1943. En 1942-43, ce groupe avait joué un rôle très important dans la lutte armée à Paris contre l’occupant nazi.

Nul ne semblait vous voir de préférence

Malgré ce rôle important, malgré le symbole fort que représentait le groupe Manouchian, sa mémoire fut effacée à la Libération. C’était le temps où le PCF se voulait un parti avant tout français et donnait aux rues et aux places des noms « faciles à prononcer ». Un temps où le gaullisme et le PCF se disputaient la mémoire de la Résistance et la voulaient patriotique, gommant ainsi ses aspects sociaux et révolutionnaires.

Il fallut 10 ans pour qu’Aragon écrive, en s’inspirant de la dernière lettre de Manouchian, des Strophes pour se souvenir, publiées en 1956 dans Le Roman inachevé. Surtout, la mise en musique par Léo Ferré, qui en fit en 1961 la chanson L’Affiche rouge, mit en lumière ces « amoureux de vivre à en mourir ». Quelques années avant 68, ces paroles parlèrent à une génération avide de retrouver la mémoire des combats du passé.

Vous n’avez réclamé ni gloire ni les larmes

Leur action était avant tout un combat contre le fascisme et les racismes nazis, qui s’attaquaient prioritairement aux Juif/ves, mais aussi aux Tsiganes ; une haine de l’autre qui ciblait les homosexuels. C’était un combat pour la liberté. La menace du retour de ces haines est revenue hanter notre présent. Alors que, dans nombre de pays, l’extrême droite relève la tête, arrive même parfois au pouvoir, le rappel du combat des FTP-MOI n’est pas qu’une référence au passé. Il est une arme pour nos luttes d’aujourd’hui.

L’action de ces immigré.es doit être remise en mémoire pour dire combien l’essentiel n’est pas l’origine des un.es et des autres, mais bien leur communauté de pensée, leurs espérances et leur volonté de vivre ensemble. Dans la France d’aujourd’hui, où des bandes fascistes veulent menacer celles et ceux qui viennent d’ailleurs, chassé.es par la misère et les guerres, ce rappel que luttèrent ensemble français.es et étrangers/ères fait partie de nos luttes. Comme il fait partie de notre combat contre l’antisémitisme, d’où qu’il vienne.

C’est pourquoi, la Gauche Démocratique et Sociale (GDS 44) et ENSEMBLE ! 44 tiennent à rendre hommage, non seulement à Missak et Mélinée Manouchian, mais à ceux – et celle – du groupe qui furent assassinés par les nazis.

 

 

One Commentaire

  1. Posted 29 février 2024 at 10:22 | Permalien

    Bonjour,
    Mais quel dommage les images ne s’affichent pas…Merci pour l’éclairage qu’apporte cet article.

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