GILETS JAUNES 5/6/7 avril 2019 ASSEMBLÉE DES ASSEMBLÉES DE SAINT-NAZAIRE (AdA)

 

les organisateurs ont rappelé la façon dont les 3 jours allaient être (en principe) organisés. En alternance entre des temps en assemblée plénière et en groupes de travail dont les rapporteurs présenteraient ensuite en plénière les synthèses.

Le principe retenu étant de ne publier que ce qui faisait consensus, ou voté à une large majorité, pour une déclaration finale. Le reste continuant à faire débat étant renvoyé dans les groupes locaux des GJ et à travailler pour les AdA prochaines. Chacun ayant conscience que nous étions partis pour un travail en continu et qu’il fallait prendre le temps nécessaire.

Le vendredi après-midi, chaque mandaté pouvait présenter son groupe, ses pratiques, ses attentes et ses besoins. Par exemple la fatigue de devoir régulièrement rebâtir sa cabane, son rond-point. Comment élargir les groupes, organiser les débats……

Ensuite, constitution des groupes de travail autour des 6 thèmes définis et qui avaient été envoyés aux groupes GJ qui s’étaient inscrits à cette AdA.
Suite à l’affluence des participants et la volonté de traiter beaucoup de sujets il a été acté que des sous-groupes de discussions soient mis en place.

1. Objectifs et fonctionnement des AdA.

Continuer à renforcer le mouvement et le rapport de force. Volonté de fonctionner sur la base de la démocratie directe. Indépendance à l’égard des partis politiques et organisations syndicales sans les dénigrer. Refuser la logique des leaders autoproclamés.

Le processus des AdA entamé à Commercy et Saint-Nazaire constitue une plateforme de rencontre, d’échange, de partage d’expérience, de mutualisation des idées, de coordination entre les groupes GJ, d’apprentissage et doit être amélioré, tout en respectant l’autonomie des groupes locaux.

Une plateforme de coordination numérique est mise en place pour permettre aux groupes locaux de soumettre des propositions, des orientations qui seront ensuite proposées à l’ensemble des groupes. Cette plateforme sécurisée permettra aussi de faciliter les contacts entre groupes. Ce mouvement est construit dans la durée avec un fonctionnement démocratique en système montant et descendant

Une charte des AdA est mise en place. Constitution de groupes régionaux. (Ile de France, Grand Est, Occitanie….)

2. Revendications

Plusieurs objectifs à court ou long terme. Bloquer les réformes libérales, étendre les services publics (eau, transport, logement, sécurité sociale…).
Reprendre l’argent là ou il est (nationalisation des banques, ISF, CICE évasion fiscale, fraude fiscale, impôts mieux répartis…)

Mieux répartir les richesses, déconcentration des médias, vote blanc, RIC, réduction du temps de travail, baisse de la TVA. Continuer le travail sur la défense des droits sociaux, la santé…. en lien avec les salariés

1. Communication

Mutualiser et sécuriser les outils de communication interne et externe. Favoriser les contacts directs et les lieux de proximité (la Maison du Peuple de Saint-Nazaire a édité une brochure sur la mise en place d’une MdP qui en cours de réécriture suite à cette AdA).
Se réapproprier l’espace public et prendre des initiatives festives, humoristiques, artistiques. Orienter les moyens de communications vers l’ensemble de la population (journal, présence sur les marchés…)

4. Stratégie – Action – Contre la répression
Une planification concrète et cohérente est nécessaire. Il faut coordonner nos actions par des liens

locaux, régionaux, nationaux entre les AdA.

Mise en place d’outils interactifs sur certains sujets par des assemblées citoyennes délibératives (textes sur la constitution, vote blanc, assemblées communales, réfléchir aux élections municipales).

Faire connaître le mouvement des GJ à l’international. Relayer les informations des luttes existantes dans le monde.

Plusieurs dates ont été retenues pour lesquelles la présence des GJ est fortement conseillée :

  •   13 avril, contre la «loi anti-casseurs». Plus de 50 organisations (associations, partis politiques, organisations syndicales, intellectuels..) appellent à manifester localement et nationalement pour les libertés publiques et le droit de manifester.
  •   https://paris.demosphere.net/rv/69289
  •   https://www.ldh-france.org/liberte-de-manifester/
  •   16 avril, réunion Femmes/GJ à la bourse du travail de Paris
  •   27 avril, manifestation à Strasbourg, thème l’Europe
  •   https://www.facebook.com/events/792521801131424/
  •   1er mai, appel à participer massivement à la fête des travailleurs de manière décentralisée en créant un cortège de tête GJ. A partir du 1er mai commencer une semaine d’actions simultanées et thématiques à mettre en place localement selon les envies des groupes locaux.
  •   5/6 mai, Réunion du G7 sur l’environnement à Metzhttps://france.attac.org/agenda/article/appel-a-mobilisation-contre-le-g7
  •   26 mai et 11 juin, convergences internationales GJ à Bruxelles
  •   24/25/26 août, Réunion du G7 à Biarritz
  •   https://paris.demosphere.net/rv/68555

    Plusieurs actions seront mises en place pour lutter contre la répression. Un appel pour une amnistie et annulation des peines sera mise en place. Création d’une plateforme de recensement des procédures judiciaires et des « legal team » locales existantes, mutualisation des outils anti- répressions. Comité de soutien aux incarcérés. Cagnotte.

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5. Convergences écologiques

L’AdA prend acte de l’urgence environnementale, sociale et démocratique. C’est la même logique d’exploitation infinie du capitalisme qui détruit les êtres humains et la vie sur terre.

Se poser la question sur le partage et le contrôle de la production. Les biens communs (eau, air, sol) ne doivent pas être transformés en marchandises. Nous devons mettre fin à la destruction du vivant en créant un nouveau mouvement social écologique populaire.

La planète bleue a besoin de jaune pour rester verte.

1. Élections européennes

L’AdA dénonce le caractère anti-démocratique et ultra-libéral des institutions européennes. La Commission Européenne décide de tout sans contrôle démocratique.

L’AdA porte un modèle de démocratie directe, l’intérêt général prime sur l’intérêt particulier. Nous ne donnons aucune consigne de vote. Nous condamnons toute tentative de constitution de liste politique au nom des gilets jaunes.

La période électorale doit être une grande période de mobilisation.

L’AdA appellera très prochainement à une manifestation à Bruxelles de tous les peuples d’Europe. Nous constituons une Commission des Relations internationales pour coordonner cet événement.

Nous proposerons à tous les peuples d’Europe de se saisir de cet appel, de le traduire dans leurs propres langues ou de s’en inspirer pour faire le leur.

C’est en menant une lutte coordonnée que nous jetterons les bases d’une entente fraternelle entre les peuples d’Europe.

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A l’issue de ce travail démocratique, le lieu de la nouvelle AdA a été évoquée. Deux groupes locaux ont proposé leur candidature : Montpellier et Montceau-les-Mines.

Un groupe de travail avec les GJ des deux premières AdA (Commercy et Saint-Nazaire) et des représentants des deux sites candidats est constitué pour prendre la décision du lieu de la prochaine AdA.

Un compte-rendu exhaustif de ce Week-end sera publié par les organisateurs de Saint-Nazaire avec un appel à la mobilisation comprenant tout ce qui a fait consensus.

Fait à Saint-Nazaire le 7 avril 2019
par Jean-Pierre COTÉ, Gilet Jaune de Bruyères et des alentours (88)

 

Gilets jaunes : l’Appel de Saint-Nazaire 8 avril 2019

Gilets jaunes : l’Appel de Saint-Nazaire

8 avril 2019

Réunie du 5 au 7 avril à Saint-Nazaire, l’Assemblée des assemblées des Gilets jaunes a adopté dimanche 7 un appel final. En voici le texte.

« Nous Gilets jaunes, constitués en assemblées locales, réunis à Saint-Nazaire, les 5, 6 et 7 avril 2019, nous adressons au peuple dans son ensemble. À la suite de la première assemblée de Commercy, environ 200 délégations présentes poursuivent leur combat contre l’extrémisme libéral, pour la liberté, l’égalité et la fraternité.

Malgré l’escalade répressive du gouvernement, l’accumulation de lois qui aggravent pour tous les conditions de vie, qui détruisent les droits et libertés, la mobilisation s’enracine pour changer le système incarné par Macron. Pour seule réponse au mouvement incarné par les Gilets jaunes et autres mouvements de lutte, le gouvernement panique et oppose une dérive autoritaire. Depuis cinq mois partout en France, sur les ronds-points, les parkings, les places, les péages, dans les manifestations et au sein de nos assemblées, nous continuons à débattre et à nous battre, contre toutes les formes d’inégalité et d’injustice et pour la solidarité et la dignité.

Nous revendiquons l’augmentation générale des salaires, des retraites et des minima sociaux, ainsi que des services publics pour tous et toutes. Nos solidarités en lutte vont tout particulièrement aux neuf millions de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté. Conscients de l’urgence environnementale, nous affirmons, fin du monde, fin du mois, même logique, même combat.

Face à la mascarade des grands débats, face à un gouvernement non représentatif au service d’une minorité privilégiée, nous mettons en place les nouvelles formes d’une démocratie directe.

Concrètement, nous reconnaissons que l’assemblée des assemblées peut recevoir des propositions des assemblées locales, et émettre des orientations comme l’a fait la première assemblée des assemblées de Commercy. Ces orientations sont ensuite systématiquement soumises aux groupes locaux. L’Assemblée des assemblées réaffirme son indépendance vis-à-vis des partis politiques, des organisations syndicales et ne reconnaît aucun leader autoproclamé.

Pendant trois jours, en assemblée plénière et par groupes thématiques, nous avons tous débattu et élaboré des propositions pour nos revendications, actions, moyens de communication et de coordination. Nous nous inscrivons dans la durée et décidons d’organiser une prochaine Assemblée des assemblées en juin.

Afin de renforcer le rapport de forces, de mettre les citoyens en ordre de bataille contre ce système, l’Assemblée des assemblées appelle à des actions dont le calendrier sera prochainement diffusé par le biais d’une plateforme numérique.

L’Assemblée des assemblées appelle à élargir et renforcer les assemblées citoyennes souveraines et de nouvelles. Nous appelons l’ensemble des Gilets jaunes à diffuser cet appel et les conclusions des travaux de notre assemblée. Les résultats des travaux réalisés en plénière vont alimenter les actions et les réflexions des assemblées.

Nous lançons plusieurs appels, sur les européennes, les assemblées citoyennes populaires locales, contre la répression et pour l’annulation des peines des prisonniers et condamnés du mouvement. Il nous semble nécessaire de prendre un temps de trois semaines pour mobiliser l’ensemble des Gilets jaunes et convaincre celles et ceux qui ne le sont pas encore. Nous appelons à une semaine jaune d’action à partir du 1er mai.

Nous invitons toutes les personnes voulant mettre fin à l’accaparement du vivant à assumer une conflictualité avec le système actuel, pour créer ensemble, par tous les moyens nécessaires, un nouveau mouvement social, écologique, populaire. La multiplication des luttes actuelles nous appelle à rechercher l’unité d’action.

Nous appelons à tous les échelons du territoire à combattre collectivement pour obtenir la satisfaction de nos revendications sociales, fiscales, écologiques et démocratiques. Conscients que nos avons à combattre un système global, nous considérons qu’il faudra sortir du capitalisme. Ainsi nous construirons collectivement le fameux « tous ensemble »que nous scandons et qui rend tout possible. Nous construisons tous ensemble à tous les niveaux du territoire. Ne nous regardez pas, rejoignez-nous. Le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple. »

 

Retraite : Retour à 60 ans, pas un an de plus, pas un euro de moins

 

Les plus belles années de la retraite c’est entre 60 et 65 ans. Les plus dures années au travail c’est entre 60 et 65 ans. La biologie du corps humain n’a pas changé et cela se voit dans tous les métiers,  vers 55 ans toutes les taches, physiques et mentales, deviennent plus dures, et les efforts se paient. C’est valable pour un ouvrier du bâtiment dont la vie est en danger s’il continue, mais aussi pour un instituteur qui fait sa 40° rentrée au milieu de sa classe.

L’espérance de vie en bonne santé recule depuis 15 ans de 64 vers 63 et 62 ans.  Si on a le droit à un repos au bout de 40 annuités de travail, c’est pour profiter de la vie, et non pas juste pour mourir. Jamais la France n’a été aussi riche de son histoire et les richesses aussi mal partagées. On peut exiger que dans notre société, la vie ne soit pas résumée à boulot métro, tombeau.

Pourquoi repousser l’âge du droit au départ en retraite ?  Rien ne l’exige financièrement et rien ne le justifie humainement, socialement. Nous avons 6 millions de chômeurs ! Seules les statistiques baissent mais pas le niveau réel de chômage ni de précarité. Il est absurde et amoral de faire travailler plus longtemps, jusqu’à 65 et 70 ans, les salariés alors que des millions de jeunes sont au chômage. Le résultat c’est seulement de « changer de caisse » : les salariés passent  des caisses de retraite aux caisses de chômage puisque, de toutes façon, à partir de 55 ans, deux sur trois ne travaillent plus, soit parce qu’ils sont licenciés et chômeurs, ou bien malades et inaptes.

Augmenter le nombre d’annuités cotisées, c’est un chantage en fait : allez jusqu’à 65 ans ou bien vous n’aurez rien pour vivre décemment.  Continuez de vous user au travail ou mourrez dans la misère. En plus si vous êtes femmes ou précaire, ces annuités vous aurez un mal fou à les atteindre. Aujourd’hui, déjà sur 14 millions de retraités, 7 millions sont autour de 1000 euros, ce n’est pas décent.

On nous dit qu’il faudrait « aligner les 45 régimes spéciaux » pour raison de privilèges et d’inégalités. En fait c’est faux, il n’existe pas de « régimes spéciaux »  ce sont des conventions collectives. C’est dire qu’elles ont, dans le cadre des lois, été négociées par métiers et branches, pour compenser des nuisances et souffrances spécifiques aux tâches effectuées. Il existe 9 ans d’écart entre l’âge de la mort d’un cadre et celle d’un ouvrier. Si les égoutiers avaient le droit de partir à 50 ans, c’est parce que l’espérance de vie dans leur métier est en moyenne de 58 ans. Va t on supprimer ce droit ? Pareil pour les manœuvres du bâtiment, les travailleurs dans l’amiante, les infirmières, les scaphandriers, les danseurs de ballet de l’Opéra ou les militaires et gendarmes. Les droits qu’ils ont acquis en amélioration du droit commun ne sont pas spéciaux mais légitimes.

Quand au calcul de la retraite par points, rien ne l’exige, ne vous laissez pas abuser, ni embarquer dans ce système, regardez les mauvaises intentions évidentes de ceux qui vous le proposent, c’est tout simplement pour pouvoir baisser vos niveaux de retraites chaque année sur simple décision du pouvoir politique.

Pas touche à nos retraites, retour à 60 ans, pas un an de plus pas un euro de moins.

Gérard Filoche

 

 

débat essentiel : « Vive la cotisation sociale ! » par Stéphanie Treillet

  • STÉPHANIE TREILLET, MEMBRE DES ÉCONOMISTES ATTERRÉS
  • 30/03/2019

Depuis plusieurs années, la cotisation sociale est mise en cause non seulement par le patronat mais aussi par les gouvernements successifs, ceux-ci allant jusqu’à proposer sa suppression. Deux catégories de mesures ont été adoptées : plusieurs vagues d’exonérations de cotisations sociales employeurs, et le basculement partiel de cotisations vers la CSG. En face, le mouvement social ne paraît pas toujours la défendre avec l’assurance qui serait nécessaire. La raison d’être et la nature de la cotisation font l’objet de confusions, dont témoigne, même s’il a suscité nombre de protestations de syndicalistes, économistes et responsables politiques de gauche, l’usage omniprésent et largement partagé du terme « charges sociales ».

Un marché de dupes

Le budget 2019 du gouvernement Macron-Philippe, en plus d’être un nouveau budget d’austérité[1], prétend répondre aux attentes des salarié-es sur leur pouvoir d’achat par un mécanisme particulièrement pervers : prendre sur une partie du salaire pour augmenter l’autre. Ce sont en effet les réductions (voire suppressions) de cotisations sociales qui sont censées permettre au salaire direct d’augmenter en un jeu de vases communicants.

Le budget 2018 et la LFSS 2018 ont déjà organisé la bascule du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en une diminution pérenne de 6 points des cotisations employeurs pour l’assurance-maladie jusqu’à 2,5 Smic, à laquelle s’est ajoutée à partir d’octobre 2018 une exonération de cotisations sociales d’assurance-chômage et de retraite complémentaire de 4 points au niveau du Smic. Le tout devant coûter à l’État une perte de recettes de 24,5 milliards d’euros au total en année pleine. La programmation budgétaire prévoyait aussi la bascule entre les cotisations salariales à l’assurance chômage et maladie et la CSG, au détriment notamment du pouvoir d’achat des retraité-es. Le budget 2019 prévoyait pour septembre l’exonération totale sur les heures supplémentaires et complémentaires des cotisations salariales aux régimes général et complémentaire de la retraite. Cette mesure a été avancée à janvier.

Ces mesures s’inscrivent dans une tendance de long terme à l’empilement, depuis le début des années 1990, des mesures d’exonérations de cotisations sociales patronales sur les bas salaires : 1993, exonération (dite « Balladur ») totale des cotisations familiales sur les salaires au voisinage du Smic ; 1995, diminution des cotisations maladie ; 1996, création de la  ristourne bas salaires (« Juppé ») qui fusionne ces deux dispositifs ; 1998, aides « Aubry  » pour les entreprises signant des accords de passage aux 35  heures ; 2003, allégements « Fillon » pour compenser la hausse du Smic horaire due à la réduction du temps de travail. Sous Hollande, le CICE coûte 20 milliards d’euros par an, auxquels s’ajoutent les 10 milliards annuels de baisses de cotisations patronales du Pacte de responsabilité. En 2019, les exonérations de cotisations sociales employeurs représentaient 59 milliards de manque à gagner, soit 2,5 % du PIB.

La nouveauté des mesures Macron est de s’en prendre aux cotisations salariales chômage. Le premier argument avancé par le gouvernement est la promesse de gains de pouvoir d’achat pour les salarié-es (+11,3 % de la rémunération brute des heures supplémentaires, 200 euros en moyenne par an et par salarié-e pour un coût de 2 milliards d’euros en année pleine).  Cet argument entérine l’idée que, le relèvement du Smic étant exclu par principe, l’augmentation du pouvoir d’achat ne peut passer que par les baisses de cotisations salariales ; autrement dit, par une répartition différente de la masse salariale qui ne touche pas au partage salaire-profits mais sacrifie une partie du financement de la protection sociale.

On retrouve la même logique dans la soi-disant augmentation de 100 € du SMIC annoncée par Macron en réponse au mouvement des gilets jaunes : il s’agit de l’addition de la revalorisation de 1,5 % du SMIC prévue par la règle de calcul automatique (à l’exclusion donc de tout « coup de pouce »), d’une modification du calendrier de hausse de la prime d’activité, et là encore d’une baisse de cotisations sociales salariales pour un montant de 20 euros.

Dans le contexte du matraquage gouvernemental et médiatique autour du  « ras-le-bol » fiscal, l’omniprésence du terme de « charges » a pour effet d’accréditer l’idée que les cotisations finançant la protection sociale en France (mais aussi dans la plupart des pays européens), seraient assimilables à des impôts amputant le revenu disponible des ménages.

Les thèmes mis en avant par les Gilets jaunes ravivent cette question. Dans la foulée de la contestation des « taxes » au début du mouvement, plusieurs listes de revendications émanant du mouvement ont mis en avant la diminution voire la suppression des « charges »  sociales dites « patronales » comme « salariales ». Compte tenu de la composition hétérogène du mouvement, ces revendications ont pu être portées par des chefs d’entreprises ou des membres de professions indépendantes (artisans, commerçants) mais aussi reprises par des salarié-es, témoignant du fait qu’avec le temps, la désinformation et les contre-réformes successives, la raison d’être de la cotisation a été perdue de vue pour une grande partie de la population.

Les risques d’un oubli de l’Histoire

Les ordonnances du 4 octobre 1945 ont « institué une organisation de la Sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu’ils supportent ». Elles ont mis en place la Sécurité sociale, couvrant les risques maladie, maternité, invalidité, vieillesse, décès et accidents du travail, un système complété en 1958 par l’instauration de l’Unedic. La généralisation des cotisations obligatoires a permis d’étendre à l’ensemble des salarié-es des dispositifs datant pour une partie d’entre eux de 1930 et de la loi de 1932 sur les allocations familiales.

Comme dans d’autres pays d’Europe (Allemagne, Autriche, Belgique, etc.) le financement de la protection sociale après 1945 repose en France sur la socialisation d’une partie du salaire. Il alimente des caisses indépendantes du budget de l’État et gérées par les salarié-es, par l’intermédiaire des organisations syndicales. Cette histoire, qu’a récemment popularisée le film de Gilles Perret, La Sociale, à propos de l’assurance-maladie, reste encore largement occultée. Rappelons la spécificité de la France de 1945, celle d’un rapport de force largement favorable au mouvement ouvrier, que traduisait la place du Parti communiste dans la sphère politique, et celle de la CGT dans la construction des institutions de la Sécurité sociale[2]. Rappelons aussi que jusqu’aux ordonnances, imposées par De Gaulle, qui ont instauré la parité avec les organisations patronales en 1967, les syndicats de salarié-es étaient majoritaires (aux deux-tiers) dans la gestion des caisses. L’ensemble du dispositif présente un lien consubstantiel au plein-emploi comme projet de société. Au lendemain de la Libération et au cours de la décennie 1950, ce plein-emploi est encore virtuel car largement masculin, mais il va se trouver conforté au cours de la décennie 1960 par la salarisation massive de la population active et sa féminisation, confirmant son caractère universel.

La cotisation sociale n’est donc pas un impôt, mais une part du salaire. Elle est constitutive du salaire dit super-brut (le « coût du travail » du point de vue des entreprises) ; son montant et son évolution contribuent donc à l’évolution de la part des salaires dans la valeur ajoutée. Elle participe de la répartition primaire. C’est ainsi qu’en France, la diminution de dix points de la part des salaires dans la valeur ajoutée depuis le début des années 1980 est passée par la modération du salaire brut (dont l’évolution est souvent restée en deçà des gains de productivité), mais aussi par l’empilement des mesures d’exonérations des cotisations sociales patronales, conçues pour encourager la création d’emplois non qualifiés et le temps partiel.

La logique néolibérale de la fiscalisation

Les contre-réformes de la protection sociale de ces deux dernières décennies, en subordonnant son fonctionnement à des objectifs qui ne sont pas ceux pour lesquels elle a été créée (protéger la population du besoin et de l’insécurité sociale), dessinent une conception entrepreneuriale des assurances sociales. Le processus de fiscalisation du financement, conjointement avec la soumission aux critères marchands, participe de cette évolution.

En effet, malgré la volonté politique de diminuer la pression fiscale, notamment sur les patrimoines et les revenus du capital, l’orientation des gouvernements est depuis trente ans d’essayer de transférer vers l’impôt le financement de la protection sociale. En France, cela a pris la forme de l’instauration de la cotisation sociale généralisée (CSG) en 1991 qui, comme son nom de l’indique pas, est un impôt consacré initialement au financement de la branche famille, avant d’être étendu à la maladie et à la partie dite non-contributive de l’assurance vieillesse. Le recours à la CSG, en élargissant l’assiette du prélèvement à d’autres revenus, détache en partie le financement de la Sécurité sociale du salaire, et contribue à réduire le coût du travail. La hausse de la TVA, compensée par une baisse des cotisations sociales, a été dans le même sens début 2014. Plus indirectement, la place prise dans les politiques sociales par les minima sociaux et la CMU, prestations d’assistance gérées par l’État ou par les collectivités locales, va dans le même sens.

Selon l’approche économique dominante, la fiscalisation vise à empêcher que les cotisations ne nuisent à la compétitivité des entreprises ou ne viennent perturber le prix relatif des facteurs de production (travail par rapport au capital, travail non qualifié par rapport au travail qualifié). Une telle distorsion (appelée parfois « coin socio-fiscal » à l’instigation de l’OCDE) aurait pour effet de dissuader les chefs d’entreprise d’investir et d’embaucher (notamment des travailleurs non qualifiés), et de désinciter au travail, d’où l’injonction à « faire que le travail paie ». Le document d’accompagnement du LFSS 2019, conformément à cette logique, prévoit « d’encourager le travail pour qu’il soit toujours payant » et « que ceux qui travaillent perçoivent une rémunération juste au regard de leurs efforts ».

Le problème est que ces assertions de la théorie économique standard n’ont jamais été vérifiées empiriquement. Aucune étude n’a pu faire la preuve de l’efficacité de vingt-cinq ans de baisse des cotisations sur les créations d’emplois, surtout au regard de leur coût exorbitant. Celui-ci est ainsi estimé à 200 000 euros par emploi créé pour le CICE, sans prendre en compte les effets récessifs du financement de la mesure. Ont essentiellement joué des effets d’aubaine (les entreprises ont bénéficié d’exonérations de cotisations pour des emplois qu’elles auraient de toute façon créés) et surtout des effets de substitution (elles ont été incitées à remplacer des emplois relativement stables et correctement rémunérés par des emplois précaires et à bas salaires, contribuant à alimenter la précarité et la pauvreté laborieuse). La suppression des cotisations sur les heures supplémentaires et complémentaires a quant à elle un effet destructeur sur l’emploi (de l’ordre de 19 000 emplois à l’horizon 2022 selon les calculs de l’OFCE[3]). La recherche à tout prix d’une compétitivité-coût sur la base de l’incitation à la création d’emplois à bas salaires enferme l’économie dans une trappe à faible qualification et faible intensité technologique.

La logique fondamentale de la fiscalisation de la protection sociale consiste à exonérer les entreprises du coût de la reproduction de la force de travail, sans bénéfice aucun ni pour l’investissement et la croissance, ni pour l’emploi. La thèse selon laquelle la Sécurité sociale, ayant vocation à être universelle, devrait s’affranchir de son assise salariale en mettant à contribution l’ensemble de la population (et pas seulement les salarié-es) a été largement répandue depuis le plan Juppé en 1995. En ce qui concerne la couverture des risques sociaux, derrière une apparente justice fiscale, cette fiscalisation comporte un risque pour les salarié-es de « lâcher la proie pour l’ombre »[4], en rapprochant le modèle français des modèles libéraux anglo-saxons qui misent sur des dispositifs d’assistance parcimonieux et ciblés, au détriment d’une sécurisation véritable de l’existence.

Le piège de la budgétisation

Le processus de fiscalisation rampante se traduit par une amputation des ressources propres de la protection sociale ayant pour effet leur budgétisation croissante. La création en 1995 d’une loi de financement de la Sécurité sociale (LFFS), votée chaque année par le Parlement, assortie d’un objectif de dépenses, rendu impératif par la loi de 2004, transfère les pouvoirs de décision vers l’État, qu’il s’agisse des recettes ou des dépenses. Les caisses d’assurance maladie ou de retraite sont ainsi tenues de prendre des mesures de baisse des dépenses dès que le comité d’alerte constate une dérive. Bien qu’en principe gérées paritairement, elles perdent dans certains cas leur autonomie de décision. La définition d’un taux de cotisation ou de la CSG relève de moins en moins des partenaires sociaux et de plus en plus de l’État.

Les dispositifs de compensation par le budget de l’État liés aux mesures successives d’exonération des cotisations patronales ont contribué à la budgétisation. Toutefois cette compensation est désormais remise en cause, le gouvernement justifiant ce changement par le retour de la Sécurité sociale à un excédent, après plusieurs années de déficit. Dès 2019, cela représentera une perte de de 3 milliards d’euros. Il est donc à craindre que l’ajustement se fasse maintenant sur les prestations.

Les salarié-es ne prennent pas toujours conscience des enjeux de ce processus. L’éloignement progressif des syndicats de la gestion des caisses, l’abandon depuis 1982 des élections à la Sécurité sociale, ont contribué à une forme d’invisibilisation. La budgétisation croissante n’en comporte pas moins le risque de subordonner chaque année un peu plus les objectifs de la protection sociale à des impératifs budgétaires. Le modèle social français est loin du démantèlement car les cotisations sociales résistent malgré tout. En 2017, leur montant représentait encore près de 60 % de la masse du salaire net total. Mais il est urgent de les défendre.

 

[1] Cf. les notes des Économistes atterrés « 2018 : un budget de classe », A. Eydoux, M. Lainé, P. Légé, C. Ramaux, H. Sterdyniak et « Budget 2019 : l’impasse », N. Coutinet, A. Eydoux, C. Ramaux, H. Sterdyniak.

[2] Bernard Friot a mis en lumière (dans Puissances du salariat, emploi et protection sociale à la française, La Dispute, 1998) la nature spécifique de la cotisation comme partie intégrante du salaire dans l’histoire de la protection sociale en France et son lien avec la construction de l’ensemble des institutions du salariat (salaire minimum, statut de la fonction publique, conventions collectives). Il l’oppose au dispositif qu’il nomme couple fiscalité – épargne, présent notamment dans les pays anglo-saxons. Il a depuis radicalisé son propos, passant de l’éloge (bienvenu) de la cotisation à l’idée qu’elle paie le supposé travail productif des retraités (ce qui ouvre d’autres discussions dépassant le cadre de cette note).

[3] E. Heyer, « Quel impact doit-on attendre de l’exonération des heures supplémentaires ? », Policy brief, OFCE, n° 23, 8 juillet 2017.

[4] M. Husson, « Financement de la protection sociale : ne pas lâcher la proie pour l’ombre », Collectif n° 27, juillet 1995.

 

Les autorités (policiers, procureur, Macron) ont menti sur l’agression policière contre geneviève Legay

Nous avons plus de 70 ans et nous ne voulons plus avoir peur de manifester

mardi 26 mars 2019, par Attac France

Nous avons plus de 70 ans et nous ne voulons plus avoir peur de manifester sous la présidence d’Emmanuel Macron.

Nous avons plus de 70 ans et nous sommes choqué·e·s d’avoir vu avec quelle violence Geneviève Legay, 73 ans, porte-parole d’Attac 06 et militante infatigable pour la paix, a été grièvement blessée ce samedi 23 mars à Nice.

Nous avons plus de 70 ans et nous sommes en colère : rien ne peut justifier qu’une femme de 74 ans se retrouve à l’hôpital avec de graves blessures parce qu’elle voulait exercer son droit de manifester.

Nous avons plus de 70 ans et nous sommes effaré·e·s par le nombre de vies brisées et de corps mutilés par les violences policières.

Nous avons plus de 70 ans et nous sommes furieux·ses de voir le président de la République, la ministre de la Justice et le ministre de l’Intérieur, entre autres, se décharger de leur responsabilité pour accabler Geneviève Legay, toujours hospitalisée, qui n’aurait pas dû, selon eux, être dans la rue.

La sagesse, Monsieur Emmanuel Macron, c’est défendre inlassablement le droit à manifester que vous ne cessez de raboter pour satisfaire les courants les plus conservateurs et réactionnaires du pays.

La sagesse, Monsieur Emmanuel Macron, c’est manifester et lutter inlassablement contre votre politique qui aggrave les injustices fiscales et sociales sans résoudre la crise écologique.

La sagesse, Monsieur Emmanuel Macron, c’est vous rappeler inlassablement à votre responsabilité : celle d’assurer notre sécurité, en toute circonstance, y compris quand nous manifestons contre vos politiques.

N’est-ce pas vous, Emmanuel Macron, qui affirmiez, à l’entre-deux-tours de votre élection, vous « battre » pour que nous puissions « démocratiquement exprimer nos désaccords » ? Pourquoi nous en empêcher aujourd’hui ? Pourquoi paraphraser Robert Pandraud à propos de la mort de Malik Oussekine en laissant entendre que les personnes « fragiles » ne devraient plus manifester ?

Oui, Monsieur Emmanuel Macron, nous avons plus de 70 ans, et nous ne voulons plus avoir peur de manifester sous votre présidence, et nous continuerons à le faire ! Nous ne voulons plus que quiconque ait peur de manifester. Est-ce trop vous demander ?

Nous apportons tout notre soutien à Geneviève Legay et ses proches et appelons à se mobiliser pour défendre le droit de manifester. »

Premiers signataires : Jacqueline Balvet, Isabelle Bourboulon, Lina Chocteau, Solange Combes, Gérard Filoche, Jean Gadrey, Nicole Gadrey, Susan George, Jean-Marie Harribey, Gus Massiah, Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot, Dominique Plihon.

 

 

Gilets jaunes : avant tout un magnifique mouvement social

 

Une douzaine de livres viennent de sortir sur les Gilets jaunes. On sent le précipité dans l’écriture. D’autant que le mouvement est en cours, et que l’explosion est plutôt devant nous que derrière nous. Mais il ressort de ces ouvrages, qui reposent sur des enquêtes et des études universitaires, même quand leurs auteurs sont orientés à droite, que le mouvement réel est bel et bien orienté à gauche, comme nous le savions, à la GDS, depuis le tout début.

 

Pas besoin d’être grand clerc en effet pour le deviner : un mouvement social produit et exige du social au cœur. Dès que les masses rentrent dans l’action, ce n’est pas Le Pen qui récolte. Elle en est tout bonnement incapable. Ce sont les questions de salaires, d’emploi, de justice fiscale – bref, de partage des richesses – et de démocratie qui l’emportent. Et ça, c’est la gauche !

 

Un mouvement qui vient de loin

Quand la société est bloquée, l’explosion sociale intervient comme un séisme régulateur. Et la société est agressée depuis deux décennies. Depuis 2002, la droite exerce un pouvoir sans partage, et elle pille de façon rapace le travail pour le seul compte du capital.

Le salariat s’est appauvri, il a été surexploité et toutes les mesures sont allées dans un seul sens : blocage des salaires nets, allongement des durées du travail, pillage des cotisations sociales, diminution des pensions, casse du Droit du travail, accroissement de la précarité (contrats atypiques, temps partiel, intérim, CDD, contrats de mission, à la tâche…), affaiblissement de toutes les institutions représentatives du personnel salarié (CE, DP, DS, CHSCT, auxquelles on pourrait ajouter la médecine et l’inspection du travail, les prud’hommes, la Sécurité sociale, les mutuelles..).

À un moment donné cette succession de mesures réactionnaires se heurte à un ras le bol qui suscite une explosion. Nous y sommes.

La profondeur du rejet social du libéralisme a été telle que, sous Hollande, même le PS s’est en partie dressé contre lui – fait sans précédent dans l’histoire de la Ve République. Il fallu une succession de coups de forces pour imposer l’ANI, les lois Sapin, Rebsamen, Macron, et c’est par le biais du 49.3 que sont passés le CICE, et les lois El Khomri. En 2016, 30 % du PS et la majorité écrasante de la gauche ont manifesté quatorze fois, avec le soutien de 80 % de l’opinion, contre la scélérate loi El Khomri. En vain. Le pouvoir a été plus opposé au mouvement social que Chirac lui-même ne l’était en 1986, en 1995 et en 2006. Le trio Hollande-Valls-Macron n’a rien cédé. Hollande l’a payé cher, puisqu’il a été dans l’incapacité de se représenter. Valls a été balayé électoralement lors des primaires. Mais, divisée, la gauche, au sein et hors du PS, n’a malheureusement pas réussi à se doter d’un candidat unique.

 

L’explosion

C’est alors que Macron est arrivé « par effraction », comme il l’a lui-même reconnu. Et il s’est immédiatement attelé à aller beaucoup plus loin et plus vite que Sarkozy et Hollande dans la casse de notre modèle social. Il faut prendre au sérieux ses objectifs affichés : la « France start-up », une société « sans statuts », « post-salariale », « ubérisée ». Il s’agit là d’un programme libertarien en rupture totale avec le programme du Conseil national de la Résistance dont on fête les 75 ans.

Avec un parti en carton-pâte, mais avec l’appui de la finance, des banques, du CAC 40, du Medef et de 95 % des grands médias, Macron s’est lancé à l’assaut du pays. Il a commencé par donner le coup de grâce au Code du travail sans réaction majeure. Il s’en est ensuite pris à la SNCF, malgré la résistance des cheminots soutenus par une majorité de la population. Comme Valls en son temps, Macron se sent autorisé, face aux manifestants, à mentir, nier, masquer, refuser de négocier quoi que ce soit. Il menace même maintenant de tirer et tuer.

C’est alors qu’une partie du salariat qui n’avait encore jamais bougé s’est mise en mouvement. Comme si elle y était obligée. Comme s’il était impossible de faire autrement. C’est le produit de l’absence de frein, mais aussi de victoires syndicales ces dernières années. C’est le résultat de l’énorme trahison de la gauche officielle (assimilée dans son ensemble à Hollande). Un an de combats puissants en 2016 n’avait pas suffi ; Nuit debout, occupant les places des villes l’année suivante, non plus. De nombreux salariés du bas de l’échelle, les plus frustrés, les plus victimes de ces vingt années de régression sont entrés en action, en remplacement des syndicats KO, des partis de gauche éparpillés et divisés, face à Macron l’apprenti-sorcier.

Comme toujours, ce sont les profondeurs de la société qui se sont soulevées. La fameuse taxe carbone sur les carburants servit de détonateur. Depuis le 17 novembre 2018, nous sommes dans une crise sociale géante. C’est la majorité écrasante du pays qui s’est révélée avec les Gilets jaunes, parce qu’elle a toujours rejeté, sans savoir comment faire, ni y parvenir, avec des espoirs successifs trahis depuis des décennies, cet ordo-libéralisme impitoyable qui l’asservit, la surexploite et l’opprime férocement. Le rejet d’une écologie punitive, le lien entre « fin du mois » et la « fin du monde », l’exigence mêlée de défense de la planète et de justice sociale, l’ont vite emporté contre les pseudo-Verts cyniques et pillards, « à la de Rugy », appuyés par Total et Lactalis.

 

Face à la contre-révolution

La forme qu’a prise l’explosion est due à la violence sociale de Macron. La lutte de classes a fait un bond énorme en avant. C’est notre classe, le salariat, qui a bougé. C’est la venue à la conscience majoritairement, empiriquement, que « trop c’est trop » ! Ils sont trop riches là-haut et ils nous en prennent trop ! Il fallait bloquer. Il fallait se faire entendre de façon radicale, nouvelle, démocratique et spontanée. La dictature de la finance est devenue la plus fréquemment dénoncée : contre ceux d’en haut, de l’oligarchie, des riches, des politiciens corrompus, des menteurs qui ne comprennent pas le peuple !

Les banderoles, les tags, les panneaux, les slogans sont intarissables avec un sens tout à fait révolutionnaire de la formule : « Qui ne casse rien n’a rien », « Fin du moi, début du nous », « Fini le banquet des banquiers ? », « Plus de banquise, moins de banquiers », « Je veux dormir avec toit », « Le grand dégât », « Macron-Magnon », « Rendez l’ISF d’abord ! », « Google, paie tes impôts ! », « Nous déclarerons nos manifs quand vous déclarerez vos revenus », « Pas de Cartier pour les pauvres », « En plus des gaz, la poudre aux yeux »… Les Gilets jaunes s’inscrivent dans la longue histoire des « guerres des pauvres », des révoltes et des révolutions, à la suite des sans-culottes, des communards, des soixante-huitards.

Cette explosion révolutionnaire se concentre contre Macron, le mal élu, qui ne représente pas le peuple, et encore moins le salariat. Il n’a jamais travaillé et il hait le travail. Le capital est son maître, et ça se voit ! Macron n’est fort que du soutien de la finance et du patronat, mais il est faible car il est isolé socialement. Il a des pieds d’argile. Son « parti » n’a pas l’assise de la « vieille droite », ni même celle d’un PS qui peine pourtant à sortir de sa crise.

Macon incarne tout ce que des millions de citoyens en souffrance (50 % de salaires inférieurs à 1 700 euros, 9 millions de pauvres, 7 millions de retraités en dessous de 1 000 euros, 6 millions de chômeurs) ne peuvent plus supporter. Comme son but est de transférer les 500 milliards de salaire brut affectés aux caisses sociales pour les ventiler dans le budget courant de l’État, la violence de ses choix budgétaires se ressent cruellement.

 

Pathétiques pare-feux

Cette contre-révolution mise en œuvre par Macron est devenue insupportable pour la société et elle a provoqué un rejet qui stupéfie la classe dominante : cette dernière n’a d’abord eu que mépris pour les Gilets jaunes, considérés initialement comme de gentils « zozos », puis devenus d’affreux « jojos ». Du 17 novembre au 10 décembre, le pouvoir surpris a frémi, puis il a décidé de frapper un grand coup médiatique et ne rien changer, reculer en apparence pour continuer comme avant. Mais faire payer des « primes d’activité » à certains salariés par d’autres salariés, financer les heures supplémentaires de ceux qui en font par ceux qui n’en font pas, ne pas toucher aux symboles comme l’ISF, ne rendre aux retraités qu’une partie infime de ce qui leur avait été pris, cela ne pouvait pas prendre face à l’énorme soulèvement mûrissant sur les ronds-points. Le 12 décembre, une aide-soignante quarantenaire d’Avignon déclarait par exemple comme un défi : « J’ai plus appris en trois semaines qu’en trente ans de ma vie, on ne va pas lâcher maintenant ! »

Tout en s’agitant plus de 70 heures en direct sur toutes les chaînes de télé, dans des « débats » où il est le seul à parler, Macron s’isole et s’épuise, loin des réalités de la mobilisation qui se poursuit. Le summum dans l’échec fut atteint le 27 janvier, lors de la « grande manifestation » pro-Macron, conçue comme celle du 30 mai 1968 en soutien à De Gaulle…, mais qui ne rassembla que quelques centaines de participants ! Un autre bide ridicule eut lieu au Salon de l’agriculture où il lui fallut faire venir 200 figurants pour se protéger des autres visiteurs.

Le pseudo grand débat devait servir à gagner du temps, à occuper le terrain sans rien concéder sur le fond, pour user les manifestants et distraire leurs soutiens. Macron y frimait en parlant de tout, plutôt que de redistribution des richesses ! Ils pariaient tous que le mouvement ne passerait pas Noël ou que l’hiver l’épuiserait. Ils ont fait démonter un à un les ronds-points et les barrages. Ils se sont évertués à propager de basses calomnies. Tout a été essayé : antisémites, homophobes, fascistes, barbares, analphabètes, casseurs, voyous, black blocs… Mais la puissance du mouvement ne s’est pas relâchée ; il a résisté de façon courageuse. Les mensonges sur les chiffres réels de participants (divisés systématiquement par dix par le ministre de l’Intérieur) n’y ont rien fait.

 

Répression sans précédent

D’où une répression dont la violence est sans précédent depuis la guerre d’Algérie. Mine de rien, pour défendre Hayek, il faut forcément matraquer. Peut-être pas jusqu’aux extrémités et aux crimes perpétrés par Pinochet, mais le néo-libéralisme reste sans pitié, quelles que soient les circonstances. La violence policière a donc atteint des sommets avec des méthodes de barbouzes inqualifiables : 600 blessés graves, 9 000 arrestations, 4 000 condamnations. Tout a été utilisé : lacrymogènes, parcage, nasse, passages à tabac, LBD, grenades offensives, etc. La loi anti-manifestation a été durcie comme aux pires moments de notre histoire. La police a été autorisée à faire peur, la terreur étant censée limiter le nombre de manifestants. Au contraire du préfet Grimaud qui, en Mai 68, écrivait aux policiers : « si un policier frappe un manifestant à terre, il se frappe lui même », Castaner et Macron ont lâché cyniquement la bride à leur piétaille au point d’être condamnés par l’ONU, par l’UE et par toutes les institutions internationales de défense des Droits de l’Homme.

Le 16 mars, le « grand débat » s’est donc achevé. C’est un échec total, puisqu’il a mobilisé moins de 200 000 personnes. Mais Macron, parti à contre-temps au ski, réagit comme un apprenti-dictateur : refusant toujours de répondre socialement et politiquement, il annonce, illuminé, poussé par la droite, que ses propres exécutants ont été trop mous. Il les limoge et annonce que, le samedi suivant, il frappera encore plus fort qu’avant. Et peu importe le nombre de victimes…

 

Élargissement en vue

La puissance des revendications des Gilets jaunes se confirme par son audience majoritaire dans le pays : le soutien de l’opinion se situe entre 85 % et 55 %, ce qui constitue un record après quatre mois de matraquage médiatique sans précédent. Vu le tombereau de mensonges, de calomnies, d’attaques insensées déversées tout azimut pendant cette période, le fait que la popularité des Gilets jaunes soit restée majoritaire est « incroyable, mais vraie ».

La participation progressive des syndicalistes, les jonctions avec les manifestations plus « classique », les meetings communs jaune-rouge-vert, le soutien de quelques grands intellectuels, les débats publics ont contribué à faire pencher le mouvement à gauche, vers les revendications traditionnelles du salariat : des 42 revendications du 27 novembre aux douze mots d’ordre triés et hiérarchisés par 700 Gilets jaunes de Toulouse, de la plateforme de Commercy à celles rédigées dans la perspective de l’AG de Saint-Nazaire (les 5, 6 et 7 avril), on a un ensemble de mesures sociales positives. La radicalisation s’est faite en cours de route et dans le bons sens. La peur des « récupérations » s’est estompée. Les faux porte-parole propulsés par certains médias ont été obligés peu à peu de disparaître ou de se taire. Les pseudo-listes de Gilets jaunes ont fait flop. Le mouvement se structure, s’autogère et se cultive recherchant des racines, des cultures, des organisations ayant du savoir-faire. Les questions sont devenues : comment s’élargir ? que faire ? jusqu’où aller ? comment gagner tous ensemble ?

La violence – chacun l’a compris – nous place dans un étau ; le pouvoir s’en sert comme d’un épouvantail. « Qui ne casse rien n’a rien », rétorquent certains Gilets jaunes trop pressés d’en découdre. Il faut faire avec, mais tout en propageant l’idée que ce qui fait gagner, ce n’est pas la casse, c’est la masse. L’élargissement.

La caractéristique principale du mouvement des Gilets jaunes est d’ores et déjà sa durée : quatre mois ! Tous les historiens, tous les militants savent combien c’est long. Malgré le froid, les coups de matraque, la destruction des barrages, les condamnations à la chaîne, la peur orchestrée, le manque de moyens matériels, des dizaines de milliers de nouveaux militants sont nés ; cela n’aurait pu se faire si le mouvement des Gilets jaunes n’exprimait pas quelque chose de très profond. C’est ce que veulent masquer les Macron et Cie : ils ont perdu, mais ils veulent nier leur défaite idéologique et sociale et se déclarent prêts à tout. Jusqu’à tuer ?

« On n’a pas fait tout ça pour rien ! » « On ne va pas lâcher ! » : à tout moment, la tension est forte et le rebond possible. Ceux qui annoncent depuis des mois que « le mouvement s’essouffle » en ont déjà été pour leurs frais. En fait, tout ce mouvement est en quête d’un printemps géant. Macron ne pourra pas, comme il l’espère encore, s’en tirer avec de la contre-façon.

 

On peut gagner !

Rien, quoi qu’ils en disent, ne fera rentrer le torrent impétueux dans son lit. Ce mouvement inédit est le signe prémonitoire d’une véritable révolution à venir, capable d’embraser tout le pays. C’est ce que les militants socialistes, communistes, écologistes et « insoumis » doivent dire et expliquer haut et fort : si Macron ne répond pas, la situation pourrait bien devenir pré-révolutionnaire.

Nous devons faire passer la peur de leur côté et emmagasiner la confiance dans le nôtre. Oui, on peut gagner ! Oui, on va gagner ! À bas la répression ! C’est le macronisme qui est dans l’impasse. Comme nous l’avions prévu dès son avènement, sa politique de casse sociale systématique est inacceptable et inacceptée. Il est impossible d’ubériser 90 % d’actifs salariés, de leur faire tout perdre et de les reclasser en « indépendants agiles », dans des start-up qui les emploient en contrat commercial et les sous-paient. Cela ne se fera pas. Jamais cela n’arrivera.

Il faut qu’il recule. Qu’il cède et prennent les mesures sociales qui s’imposent. La société a explosé et elle attend des réponses concrètes, non des discours lénifiants. Fini le blocage des salaires ! Finie la casse des retraites ! Il faut inverser le cours de l’histoire. Lors des deux précédentes décennies, les droites au pouvoir ont trop tiré sur la corde ; l’équilibre est devenu impossible. Il faut que le capital rende au travail : 300 euros de hausse des salaires et baisse des dividendes ! La plateforme de douze mesures que la GDS soumet à toute la gauche (voir ci-contre) est une issue proposée à l’affrontement.

 

Nos tâches

La tâche des militants de la Gauche démocratique et sociale est donc de donner le meilleur contenu politique possible au mouvement. Elle est aussi de participer à l’action quotidienne, d’aider, de renforcer la mobilisation et sa démocratie interne. Elle est par ailleurs de contribuer à l’unité de la gauche afin de construire, avec d’autres, un véritable pôle attractif (nous l’avons initié dès novembre 2018 à Nantes, à Toulouse, à Paris). Elle est enfin de faire adhérer à la GDS, car nous sommes utiles au cœur de toutes ces actions, mais pas assez nombreux !

 

Gérard Filoche

 

 

un texte de Daniel Mermet : non a la violence

 

La France est prise en otage par une minorité de casseurs en bandes organisées, qui n’ont d’autre but que la destruction et le pillage. C’est un appel à la résistance et à la fermeté contre cette violence sauvage qui s’impose à tous aujourd’hui. Depuis trop longtemps, ces milieux radicaux ont reçu le soutien du monde intellectuel et d’un certain nombre de médias. Il faut radicalement dénoncer ces complicités criminelles. Oui, criminelles. C’est un appel à la révolte contre cette violence que nous lançons devant vous aujourd’hui.

Non à la violence subie par plus de 6 millions de chômeurs [1], dont 3 millions touchent moins de 1 055 euros bruts d’allocation chômage [2].

Non à la violence du chômage qui entraîne chaque année la mort de 10 000 personnes selon une étude de l’INSERM [3].

Non à la violence subie par près de 9 millions de personnes en dessous du seuil de pauvreté (1 015 euros nets mensuels pour une personne seule), dont 2,7 millions de mineurs [4].

Non à la violence des inégalités devant la mort : l’espérance de vie d’un ouvrier est de 71 ans, l’espérance de vie d’un cadre supérieur est de 84 ans, soit 13 ans de différence [5].

Non à la violence de la destruction consciente de l’environnement, et de la destruction consciente des femmes et des hommes au travail.

Non à la violence subie par les agriculteurs : tous les trois jours, un agriculteur se suicide en France [6].

Non à la violence subie par les 35 000 morts de l’amiante entre 1965 et 1995 [7]. Aujourd’hui toujours, chaque année, 1 700 personnes meurent des suites de l’amiante [8].

Non à la violence des inégalités dans l’éducation : 17 000 écoles publiques ont fermé depuis 1980, selon l’INSEE [9].

Non à la violence en matière de logement : 4 millions de mal-logés en France selon la fondation Abbé Pierre, dont 140 000 sans domicile fixe [10]. On compte 3 millions de logements vacants en France [11].

Non à la violence subie par les morts retrouvés dans la rue : au moins 500 morts chaque année, selon le collectif Les Morts de la Rue [12].

Non à la violence subie par 1,8 millions d’allocataires du Revenu de solidarité active, un RSA de 550,93 euros mensuels pour une personne seule [13].

Non à la violence subie par les 436 000 allocataires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, un minimum vieillesse de 868,20 euros pour une personne seule [14].

Non à la violence subie par les 2 millions de personnes qui reçoivent l’aide alimentaire, dont 70 % sont des femmes [15].

Non à la violence de l’évasion fiscale, soit un vol de 80 milliards d’euros chaque année par quelques-uns au détriment de tous, de l’éducation par exemple ou de la santé [16].

Vous pouvez continuer et compléter cette liste des vraies violences.

Mais ces chiffres et ces statistiques ne sont que des indications qui ne permettent pas vraiment de mesurer la profondeur de la violence subie par les corps et les âmes d’une partie des gens de ce pays. Violence de la fin du mois, violence des inégalités, violence du mépris de classe, violence d’un temps sans promesses. C’est évident, simple et profond. Leur violence en réponse n’est rien en face de la violence subie. Elle est spectaculaire, mais infiniment moins spectaculaire que la violence partout présente. Sauf que celle-ci, on ne la voit plus, elle est comme les particules fines dans l’air que l’on respire et d’ailleurs elle n’existe pas pour ceux qui ne l’ont jamais vécue, pour ceux qui sont du bon côté du doigt, pour ceux qui exercent cette violence et qui sont les complices, les véritables complices de cette violence-là, autrement meurtrière, autrement assassine. Mais pour les « petits moyens », depuis trop longtemps, elle est écrasante, mutilante, aliénante, humiliante. Et subie, depuis trop longtemps subie.

Ils se battent bien sûr, ils luttent, ils cherchent les moyens de lutter, les moyens de s’en sortir pour eux et leurs enfants. Pour tous.

Et un jour, quelqu’un a enfilé un gilet jaune.

Daniel Mermet

L’équipe de Là-bas attend vos messages sur le répondeur au 01 85 08 37 37 !

Notes

[1] Catégories A, B, C, D et E confondues, voir Pôle emploi, « Demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi au 4e trimestre 2018 », janvier 2019.

[3] Pierre Meneton, Emmanuelle Kesse-Guyot, Caroline Méjean, Léopold Fezeu, Pilar Galan, Serge Hercberg, Joël Ménard, « Unemployment is associated with high cardiovascular event rate and increased all-cause mortality in middle-aged socially privileged individuals », International Archives of Occupational and Environmental Health, novembre 2014.

[4] Institut national de la statistique et des études économiques, Les revenus et le patrimoine des ménages
Édition 2018
, 05 juin 2018.

[5] Nathalie Blanpain, « L’espérance de vie par niveau de vie : chez les hommes, 13 ans d’écart entre les plus aisés et les plus modestes », Institut national de la statistique et des études économiques, 6 février 2018.

[6] V. Gigonzac, E. Breuillard, C. Bossard, I Guseva-Canu, I. Khireddine-Medouni, « Caractéristiques associées à la mortalité par suicide parmi les hommes agriculteurs exploitants entre 2007 et 2011 », Santé publique France, 18 septembre 2017.

[8] Julie Carballo, « Amiante : 2 200 nouveaux cancers et 1 700 décès par an en France », Le Figaro, 20 janvier 2015.

[9] Institut national de la statistique et des études économiques, « Tableaux de l’économie française. Édition 2018 », 27 février 2018.

[10] Fondation Abbé Pierre, « 24e rapport sur l’état du mal-logement en France 2019, 1er février 2019.

[11] Institut national de la statistique et des études économiques, « Le parc de logements en France au 1er janvier 2018 », 02 octobre 2018.

[12] Les Morts de la Rue, « Liste des morts de la rue », 5 février 2019.

[13] Ministère des Solidarités et de la Santé, « Nombre d’allocataires du RSA et de la Prime d’activité », 02 mars 2018.

[14] Caisse nationale d’assurance vieillesse, « Minimum vieillesse et ASI », 5 juin 2018.

[15] Banques alimentaires, « Rapport d’activité 2017 ».

 

edito du monde diplomatique avril 2019 cordon sanitaire

Rapport Lecocq, nouvelle loi anti travail

 

Y’a t il encore « trop » de contraintes et « trop » de contrôle » sur les entreprises ? Dans le monde libertarien, d’Hayek, Friedman et Macron, doit régner « la dictature de la liberté », il ne faut donc pas entraver la productivité, la compétitivité, et c’est le sens du nouveau rapport « Lecocq » du nom de la députée LREM du Nord.

Ce dangereux rapport se propose de continuer la besogne des lois Hollande- El Khomri et des ordonnances Macron-Pénicaud : en finir avec le contrôle de l’inspection du travail, pour privilégier la notion individualiste de « responsabilité », conçue comme une « performance globale (sic) » de l’entreprise.

Chaque salarié deviendrait le propre acteur de sa santé au travail : le lien de subordination qui caractérise le contrat serait de facto aboli, l’employeur quasi dégagé de sa responsabilité, et le salarié possiblement accusable de son propre malheur.

« - T’es tombé, t’avais pas mis de garde-corps, c’est ta faute, puisque le règlement de l’entreprise prévoit qu’il faut mettre un garde corps ».

«  -Tu es un acteur de ta sécurité autant que le patron, tu seras responsable de tes bilans de santé autonomes…

« - Tu réaliseras toi même ton examen, poids, taille, fréquence cardiaque, tension artérielle, tu seras guidé par vidéo et toutes les informations seront collectées  a distance par un « Service de santé au travail »

Ce serait la fin du document unique collectif de prévention et de sécurité. Le but serait de « desserrer la contrainte » qui pèserait sur l’entreprise,  donc de décharger l’employeur  de rendre des comptes de la mise en œuvre de ses obligations face au juge en cas d’accident.

Il serait aussi de donner la priorité aux « accords d’entreprise » sur les accords de branche ou sur la loi :  la prévention ne serait plus d’ordre public social, elle deviendrait aménageable par « négociation » au cas par cas. Laquelle « négociation » deviendra la dernière roue du carrosse, une fois que les CHSCT ont été supprimés, et alors que le nombre total des élus du personnel est divisé par deux. Le chantage à l’emploi l’emportera évidemment, dés lors que ce n’est plus la loi qui décide,  sur la sécurité, l’hygiène, les conditions de travail.

Ce cynisme et cette violence avec lequel Hollande puis Macron ont entrepris de casser la protection des salariés au travail  témoigne de la brutalité des exigences des patrons et de la finance : rien ne doit entraver la recherche du profit maximum même pas 550 morts au travail par an, 700 suicides liés au travail par an, 4500 handicapés du travail par, 650 000 arrêts du travail par an, des dizaines de milliers de maladies professionnelles dont un nombre considérable et sous-estimé de cancers, de troubles musculo-squelettiques, de cas de surdité.

Gérard Filoche