« Dans le hammam du Grand hôtel » (Carnets d’un inspecteur du travail)

Dans le hammam du Grand hôtel

La personne inscrite à la permanence était une femme d’environ quarante ans, d’origine Maghrébine, fatiguée par le travail, assez forte mais assez séduisante. Elle confie à l’inspecteur du travail son embarras de venir le voir car :

«  – Mon affaire n’est pas facile et j’ai du mal à la raconter vous savez Monsieur ».

Voilà : elle était femme de ménage dans un grand hôtel au coeur de Paris depuis six mois. Elle était en train de nettoyer la salle du hammam, car il y en a un, avec des cabines pour les hommes et pour les femmes. Baissée et dos tourné pour passer la serpillière, elle n’a pas vu venir un homme jaillir d’une des cabines, nu et qui l’avait attrapée par derrière, elle s’était aussitôt retournée et débattue, mais c’était le grand directeur de l’hôtel en personne, M. Hatt.

C’était vraiment pas facile à raconter…

«  – Vous voulez  que j’appelle une collègue ? » lui demandais-je ?

Elle me lança un regard étonné :

 » – Je suis allée à la police. Comment vous dire, quand il a fallu que je raconte, il y avait quatre agents autour de moi, je me suis sentie mal. Merci, mais avec vous, j’ai davantage confiance, vous savez, je suis née algérienne, ça se voit, la police, elle ne m’entend pas quand je parle. »

Elle reprit son récit : Hatt, le patron avait tenté de l’intimider tout en continuant à la forcer. Il lui disait qu’il la paierait bien, qu’elle aurait une prime tout en la pelotant. Il essayait de lui faire toucher son sexe. Comme elle était forte, elle l’avait emporté et était sortie, épuisée de ce combat. D’abord, elle n’avait pas osé se plaindre, puis en parlant avec deux collègues, elle avait eu le courage d’aller au commissariat.

Là, ça s’était mal passé. Elle en était ressortie découragée. Tout juste si celui qui prenait sa déposition ne la contestait pas au fur et à mesure. Elle n’avait pas eu d’écho de sa plainte. Elle s’en était ouverte à la DRH qui l’avait aussitôt traitée de menteuse. Puis, elle venait de recevoir une lettre de licenciement pour faute : « avoir tenu des propos insolents à l’égard de son employeur ».

Alors elle était venue à l’inspection. J’ai appelé la DRH. Le dialogue fut vif :

«  – Mais, Monsieur l’Inspecteur, vous pensez bien que quand j’ai entendu la plainte de cette femme, j’ai enquêté. J’ai demandé à M. le Directeur. Il a été stupéfait et indigné. Jamais il n’a fait cela. Si cela avait été le cas, je vous le dis, ça aurait été grave. Moi-même je n’aurais pas laissé passer, vous pouvez me croire. Mais je le connais, M. Hatt, depuis dix ans, dix ans, monsieur l’Inspecteur. Ce n’est pas un homme comme cela. Il est incapable de violence. Et toujours respectueux des gens, du personnel. Il n’y a aucun précédent, aucun signe qui puisse me faire penser le contraire. Cette femme est là depuis six mois, et ça arrive ? C’est parole contre parole. Et là, Monsieur, il n’y a pas égalité. Rendez vous compte, c’est M. Hatt en personne ! Non, on ne peut pas accepter pareille version. Je ne sais pas ce qu’elle cherche, ou plutôt si, je crois savoir. Mais vous remarquerez qu’elle a porté plainte à la police et que celle-ci n’a pas jugé bon d’enquêter. Alors on en a tiré la leçon, elle a parlé dans l’entreprise, monsieur l’Inspecteur, on ne peut pas accepter cela, sinon, où l’on va ?

- Dites donc, vous êtes DRH payée par votre patron, et moi, je suis inspecteur du travail indépendant. S’il s’agit de parole contre parole, c’est subjectif. Vous croyez votre employeur, moi je crois la salariée. C’est ainsi. Un à un. Le problème est que vous ne pouvez appeler « enquête » une simple dénégation de celui qui est mis en cause. Et la femme victime là-dedans ? Vous êtes une femme, vous n’y êtes pas sensible ?

- Mais oui, Monsieur l’Inspecteur, bien sûr, je vous l’ai dit.

- Alors vous pouvez, vous devez donner suite, au lieu de la licencier pour « faute ». Parce qu’à mes yeux, elle est doublement victime.

- Comment pouvez-vous dire cela, vous n’avez aucune preuve, moi, je sais ce qu’elle veut, je le sais, elle fait du chantage, trop belle occasion, c’est de l’argent qu’elle veut…

- Je n’ai pas de preuve, mais vous n’avez pas de preuve non plus. Dans ce cas-là, on écoute ! On enquête. On n’étouffe pas. Et la victime en premier, non ? Moi, je vous dis, une enquête, il va y en avoir une. Je vais venir dans votre entreprise demander moi-même à tout votre personnel pour vérifier s’il n’y a jamais eu d’antécédent, comme vous dites. Et je vais, de ce pas, faire une lettre à votre directeur et le convoquer dans mon bureau. Et je vais m’informer auprès de vos institutions du personnel. Du CHSCT. Pour les saisir et les interroger. Et je vais écrire à la police pour qu’elle se remue…

- Mais cela va faire un scandale, non, non…

- Si, si, si ! Et je vais la conseiller pour aller aux prud’hommes contre son licenciement. Et je vais lui donner une adresse auprès de l’AVFT. Vous allez voir…

- Arrêtez, bon, bon, bon, je vais demander à M. Hatt, s’il y a une sortie, s’il veut bien négocier… »

Envie de vomir. De colère, j’avais mis le son pour que la femme qui était dans mon bureau entende la fin de la conversation téléphonique. Mais il était trop tard, elle n’avait pas saisi ce qui venait de se produire.

La DRH savait et elle avait tout simplement avoué. Clairement.

J’ai expliqué à la femme de ménage comment il fallait qu’elle fasse pour obtenir gain de cause et rédigé plusieurs lettres courtes au directeur, à la DRH. J’ai donné à la femme des formulaires pour les prud’hommes, pour l’aide judiciaire, et l’adresse de l’association contre la violence faite aux femmes au travail (AVFT). Je l’ai poussé en espérant qu’elle saurait se défendre jusqu’au bout.

Elle est revenue quelque temps plus tard :

«  – Merci Monsieur, de votre  aide, j’ai fait les démarches que vous m’avez dit de faire, mais je n’y arrive, pas, vous savez pour moi, ce n’est pas facile, il faut comprendre, je suis algérienne, on ne me croit pas. »

À la fin, la DRH du Grand hôtel, a fait une transaction, et lui a donné six mois de salaires, et la femme est revenue encore et m’a dit « - Oui, je comprends, il faudrait que je continue, mais dans cette société, ce n’est pas fait pour des femmes comme moi, je ne peux pas, je suis désolé, j’ai dit oui, j’ai accepté. »

 

 

15 Commentaires

  1. Posted 18 mai 2011 at 12:35 | Permalien

    parole contre parole. C’est un rapport de force qu’une employée n’a aucune force pour l’affronter, me^me pas en parler aux collègues, ni à l’inspecteur.
    C’est la solitude, la force de rester là pour son boulot et de risquer…
    et dans le cadre de la famille ? rien n’est prévu, les flics ne prendraient pas la plainte, de toute façon la victime ne pense même pas à aller les voir
    (votre billet n’a pas un titre qui suppose ce sujet, il va passer à l’as)

  2. manu
    Posted 18 mai 2011 at 13:50 | Permalien

    Délégué du personnel, j’ai reçue un jour une collègue dans une situation similaire. Le coupable, DRH d’une grande boite japonaise de la bureautique. Je l’ai aussi poussé en espérant qu’elle saurait se défendre jusqu’au bout. Elle a décidé de ne rien faire, trop peur de perdre son job de cette boite où la répression syndicale allait déjà bon train, et la solidarité entre les salariés quasi inexistante. Elle avait peur de passer pour une salope, alors qu’elle était victime. Ainsi va la vie, dans un pays où la justice est impuissante.

  3. Pascale
    Posted 18 mai 2011 at 16:57 | Permalien

    Monsieur Filoche,
    depuis quelques jours, je scrute votre blog… J’attendais un nouveau billet. Depuis dimanche, je suis très perturbée, écoeurée. Que se passe-t-il? Ce « tous pourris » serait il vrai? Votre billet m’a un peu réchauffé le coeur et je vous en remercie. Je n’en espérais pas moins de vous.
    Je vous souhaite une bonne journée,
    Pascale

  4. Posted 18 mai 2011 at 17:44 | Permalien

    Ce n’est pas la peine de s’apesantir plus encore sur le sujet » AFFAIRE DSK »!!
    Il faut passer à l’après DSK: Une primaire PS saine et digne: 3 candidats> HOLLANDE,AUBRY,ROYAL !!
    Et surtout tout faire pour que toutes les Forces de gauche soient rassemblées derrière ce candidat.
    Un parti ne peut mettre en application son projet sociétal que s’il accède au pouvoir.
    Ce n’est pas que le PS peut gagner il a le devoir de gagner en 2012 !! il doit gagner dans l’intérét de tout un peuple et tout un pays et pur espèrer dans le futur une autre europe.

  5. Posted 18 mai 2011 at 17:53 | Permalien

    Ce type d’histoire finit par écoeurer, décourager les Français !!

    Les gens baissent les bras de dégout, ne croient plus en rien, poussent le cri du désespoir » tous des pourris, des menteurs, des voleurs !!!! » ; jettent l’éponge et se dirigent vers l’abstention !!
    L’enseignement à tirer de cette triste mésaventure, c’est qu’il faut choisir des candidats sains avec une moralité et un sens aigu de l’intérét général .
    C’est ce que les Français veulent voir émerger.

  6. Posted 18 mai 2011 at 17:55 | Permalien

    Maigre consolation: il vaut mieux que l’affaire DSK arrive maintenant que pendant la campagne présidentielle !!

  7. Posted 18 mai 2011 at 21:45 | Permalien

    Cette histoire est touchante d’humanité .
    Comment faire que justice soit faite quand les rapports de force sont à priori en faveur des plus puissants?

    Dans le contexte actuel , d’autres histoires peuvent permettre de comprendre que l’essentiel est … de discerner .
    Car une accusation peut être fondée, ou pas .
    http://www.la-cause-des-hommes.com/spip.php?rubrique18

  8. Art
    Posted 18 mai 2011 at 23:51 | Permalien

    c’est limite maintenant qu’il faut cassé la tête de son patron et changer de boulot, moralement c’est mieux

  9. Gilbert
    Posted 19 mai 2011 at 1:52 | Permalien

    Quand vous aurez lu ça ( http://www.superno.com/blog/2011/05/du-delire-mediatique-autour-de-lexplosion-en-viol-de-dsk/ ) vous essaierez de comprendre pourquoi, d’après Gérard, il fallait quand même voter pour DSK s’il était choisi par le PS.

  10. Météor
    Posted 19 mai 2011 at 13:39 | Permalien

    « D’abord, mademoiselle, on ne vous croira pas… Et c’est juste, remarquez bien… Que deviendrait la société si un domestique pouvait avoir raison d’un maître ?… Il n’y aurait plus de société, mademoiselle… ce serait l’anarchie… »
    Octave Mirbeau, Journal d’une femme de chambre, 1900.

  11. Posted 20 mai 2011 at 18:35 | Permalien

    Il faut étre pragmatique !! le problème c’est que c’est les grands financiers,spéculateurs qui gouvernent le monde et qui ont pris le Pouvoir aux politiques en les achetant !!
    Il y a plus de gens corruptibles que l’inverse, surout qu’en on a mis comme valeur phare de la société:  » L’argent « .Tout construit sur la logique »Hyperproductivisme,Hyperconsumérisme ».
    Tu n’existe plus en tant qu’étre humain mais par ton pouvoir d’achat, ta capacité de consommer.
    logique folle, on voit ou cela nous mène !!

  12. Posted 20 mai 2011 at 19:02 | Permalien

    Maintenant qu’ils ont pris complètement possession de la zone euro et qu’ils l’ont transformer en champ de consommation pour leurs profits et qu’ils nous ont laissé que des dettes abyssales comme cadeau d’adieu.

    Pas de problèmes :ils achètent nos dettes et font encore quelques bénéfices sur le dos de l’ane mort !!

    Et se détournent de nous pour aller conquérir les nouveaux marchés des pays émergents !!

    Histoire de nous faire avaler la supercherie ils nous remettent au gout du jour les théories malthusiennes » que pour éviter l’épuisement des ressources de la terre avec le problème de la surpopulation le prix à payer c’est que le nombre de consommateur diminue et qu’il y ai donc plus de pauvres qui consomment peu c’est connu, vu qu’ils n’ont pas un rond !!

    Er hop ! voilà ! la planète est sauvée !! 30 millions de chomeurs en à peine 3 ans en zone euro: ça calme le jeu …

    La planète est sauvée !! youpi !! grace à qui ? à eux les grands financiers bien sur qui heureusement pensent pour nous !!
    Il faudrait presque leur dire merci !!
    La réalité de la siyuation ça serait en fait plutot ça !!

  13. Posted 20 mai 2011 at 19:13 | Permalien

    Donc en conclusion: avec la gauche ça sera un poil moins pire, mais il ne faut pas s’attendre à des miracles et des résultats immédiats.

    le PS aura peu de marge de manoeuvre avec seulement 6 pays socio-démocrates sur 27 états membres en zone euro, ça pourrait faire le septième.

    C’est dèjà un début !! mais avant de réussir à revenir à un plus juste équilibre il va falloir étre un peu patient !!

    Voter à gauche c’est le bon choix pour sauvegarder les populations qui sont actuellement sacrifiées avec la plus grande cruauté,inhumanité !!

  14. leymarie
    Posted 1 juin 2011 at 19:14 | Permalien

    Etant militant du parti Socialiste et lecteur assidu de Démocratie et Socialisme, je suis surpris des prises de position dans un journal qui se dit proche du P.S., en faveur de M. Aubry. Certes, elle est 1ère secrétaire du PS et compétente, mais elle n’est pas seule candidate, sinon pourquoi passer par les primaires ? François Hollande qui semble pourtant devancer les autres candidats (déclarés et non déclarés)dans les sondages n’apparait que très rarement dans vos colonnes. Analysez donc son action et son programme, il n’y a pas de doute, il est bien encré à gauche !… Vous avez dit Démocratie… ?

  15. Posted 26 octobre 2014 at 14:23 | Permalien

    Je signale que « béber générateur d’idées » a donné le lien vers le site masculiniste « la cause des hommes ».

    Les militants masculinistes font la promotion de leur site en publiant des liens dans le plus grand nombre possible de forums, technique de la faschophère.

    Eliane Daphy, militante syndicale au Syndicat national des chercheurs scientifiques (FSU)

One Trackback

  1. [...] Je n’ai aucune information tant que les parties n’ont pas énoncées leurs arguments pour savoir ce qu’il en est pour Dominique Strauss-Kahn, malgré tous les bruits qui courent sur les médias. Je parlerai donc de la généralité, un peu comme le fait Filoche dans le cadre de l’exercice de son boulot. [...]

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