J- 15 : Verdict le 12 octobre Un procès inquiétant contre l’inspection du travail

Le 6 juillet 2011, je me suis retrouvé, méfiant et indigné d’être là, en procès devant la 31° chambre correctionnelle, accusé d’avoir « entravé un comité d’entreprise », 7 ans plus tôt, lorsque j’étais inspecteur du travail, au 1 rue de la Paix, dans le siège (250 salariés) de l’entreprise de cosmétique Guinot Mary Cohr (UIC : Union des industries chimiques).

Franchement, il y a quelque chose d’inouï dans cette procédure qui a duré sept ans, on se demande qui l’inventée et quel est le but recherché derrière cette accusation pour le moins « acadabrantesque ». Quel pourrait bien être le motif pour que j’entrave un CE, moi qui ai passé trente ans de ma vie professionnelle à défendre le droit du travail et à tout faire pour que vivent les institutions représentatives du personnel ?

Car il s’agit d’un délit passible d’un an de prison et de 3750 euros d’amende

Un délit d’entrave, juridiquement, ça ne peut pas être passif, cela suppose qu’il y ait une « intention ». Quelle intention ? La procureur et l’avocat de Guinot ont été bien incapables de la décrire. J’aurais, si on essaie de les deviner mieux qu’ils ne se sont exprimés, tenté, le 24 juillet 2004, d’influer le CE pour qu’il ne rende pas un « avis favorable » au licenciement d’une salariée protégée dont on me demandait l’autorisation pour la 3° fois ?

Mais c’est absurde : ce CE ne fonctionnait pas comme un CE indépendant, ce n’était qu’un appendice pro patronal et, composé de deux membres, il avait déjà voté un « avis favorable » le 18 mars 2004, lors de la 2° demande d’autorisation, à l’encontre de la jeune salariée. Il n’y avait aucune sorte d’enjeu à influer un CE qui avait déjà voté, et dont l’avis n’est qu’indicatif : car, il faut le savoir, dans une procédure de demande d’autorisation d’un salarié protégé auprès de l’inspecteur du travail, l’avis rendu par le CE est une formalité juridique substantielle, mais le contenu de cet avis n’emporte absolument pas la décision ni du patron ni de l’inspecteur.

Ce matin-là, j’enquêtais en urgence dans l’entreprise car une jeune femme, déléguée syndicale, de retour de congé maternité avait été discriminée trois fois, mise à pied de façon conservatoire, sans salaire, sous un prétexte inventé de toutes pièces par l’employeur. Comme nous étions le 24, elle n’allait pas toucher de salaire en fin juillet, ni en août, je partais en vacances, et si je ne devais agir qu’à mon retour pour refuser l’autorisation, elle ne serait payée globalement qu’en fin septembre, ce qui était impossible à assumer pour elle. Il me fallait donc, vite, réunir trois éléments ce matin-là : l’avis du CE, la demande d’autorisation de licenciement confirmée par l’employeur (qui faisait délibérément traîner les choses depuis fin juin) et il me fallait faire une « enquête contradictoire », entendre les témoins avant de trancher. J’ai rempli correctement cette mission et refusé illico le licenciement.

Ma hiérarchie, en la personne de Jean-Denis Combrexelle, directeur général du travail, (le « Besson » du droit du travail) a crû bon de casser  ma décision. De façon malvenue puisque, depuis, en mars 2010, la Cour d’appel du tribunal administratif m’a donné raison, annulé la décision de Combrexelle, établi la discrimination et ré intégré la salariée. Laquelle salariée a aussi gagné contre son patron qui a été condamné de façon ferme pour « entrave » à son action de déléguée du personnel. Sur 12 procédures en 7 ans, la salariée en a gagné 12 et le patron perdant a renoncé à aller en Conseil d’état et a été obligé de lui verser finalement une somme très substantielle…

Il n’y a aucune base juridique à mon procès dans un tel contexte.

Alors pourquoi était-ce moi, l’inspecteur, qui était là devant le tribunal alors que c’est le patron délinquant qui aurait dû y être ? Pourquoi et comment une Procureur, de celles qui classent généralement les PV de l’inspection du travail, avait-elle trouvé l’opportunité et le temps de me poursuivre ? Il faut qu’il y ait eu une sacrée pression politique pour en arriver là.

À l’audience, il y avait de quoi être surpris : la juge assesseur parlait de « salarié privilégié » au lieu de « salarié protégé », la Procureur faisait un procès de « personnalité » me reprochant ma « partialité », de m’être pris « pour juge et partie ». Me Varaut, avocat de Guinot, m’accusait de m’être pris pour le Préfet Bonnet (sic : image que j’avais moi même utilisée, pour protester contre le fait que JD Combrexelle m’ait refusé la protection fonctionnelle, car elle avait été accordée au Préfet Bonnet, et moi, je n’avais pas brûlé de paillote rue de la Paix…). Tout cela était une curieuse, mais éloquente, façon de compenser une accusation inconsistante. En fait le procès est devenu, bien au-delà de moi, celui des missions de l’inspection du travail et des droits des femmes de retour de congé maternité.

Le journal Le Monde du 8 juillet a titré « Questions sur l’impartialité d’un inspecteur du travail, Gérard Filoche, militant socialiste, accusé d’entrave à un CE » (sic). Sale titre… très partial.

Mais un inspecteur du travail doit être partial, puisque les assujettis au Code du travail ce sont les employeurs. L’inspection est née, a été développée dans le monde entier (convention OIT n°81) depuis un siècle pour contrôler les employeurs et évidemment pas les salariés. L’inspection est « indépendante » mais pas « neutre ». Elle a pour mission de contrôler et sanctionner. Car oui, il faut de la répression contre les patrons délinquants. L’inspection du travail est là pour rétablir l’ordre public social quand il est violé.

C’était le cas de façon manifeste dans l’entreprise Guinot.

Est-ce que, en face d’un patron, pris en flagrant délit, en train de discriminer une femme de retour de congé maternité, d’entraver son action de déléguée syndicale, d’accumuler quatre procédures pour la licencier, de monter une provocation grossière pour l’envoyer en justice, est ce qu’il y a égalité entre ce patron délinquant et l’inspecteur du travail ? Non, il y a d’un côté un délinquant et de l’autre un agent des services publics chargés de rétablir l’ordre dans l’entreprise en protégeant la salariée, grâce à la loi.

Est-ce que l’inspecteur du travail qui prend une décision favorable à une salariée protégée, est à la fois « juge et partie » ? Oui, car on est dans le droit administratif, pas dans le droit civil ou pénal. L’inspecteur enquête ET décide. C’est pour cela qu’il y existe cinq recours contentieux possibles auprès de l’inspecteur, de la hiérarchie du ministère, puis du Tribunal administratif, de la Cour d’appel de ce tribunal administratif et du Conseil d’état. Et quand cette Cour d’appel a tranché qu’il y a eu « discrimination » et « entrave » à l’égard de la salariée de retour de congé maternité et aussi en tant que syndicaliste, c’est ce qu’on appelle un « jugement définitif ». Quand la chose jugée donne raison à l’action de l’inspecteur, c’est qu’il a fait son travail, la loi devrait l’emporter sur les intrigues patronales et politiques. Alors pourquoi ce procès ? Car pendant que l’inspecteur est en audience, le patron fraude la loi comme il veut dans l’entreprise, pas de CHSCT, heures supplémentaires non déclarées…

Le plus croquignolesque, c’est que ce procès a été initié en 2005 par le patron de Guinot en son nom propre pour « chantage au CE ». C’était trop indécent alors il a recommencé la procédure et s’est porté partie civile au nom de la société Guinot. Ce sont JD Combrexelle et le procureur (réquisitoire supplétif) qui ont repris et rectifié le motif à sa place : « entrave au CE ». Mais j’ai fait remarquer que c’était le CE, entité juridique, qui était concerné : alors le 9 mars 2009, 5 ans après, le patron de Guinot a réuni le CE pour qu’à son tour, il se porte partie civile contre moi… pour « entrave ». Dans le compte-rendu du CE de ce jour-là, il n’y a qu’un seul membre présent et c’est le patron qui lui a fourni son même avocat, M° Varaut.

Durant sept ans, « ils » m’ont cherché sur une base « foireuse », mais c’est justement ce qui est inquiétant dans l’attente du verdict du 12 octobre.
Merci aux huit témoins en ma faveur à l’audience : Gilbert Dupraz, Philippe Royer, Pierre Mériaux, Jean Auroux, Nassera F, Diven Casarini, Benoit Hamon, Pascale Pérenne (OLF)

Merci à toutes celles et ceux qui se sont mobilisés devant et dans le tribunal, qui m’ont soutenu par la pétition (40 000 signatures) financièrement (ça coûte cher et Combrexelle m’a refusé implicitement, le lâche, la protection fonctionnelle) et sont venus au procès dans une grande unité et solidarité qui m’ont ému.

Gérard Filoche http://solidarite-filoche.fr/

 

 

 

9 Commentaires

  1. Jaluit
    Posted 27 septembre 2011 at 22:52 | Permalien

    Allez, on te soutient, Gérard, et on continuera à te soutenir.

    Mais avec les socialos au pouvoir au Sénat, ton calvaire ne durera plus, si ?

  2. devorak
    Posted 28 septembre 2011 at 16:06 | Permalien

    Il faut attendre sereinement le verdict de la justice de notre pays, et accepter son jugement avec humilité … Si faute il y a, il n’est que justice que sanction il y ait …

    réjouissons nous au contraire que le système judiciaire de notre bonne France permette un recours contre l’arbitraire des agents de l’Etat … beaucoup de pays nous envient notre législation …

  3. Anonyme
    Posted 28 septembre 2011 at 16:39 | Permalien

    mais Devorak ce n’est l’arbitraire des agents de l’état, en l’occurrence ceux de l’inspection du travail qui est en cause, c’est celui du Parquet (du pouvoir) qui donne suite ostensiblement et de façon surprenante, inattendue, improbable, pour cause politique sur un motif créé de toute pièce pour la circonstance : en 65 ans de comité d’entreprise et en 120 ans d’inspection du travail, on n’a jamais vu pareille chose folklorique…… un inspecteur qui « entrave » un CE ? il n’y a pas de quoi etre serein mais indigné

  4. veron
    Posted 28 septembre 2011 at 22:45 | Permalien

    quand on a rien à se reprocher on est pas inquiet …

  5. Anonyme
    Posted 29 septembre 2011 at 7:54 | Permalien

    c’est exactement l’inverse cher ami, c’est parce qu’il n’y a pas une once de raison a ce procès que l’on doit s’inquiéter

  6. bardabeu
    Posted 3 octobre 2011 at 9:52 | Permalien

    attendons l’avis des juges avant de se prononcer ! et si délit il y a, punition doit suivre

    ce n’est que justice

  7. Posted 14 octobre 2011 at 0:12 | Permalien

    bah je n’avais rien à me reprocher, j’étais inquiet et je suis relaxé…

  8. Kamel
    Posted 28 décembre 2016 at 17:44 | Permalien

    je suis pas surpris de la décision, pression politique, Mr Filoche ont vous soutiens.

  9. Posted 28 décembre 2016 at 18:24 | Permalien

    merci, avec D&S on tient bon

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