Baba

Au boulot n°46

Pensez à eux lorsque, le dimanche midi, vous mangez leurs gâteaux. Éclairs au chocolat, babas au rhum, fraisiers, tartes au citron, millefeuilles… Ce sont les ouvriers pâtissiers qui ont l’un des plus dur travail de ce pays et les durées hebdomadaires les plus longues.

L’un de ceux, rares, qui étaient venus à l’inspection du travail, une boulangerie de la rue du Temple, racontait très bien comment il avait été recruté sur petite annonce : «  Recherche pâtissier expérimenté, semaine de 5 h à 13 h, fermeture hebdomadaire le mercredi et vous avez un mardi sur deux, cdd pouvant déboucher sur un cdi, salaire en fonction des compétences, base 1366 euros brut pour 35 h, pâtisserie classique à développer, personne diplômée, autonome, sérieuse, sachant travailler seule ou avec un apprenti ». Ça c’était l’affichage ! La vérité c’est qu’il commençait à 3 h du matin surtout les week-ends, qu’il n’y avait pas d’apprenti, et que, seul, il devait fournir toute la pâtisserie pour une boutique très fréquentée, et il devait entretenir les locaux, nettoyer, ranger tout le matériel, ne finissant jamais avant 14 h. Soit 60 h par semaine minimum sans qu’aucune heure supplémentaire ne soient pris en compte. Il venait se renseigner.

«  – Ai-je droit à mes heures supplémentaires ?

- Bah, évidemment, Monsieur, si vous faites 60 h/semaine, il y a abus, votre durée maxima du travail doit être 48 h, il y a un contingent annuel, et toutes les heures doivent être majorées, à 25, 50, ou 100 %. Depuis combien de temps faites-vous cela pour votre patron ?

- Déjà cinq ans, je me suis dit… »

En fait il n’en pouvait plus… Épuisé. Sa famille, il ne la voyait pas, il dormait pour rattraper, rongé par la fatigue. Il n’était pas un cas isolé, c’est une situation fréquente chez les ouvriers pâtissiers boulangers. Je proposais d’aller faire un contrôle. Il ne voulut pas :

« – Non, ne faites pas cela, vous savez, je suis tout seul avec le patron, la patronne en haut, il y a la petite vendeuse, une apprentie qui change tout le temps car ils les maltraitent, de temps en temps j’ai un vieux compagnon, il est au chômedu, il vient au noir, quand je suis trop fatigué, en vacances, ou les jours de fêtes, il est bourré tout le temps. Alors si vous venez, le patron, il va savoir que c’est moi… »

En fait, il se renseignait, mais ne voulait rien faire. Il m’expliqua que lorsqu’il en aurait trop marre, il irait ailleurs. Il y avait du boulot dans sa branche. 1366 euros pour 245 heures par mois, ça faisait 5, 5 euros brut de l’heure. Pas étonnant qu’on ait une si forte productivité horaire en France.

«  – Mais si vous allez ailleurs, vous vous retrouverez dans la même situation, ce sera un autre patron, mais vous serez exploité pareil…

- Oui. Mais si je me plains, si en plus quand je rentre, les patrons me tirent la gueule, alors c’est pas possible, se faire faire la tronche tous les jours en plus parce que j’ai porté plainte, non, ça je ne peux pas, je préfère que vous n’y alliez pas, je vais demander une augmentation, sinon je préfère m’en aller, merci monsieur l’inspecteur. »

Il demanda une augmentation, il ne l’eut pas, il s’en alla ailleurs.

Gérard Filoche

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