Suppression des élections prud’hommes ? Pas seulement, c’est aussi un coup de poignard contre la vie et la représentativité syndicale

Puis-je poser des questions qui dérangent mais qui me semblent urgentes  à propos de la suppression des élections prud’hommes ? Cela me semble remettre en cause l’ANI de 2008, la loi Bertrand, et mettre dangereusement en cause la démocratie et la représentativité syndicale dans le pays pour des décennies.

Je voudrais contester d’abord d’un vieil « ANI » à l’origine de tout ça. De l’ANI (Accord national interprofessionnel) de 2008 signé alors par la CGT, la CFDT et le Medef devenu « loi Bertrand » qui a donné le mécanisme actuellement en place de représentativité syndicale. Cet ANI de 2008 avait supprimé ce qu’on appelait la « présomption irréfragable de représentativité » qui permettait à des syndicats, reconnus sur une liste par décret, de bénéficier a priori d’une représentation dans toutes les entreprises.

La liste était établie, avant cet ANI là, selon des critères fixés dans le Code du travail en 1945 et 5 syndicats avaient été reconnus par un arrêté de 1966 : CFDT, CFTC, CGT, CGT-FO, CFE-CGC. Parmi eux, c’était dommageable, des petits syndicats pouvaient, quelque soit leur poids auprès des salariés, signer des accords engageant TOUS les salariés de leur branche, de leur entreprise. Il fallait, en face, que les autres syndicats engagent une action en justice appuyée par 50 % de salariés opposants à ces accords.

En 2008, donc, suite à l’ANI il fut adopté d’autres critères : trois types d’élections « nationales », aux prud’hommes, puis élections professionnelles, puis dans les « TPE » de moins de 11 salariés devaient servir à établir le « poids » pondéré à partir des voix des salariés obtenues par chaque syndicat dans chacune.

En janvier 2013, deux types d’élections avaient eu lieu : les prud’hommes de décembre 2008, et celles dans les TPE, du 28 novembre 2012 au 18 décembre 2012. Elles donnaient en gros, toutes deux, le même résultat : 38 % des voix pour la CFDT, la CFTC et la CGC, 52 % pour la CGT et FO : l’autre ANI celui imposé par le Medef du 11 janvier 2013 à ces 3 syndicats était donc minoritaire à ce moment-là. Nettement.

Puis le Ministère du travail, le Medef, la CGPME et l’UPA ont collecté les résultats des élections du 3° type, celle des élections professionnelles aux CE et DP de 2000 à 2013. Ainsi à partir de  mars 2013, et selon l’ANI et la loi Bertrand 2008, le « poids » des syndicats a été estimé en agglomérant les résultats des élections d’entreprises CE et DP au niveau des branches. Seulement 3 % des entreprises de plus de 50 % salariés ont droit à des CE. A peine 20 % des entreprises de plus de 11 qui ont droit à des DP en ont réellement. Les votes se sont révélés douteux, détournés de leur sens : les salariés votent pour les CE (oeuvres sociales… ) pas pour les syndicats. Ils sont étalés de façon flottante sur 4 ans, transmis par les DRH (le patronat) avec plein d’erreurs (formulaires CERFA douteux) et collationnés par les technocrates pas forcément bien intentionnés du ministre du travail ! Grosse opacité.

Ce système a permis un coup de théâtre : le 31 mars 2013, annonce fut faite que CFTC, CGC, et CFDT obtenaient 51, 5 % et que CGT et FO devenaient minoritaires. UNSA, Solidaires étaient éliminés alors que personne ne pouvait croire sérieusement que CFTC et CGC obtenaient plus de 8 %, seuil fatidique pour signer des accords ? Un « coup de théâtre » opportun qui permettait a posteriori de valider l’ANI du 11 janvier 2013 signé par CFDT CFTC CGC et qui allait donc pouvoir devenir la loi du 14 juin 2013.

Gros danger donc avec ce nouveau système. Des contentieux sont heureusement en cours (UNSA, FO…) pour tenter de le remettre en cause. Reste à ce que la CGT en tire le bilan et conteste à son tour, telle est ma question…

Car c’est dans ce contexte que le Medef obtient de Michel Sapin l’annonce de la suppression des élections prud’hommes de 2014 déjà reportées en 2015 par Sarkozy… Cela devrait être fait par « ordonnances » en mars 2014. Et comme il n’y a eu que 10 % de votants à l’élection nationale des TPE de 2012 ils vont les supprimer aussi. Ne compteront plus que les élections de CE et DP…

Sapin a dit « hésiter » depuis 6 mois. Mais les élections prud’hommes ça se prépare 18 mois à l’avance au moins. Tout est arrêté, pour repartir… sera possible avant 2016

Les deux arguments donnés par Michel Sapin sont nuls : ce serait parce que le vote aux prud’hommes coûte trop cher et qu’il n’y a pas assez de votants.

1°) Trop facile d’accuser son chien d’avoir la rage… Il suffirait d’y ré introduire des moyens, une plus grande volonté d‘information et de débats pour redynamiser aussitôt l’élection. Y a t il « trop » de droits et de vie syndicale dans ce pays ?

Le scrutin coûtait 91 millions d’euros, 4,77 euros par électeur inscrit (comme toutes les autres élections). Ce n’est rien comparé à tant d’autres élections professionnelles moins importantes (élections consulaires aux chambres d’industrie, de commerce, de métiers et d’agriculture).

2°) Il y aurait trop d’abstentions ?  Certes elle est passée de 37 % en 1979 à 74,5 % en 2008. Oui, mais on est passé à 5 millions de chômeurs, les grands médias boycottent tous débats sur ce sujet, les listes sont erronées et incomplètes, le patronat a largement saboté, la chasse aux sorcières antisyndicales s’est démultipliée. Tiens : les salariés des petites entreprises (97 % ont moins de 50 soit 8 millions de salariés) ont le « droit » de quitter leur travail pour aller voter sans perdre de salaire…mais les patrons écrasent ce droit ! Décidons que, une fois tous les 5 ans, le jour du vote sera férié et le taux de participation augmentera ! Améliorez l’information et les salariés immigrés – qui ont le droit de voter dans ce scrutin national pour élire les juges de la République – y participeront fièrement…

Aux prudhommes, 4,5 millions de salariés, c’était encore énorme, venaient voter pour leurs syndicats et donnaient une majorité (comme les élections des TPE) pour la CGT et FO, avec 33,56 % des voix pour la CGT et 15,68  % pour FO, la CFDT obtenant 21,67 %.

A l’avenir, les juges prud’homaux salariés ne seraient donc plus élus mais « désignés » – loin des salariés – en fonction du « poids » de chaque syndicat. Ce sera un énorme recul de la démocratie sociale.

Et du même coup ce sera le nouveau système de représentativité basé sur les votes des CE et DP,  qui servira de base à la désignation sans élection des conseillers prud’hommes.

Quel en sera le résultat mécanique ? La CGT ne nommera plus que 26,77 % des juges prud’homaux, la CFDT 26 %, FO 15,94 % ! La CFTC monterait à 9,30 %, la CFE-CGC à 9,43 % ! L’UNSA 4,56 % et Solidaires (SUD) 3,47 % sont éliminés. Soit un renversement définitif de la  « majorité » en faveur de la  CFDT-CGC-CFTC.

Coté patronal, le Medef est un groupuscule électoral : il refuse donc toute élection de représentativité car l’Union professionnelle artisanale (UPA) forte de ses 1,3 million d’entreprises adhérentes, deviendrait la première organisation, devant la CGPME et…le Medef.

Apres avoir manipulé la représentativité syndicale, et supprimé les élections, seul lien direct avec les salariés, il sera plus facile de supprimer les prud’hommes – comme le réclame, in fine, le Medef.

Ne faut il pas poser la question vite ? Contester ce nouveau système usine a gaz devenu à, l’usage totalement anti-démocratique ! Revenir à un seul scrutin référent clair, direct, national, contrôlable, démocratique un jour férié tous les 5 ans  pour les prud’hommes et pour déterminer la représentativité syndicale  Gérard Filoche

4 Commentaires

  1. Posted 15 février 2014 at 8:38 | Permalien

    Je suis très dubitatif sur le maintien du statu quo pour les Conseils de Prud’hommes.

    Le dernier rapport du GRECO se montre sévère avec cette juridiction comme d’ailleurs avec les Tribunaux de Commerce.

    Il déclare dans son dernier rapport à propos des Conseils de Prud’hommes, avoir «recueilli des témoignages selon lesquels le mode de fonctionnement de cette juridiction soulevait des questions importantes, notamment sous l’angle des conflits d’intérêts et de l’impartialité (notamment car chaque groupe de juges bénévoles défend d’abord les intérêts catégoriels de ses électeurs), ou encore du manque de professionnalisme » (Rapport « Prévention de la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs », adopté par le GRECO lors de sa 62ème Réunion Plénière à Strasbourg, 2-6 décembre 2013 et publié le 27 janvier 2014).

  2. Posted 15 février 2014 at 8:42 | Permalien

    oui, mais la statistique est là : 80 % des jugements en première instance sont CONFIRMES en appel, ce qui est plus élevé que d’autres tribunaux… professionnels

  3. Posted 15 février 2014 at 9:52 | Permalien

    Une autre chose très anormale dans ce débat. Le ministère de la justice et les magistrats professionnels semblent absent de toute réflexion pour ce projet concocté par les services de Sapin

  4. Verce Alain
    Posted 19 février 2014 at 9:09 | Permalien

    Bonjour.
    C’est curieux d’invoquer des conflits d’intérêt avec les Prud’hommes alors que c’est la seule juridiction paritaire, donc ou il y a égalité !
    On n’entend jamais cette réflexion pour les autres juges qui pourtant prennent leurs décisions seuls…
    Quand au manque de professionnalisme,à ce moment là il faut aussi supprimer les cours d’assises où n’importe quel sombre crétin ou illettré peut se retrouver juré !!!!
    J’ai passé ma vie dans le milieu juridique du travail : Conseiller Prud’homme puis défenseur devant ce même tribunal.
    Un Conseiller Prud’homme ne juge que les affaires concernant le contrat de travail, il est très spécialisé sur ce SEUL sujet.
    Contrairement à un juge professionnel qui peut être amené à traiter des affaires dans des domaines où il est totalement ignorant.

One Trackback

  1. [...] pour valider d’un blanc seing votre politique de régression sociale. Allez voir la fronde au sein de votre parti cher Monsieur… Hollande est fort avec les faibles et faible avec les [...]

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