Les cas espagnols et italiens

Jean-Jacques Chavigné revient sur la question du chômage et sur les prétendus modèles mis en avant en France par les tenants du néo-libéralisme.

 

 

 

 

 

Espagne

 

 

« Flexibiliser » le marché du travail serait la seule méthode pour en finir avec le chômage et la précarité. Cette assertion est assénée sur tous les tons par la plupart des médias, les économistes néolibéraux, les politiciens de droite, François Hollande et Manuel Valls, sans que jamais ceux qui l’utilisent ne prennent la peine de démontrer en quoi elle reposerait sur des faits avérés.

 

Le projet de loi El Khomri est la nouvelle forme prise par ce mensonge ordinaire

 

Essayer de démontrer que « flexibiliser » le marché du travail permettrait de lutter contre le chômage et la précarité est selon les auteurs de cette loi du temps perdu puisqu’il suffit de répéter cette contre-vérité à longueur de journée en espérant qu’elle finisse par passer pour une vérité.

Il suffirait, nous dit- Manuel Valls, de regarder autour de nous et de constater à quel point la France est en retard sur ses voisins. Ceux du nord (l’Allemagne et les Pays-Bas), de l’ouest (le Royaume-Uni) ou du sud (l’Espagne et l’Italie). Dans tous ces pays, soit le chômage est extrêmement bas, soit il est en train de diminuer à grande vitesse. Il ne nous resterait donc qu’à les imiter.

 

Tout ce château de cartes repose, en premier lieu, sur la méthode de calcul du taux de chômage

 

Pour être considéré comme demandeur d’emploi, selon le Bureau international du Travail, il suffit d’avoir travaillé au moins une heure au cours de la semaine précédente. Cette méthode de calcul (voir les articles de la Lettre de D&S sur Le chômage et sa courbe) aurait pu avoir un sens il y a 30 ou 40 ans quand la situation était binaire : soit on était au chômage, soit on avait un CDI. Aujourd’hui, cette méthode n’a strictement plus aucun sens. En France, 87 % des embauches se font en CDD et 80 % d’entre eux sont de moins d’un mois. En Allemagne, les « mini-jobs » à 400 euros par mois sont, avec cette méthode, considérés comme de vrais emplois. Au Royaume-Uni, toujours avec la même méthode, les « contrats zéro heure », s’ils ont permis de travailler une heure la semaine précédente, sont considérés comme des emplois décents.

Sans doute Manuel Valls n’avait-il pas vraiment intégré ce que signifiait cette méthode de calcul du chômage, lorsqu’il affirmait : « La précarité, c’est en premier lieu celle des 3,5 millions de personnes sans emploi, un niveau de chômage très supérieur à celui de nos partenaires allemands et britanniques » [1].

 

Manuel Valls et Myriam El Khomri sont comme des archers qui tirent d’abord leurs flèches et dessinent ensuite leur cible

 

Ils ont d’abord affirmé que leur but était de lutter contre le chômage et qu’il fallait pour cela accepter plus de « flexibilité » c’est-à-dire plus de précarité en prenant pour « modèles » l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas dont le taux de chômage (au sens du BIT) est beaucoup plus bas qu’en France : 10,3 % de la population active au chômage en France, mais seulement 6,5 % au Pays-Bas, 5 % au Royaume-Uni et 4,3 % en Allemagne.

Devant le refus de la jeunesse de subir une précarité accrue, ils n’ont pas pour autant changé de « modèles » ni de projet de loi. Ils se sont contentés de dessiner une nouvelle cible autour de leur flèche, en affirmant que le but premier de leur projet de loi était de lutter contre la précarité des jeunes.

 

Il leur aurait pourtant suffi de consulter les chiffres de l’OCDE pour constater que la précarité est beaucoup plus importante dans les pays qu’ils prennent pour « modèles » qu’en France.

 

La part des salariés travaillant moins de 20 heures par semaine représente 5,9 % de l’emploi total en France, 12,4 % en Allemagne, 12,7 % au Royaume-Uni et 21,3 % au Pays-Bas.

Pire, pour ces pourfendeurs de la précarité de la jeunesse, la part des salariés entre 15 et 24 ans, travaillant moins de 20 heures par semaine, est de 9 % en France, de 12,7 % en Allemagne, de 24,2 % au Royaume-Uni et de 50,7 % aux Pays-Bas.

Leurs « modèles » s’usant rapidement, les économistes néolibéraux et les membres de notre gouvernement se sont empressés de sortir deux autres lapins de leurs chapeaux : le « miracle espagnol » et le « Jobs Act » italien.

 

 

I – Le « miracle espagnol »

 

Parler du « miracle espagnol » de l’emploi et nous présenter ce « miracle » comme un « modèle » revient à vouloir faire passer pour champion de natation, une personne qui se noyait mais qui est parvenue à respirer une goulée d’air frais après avoir donné un coup de pied dans le fond de la piscine.

 

Le premier « miracle » espagnol

 

Au début des années 2000, l’Espagne était, avec l’Irlande, le meilleur élève du néolibéralisme et de son sanctuaire européen, la Commission de Bruxelles. Cette dernière donnait, déjà, en exemple à tous les pays européens le « miracle économique » espagnol sans se préoccuper de l’énorme bulle immobilière qui était en train de gonfler. Les banques espagnoles accompagnaient le boom immobilier et l’encourageait en accordant des crédits sans vraiment se soucier de la solvabilité des emprunteurs.

 

L’éclatement de la bulle immobilière

 

Lorsque la bulle immobilière explosa en 2007, sous l’effet combiné de sa propre dynamique et de la crise des « subprimes » aux États-Unis, les prix de l’immobilier se sont effondrés. Au final, les banques se sont retrouvées avec des monceaux de crédits insolvables et de biens immobiliers invendables, saisis à des propriétaires dans l’incapacité de payer les mensualités de leurs crédits.

Pour sauver les banques espagnoles, la dette publique, qui s’élevait à 37 % du PIB espagnol en 2007, a presque doublé pour atteindre 68,5 % en décembre 2011. La récession économique qui a suivi la crise financière a entraîné une augmentation continue de la dette publique : 93,9 % fin 2013 et 97,7 % fin 2015. Les banques espagnoles se sont retrouvées sous perfusion de l’Union européenne qui leur a accordé 430 milliards d’euros de crédit entre 2008 et 2012.

 

Au salariat et aux jeunes Espagnols de payer l’addition

 

C’est aux salariés en activité, aux retraités et à la jeunesse qu’il a été demandé de payer l’addition laissée par les banques et les promoteurs immobiliers.

Le Premier ministre du Parti socialiste espagnol (le PSOE), José Luis Zapatero, a « réformé » le marché du travail, imposé deux plans d’austérité successifs de 10 puis 5 milliards d’euros, en 2010 et 2011, diminué de 5 % les salaires de la fonction publique, gelé l’emploi public et les salaires des fonctionnaires, repoussé l’âge légal du départ à la retraite à 67 ans.

Mariano Rajoy, devenu Premier ministre après la victoire de la droite aux élections législatives en novembre 2011, est allé beaucoup plus loin pour satisfaire les exigences de la Commission européenne qui n’acceptait pas que la dette espagnole atteigne de tels sommets. Il a imposé un plan d’austérité budgétaire de 35 milliards d’euros en 2012, de 43 milliards si l’on inclut le plan de rigueur imposé aux régions autonomes. Il a, lui aussi, « réformé » le marché du travail en permettant à l’employeur de modifier unilatéralement les salaires sans tenir compte des conventions collectives et de licencier un salarié sans avoir d’indemnité de licenciement à verser.

Le principal résultat de ces remèdes de cheval a été une augmentation considérable du chômage. Le taux de chômage, calculé selon la méthode du BIT, s’élevait à 8,1 % de la population active fin 2006. Il atteignait 26,9 % au 1er trimestre 2013.

 

Le recul du taux de chômage

 

Fin 2015, le taux de chômage, toujours calculé selon les méthodes du BIT, reculait cependant, et atteignait 20,8 %.

C’est à la « flexibilisation » du marché du travail espagnol que le gouvernement de Manuel Valls et les économistes libéraux attribuent ce recul. Sans le moindre souci du ridicule, ils nous proposent donc de prendre pour exemple un pays dont 21 % de la population active est au chômage !

 

Les économistes signataires de la Tribune du Monde « Cette réforme est une avancée pour les plus fragiles », le 5 mars 2016, derrière le « prix Nobel » [2] Jean Tirole, en soutien au projet de loi El Khomri, prétendaient qu’« ayant adopté une loi similaire en 2012, l’Espagne a connu un surcroît de 300 000 embauches en CDI dès l’année suivante ». Ce chiffre, le seul exemple concret de cette Tribune, est une invention [3]. Selon Eurostat, en 2013, 77 600 emplois précaires (CDD et intérim) ont été créés alors que 256 200 CDI disparaissaient.

 

La population active espagnole

 

Certes, diminuer le taux de chômage de 6 points, semble plus facile à réaliser quand ce taux s’élève à 27 % qu’à 10 % de la population active. Néanmoins ce taux a diminué et il importe de savoir pourquoi.

La première question à se poser est donc celle de savoir si la population active espagnole est restée stable, si elle a augmenté ou si elle a diminué. La diminution de 5 points du taux de chômage rapporté à cette population active n’aura pas le même sens, dans chacune de ces cas de figures.

 

Depuis le premier trimestre 2013, le nombre de chômeurs a reculé de 1,498 millions mais le nombre d’emplois n’a augmenté que de 1,064 millions. 434 000 chômeurs se sont donc évaporés des statistiques (29 % de la baisse du nombre des chômeurs) entre le 1er trimestre 2013 et la fin de l’année 2015 [4]. Une partie a rejoint le rang des « inactifs » : une proportion plus importante de jeunes a poursuivi ses études ; des chômeurs, découragés, ont renoncé à chercher du travail. Une autre partie a quitté l’Espagne pour chercher du travail ailleurs. La première explication à la diminution du taux de chômage est donc la diminution de la population active espagnole.

 

L’envol de la précarité

 

La deuxième question à se poser est celle de savoir ce qui se cache derrière le chiffre de 21 % de la population active au chômage. Suivant la méthode de calcul du BIT, une personne ayant travaillé ne serait-ce qu’une seule heure la semaine de référence n’est pas considérée comme un demandeur d’emploi. Ce taux ne nous renseigne donc en rien sur la nature des emplois créés.

Selon les chiffres de l’INE (l’INSEE espagnole), 525 100 emplois ont été créés en 2015 mais 67,5 % d’entre étaient des emplois précaires, en CDD. Nous voilà très loi des promesses de Manuel Valls de « Sortir d’une société de précarité » grâce à la « flexibilisation » du marché du travail.

 

La croissance espagnole à l’origine des créations d’emploi

 

Le PIB espagnol a augmenté de 2,8 % en 2014 et de 3,2 % en 2015. Cependant, contrairement à ce que prétendent les néolibéraux, cette croissance n’a rien à voir avec l’austérité imposée à l’Espagne. C’est au contraire, l’arrêt de la politique d’austérité de Manuel Rajoy, dans la perspective des législatives de fin 2015, qui explique cette reprise économique.

Dès que la conjoncture économique se retournera, ces emplois subiront le même sort que les 2,5 millions d’emplois précaires créés durant le premier « miracle espagnol » entre 2000 et 2008 et qui avaient rapidement disparu au cours de la crise économique qui avait suivi la crise financière de 2007-2008.

 

Ce retournement est d’autant plus prévisible que les exportations ne sont pas suffisantes pour tirer la croissance. Malgré la baisse du « coût du travail », elles sont toujours inférieures d’un point à celles d’avant 2007. La croissance est donc tributaire de la consommation intérieure, limitée par la nature des emplois créés qui sont, non seulement précaires, mais aussi peu rémunérés.

 

 

La sanction des élections législatives de 2015

 

Aux élections législatives de décembre 2015, le parti de droite de Manuel Rajoy (le PP) a perdu 3,6 millions de voix et son dirigeant a dû renoncer à former un gouvernement. Le Parti socialiste espagnol (le PSOE) a, quant à lui, continué à payer sa politique d’agression contre les droits des salariés en 2010-2011. Il a perdu 1,5 million de voix.

Visiblement, le « miracle » espagnol n’a pas été du goût de tous les Espagnols.

 

 

[1] Manuel Valls « Sortir d’une société de précarité » – AFP – 15/03/2016/

[2] Il n’y a pas de « prix Nobel d’économie ». Dès sa création, en 1969, le « prix de la Banque centrale de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel » a volontairement été confondu avec les prestigieux « prix Nobel » de physique, chimie… Le but de l’opération était de faire passer la « sciences économiques » pour une science naturelle, au même titre que la physique ou la chimie, alors qu’il s’agit d’une science sociale, d’une économie politique.

[3] Michel Husson – Site à l’encontre – Flexibilité du travail, arnaque néolibérale (I).

[4] Voir Romaric Godin Espagne : les dessous du « miracle » espagnol – La Tribune – 01/02/2016.

 

 

 

 

Italie :

 

 

 

II- Le « Jobs Act » italien de Matteo Renzi

 

 

Les deux principales mesures de cette loi

 

Le « Jobs Act », voté le 10 décembre 2014 et entré en vigueur en mars 2015, a d’abord supprimé la possibilité qu’avait un salarié italien d’être réintégré dans l’entreprise dans laquelle il travaillait lorsque son licenciement était jugé abusif. C’était un droit plus protecteur, garanti par l’article 18 du Code du travail italien, que le droit français, qui n’oblige pas l’employeur à réintégrer un salarié licencié abusivement, mais seulement à « compenser » ce licenciement par une indemnité déterminée par le juge. Avec le « Jobs Act », l’article 18 a été supprimé. Il suffira désormais, en Italie, à l’employeur de verser une indemnité pour licencier un salarié. Le salarié pourrait, cependant, être réintégré, s’il était victime de « discrimination ». Mais c’est au salarié d’en apporter la « preuve matérielle » ; cette possibilité de réintégration n’a donc qu’une portée pratique très limitée.

L’autre innovation déterminante de la loi de Matteo Renzi est la création d’un CDI « à protection croissante ». Le licenciement est facilité pendant les trois premières années suivant l’embauche, mais des indemnités croissantes (de 4 à 24 mois de salaire) en fonction de l’ancienneté dans l’entreprise sont versées en cas de licenciement.

 

Le « Jobs Act » apporte d’autres changements au droit du travail italien

 

Certains de ces changements sont positifs.

Les contrats de collaboration, souvent utilisés pour transformer en relations commerciales des relations salariales, sont supprimés et transformés en contrats de travail à partir du 1er janvier 2016. La durée d’indemnisation de l’assurance chômage est portée à deux ans (contre 12 mois auparavant).

Le « Jobs Act » prévoit également l’instauration d’un salaire minimum « à titre expérimental ». Mais rien n’a été fait concrètement. L’Italie reste donc l’un des derniers États européens à ne pas disposer d’un salaire minimum.

D’autres changements le sont beaucoup moins.

Le « Jobs Act » a également assoupli le recours aux « bons du travail », aux « vouchers emploi », une forme de chèque emploi qui permet à un employeur de faire occuper un même poste de travail par plusieurs salariés successifs, payés en « bons du travail ». Une sorte de quintessence de la précarité. Le plafond de revenu annuel payé au moyen de ces bons a été rehaussé de 5 000 à 7 000 euros.

 

Les décrets de 2014 et la loi de finances pour 2015

 

Les décrets de 2014, du ministre du Travail, Giuliano Poletti, ont permis aux entreprises d’infliger à un même salarié 5 CDD successifs, pendant 36 mois (12 mois auparavant).

La Loi de finances pour 2015 supprime les cotisations sociales pendant 3 ans sur les nouveaux contrats CDI à protection croissante, dans la limite de 8 060 euros par an pour les nouveaux embauchés entre le 1er janvier et le 31 décembre 2015, s’ils n’ont pas été employés en CDI dans les six mois précédents leur embauche.

 

L’emploi progresse, modestement, depuis le début de l’année 2015

 

Le 9 mars 2016, Matteo Renzi annonçait la création de 764 000 CDI à « protection croissante ». Le 25 août 2015, son ministre du Travail déclarait qu’entre janvier et juillet 2015, 420 325 contrats en CDI avaient été signés. Le 26 août, il devait démentir l’information et reconnaître que seulement 115 897 CDI avaient été signés. Quatre fois moins que ce qu’il avait annoncé [1].

Selon l’ISTAT (l’INSEE italienne), entre janvier 2015 et janvier 2016, le nombre d’actifs occupés augmentait de 229 000. Le terme d’ « actifs occupés » peut surprendre mais, comme pour l’INSEE en France, les demandeurs d’emplois, recensés par les statistiques, font partie de la population active. Le nombre de salariés augmentait de 377 000 alors que le nombre des indépendants diminuaient de 148 000, afin d’anticiper la suppression, le 1er janvier 2016, des « contrats de collaboration ». Les CDI constituaient 87 % des nouveaux emplois salariés : 328 000 pour un total de 377 000.

Selon l’économiste de l’OFCE, Céline Antonin [2] « Le nombre de salariés en CDI est revenu à 22,6 millions, aux niveaux de 2009 (…), quant à l’emploi total, s’il ne revient pas encore à son niveau d’avant-crise, la baisse de 2012-2014 est annulée ».

 

La raison essentielle de l’augmentation des nouveaux CDI : les subventions

 

L’effet d’aubaine a joué à plein. De nombreuses entreprises ont différé les embauches qu’elles avaient prévues en 2014 pour bénéficier des exonérations de cotisations sociales annoncées en 2015. Il n’est donc pas étonnant que le nombre d’embauches en 2015 soit nettement supérieur à celui de 2014. Les exonérations sociales prévues par le « Jobs Act » ont à la fois fait diminuer le nombre d’embauches en 2014 et fait augmenter celui de 2015.

L’effet de substitution des emplois en CDD par les nouveaux CDI à protection croissante a également joué un grand rôle. De très nombreux CDD ont été transformés en nouveaux CDI pour bénéficier des exonérations de cotisations sociales.

 

L’emploi a progressé en Italie, mais rien n’est réglé quant à la nature de ces nouveaux emplois : sont-ils durables ou précaires ?

 

Ce qui explique le regain de l’emploi en CDI, ce n’est pas la « flexibilisation » du marché du travail liée à la suppression de l’article 18 du Code du travail italien. C’est, avant tout, les exonérations de cotisations sociales mises en place pour une durée de 3 ans par le « Jobs Act ».

Avant de vanter la pérennité des nouveaux CDI, il faudra donc attendre trois ans pour voir combien de salariés embauchés en CDI « à protection croissante » seront licenciés une fois que la poule aux œufs d’or de l’exonération des cotisations sociales aura disparu, et combien seront réembauchés en CDD. Les entreprises, une fois empochées les exonérations de cotisations sociales, n’auront, en effet, aucun intérêt à laisser croître la protection de leurs salariés embauchés avec ce type de contrat. Le risque est donc particulièrement élevé de voir la « sécurité » du « nouveau CDI » disparaître en ne laissant qu’une « flexibilité » accrue, liée à la suppression de l’article 18 du Code du travail italien.

 

La diminution du taux de chômage

 

Le nombre de chômeurs a reculé de 169 000 en 2015 et le taux de chômage (au sens du BIT) a diminué, au cours de la même année, de 12,2 à 11,5 % de la population active.

Ce recul est, cependant, très relatif. En 2007, l’Italie ne comptait que 1,46 million de chômeurs (toujours au sens du BIT). Ce nombre a culminé en janvier 2014 avec 3,26 millions de chômeurs. Une hausse de 1,8 million, donc. Au cours des deux dernières années, la baisse du nombre de chômeurs n’a été que de 304 000. C’est donc seulement 1/6e des destructions d’emplois, provoquées par la crise financière de 2007-2008 et la crise économique qui s’en est suivie, qui a été comblé. Comme le souligne Romaric Godin [3] « C’est un rythme qui n’a rien d’exceptionnel : s’il se poursuit, on reviendra au niveau de 2007… en 2020 ».

 

Comment expliquer ce recul (modeste) du chômage ?

 

La première explication, la plus déterminante, est l’augmentation du nombre d’emplois mais, malgré les cris de victoire de Matteo Renzi, il serait tout à fait présomptueux de prétendre qu’il s’agit d’emplois durables.

La deuxième explication est la stagnation de la population active qui a amplifié le mouvement de baisse du taux de chômage liée aux créations d’emplois. Si la population active stagne, il est plus facile, comme en Espagne, de faire régresser le taux de chômage calculé en fonction de cette population active. C’est bien ce qui s’est produit. Entre janvier 2015 et janvier 2016, le nombre d’inactifs a diminué plus rapidement que celui des chômeurs : 242 00 contre 169 000. Il existe donc bien un chômage caché que l’on ne retrouve pas dans les statistiques des demandeurs d’emplois. Ce sont des personnes qui, découragées, ne cherchent même plus un emploi et ne se déclarent plus comme demandeurs d’emploi lors des enquêtes réalisées pour le compte du BIT. De nombreux nouveaux diplômés, également, sont de plus en plus nombreux, chaque année, à quitter l’Italie pour trouver un travail.

La troisième explication est la reprise de la croissance. Certes, cette croissance était modeste (+ 0,6 % en 2015), mais elle rompait avec la croissance négative des années précédentes : – 2,8 % en 2012, – 2,8% en 2012, – 1,7 % en 2013, – 0,4 % en 2014. C’est, contrairement à toutes les affirmations des néolibéraux, le relâchement de la contrainte budgétaire qui a permis cette reprise et donc, en partie, le reflux du chômage.

 

La chute de la natalité italienne : un signe du peu d’espérance en l’avenir des jeunes générations

 

Pour la première fois en Italie, les naissances sont tombées en 2015 sous le seuil psychologique des 500 000. Pour la première fois depuis 1919, la population de la péninsule a diminué l’année dernière. Selon les prévisions de l’ISTAT, pas plus de 495 000 nouveaux-nés y verront le jour en 2016. 8 naissances pour mille habitants, contre 10 naissances pour mille dans l’Union européenne [4].

La précarité économique et la vision de l’avenir des jeunes Italiens ne sont sans doute pas les seuls facteurs qui expliquent ce phénomène, ils sont néanmoins parmi les plus déterminants. Il ne semble pas que les cris de victoire de Matteo Renzi et son annonce de la fin de la précarité pour les jeunes aient véritablement été pris au sérieux par les intéressés.

 

 

En Allemagne, au Royaume-Uni, en France, en Espagne ou en Italie, il n’y a aucun lien avéré entre la « rigidité » du marché du travail et l’emploi

 

 

Pour l’économiste Michel Husson, l’indicateur synthétique de « rigidité » de l’OCDE, l’Employement protection legislation (EPL), montre qu’il n’existe aucun lien entre la « rigidité » du marché du travail et la variation du taux d’emploi : « Des pays supposés « rigides » comme la France ou la Belgique ont des résultats analogues à ceux de pays très « flexibles » comme la Nouvelle-Zélande et les Etats-Unis ou le Canada. En sens inverse, des pays dont le degré de « rigidité » est comparable peuvent avoir de bonnes performances (Pologne, Allemagne) ou de très mauvaises (Espagne, Grèce) » [5].

En France, si les économistes néolibéraux, la droite, François Hollande et Manuel Valls affirment le contraire, sans avancer la moindre preuve de ce qu’ils avancent, c’est parce qu’ils poursuivent un tout autre objectif : augmenter les marges bénéficiaires des entreprises et la part des profits dans la répartition de la richesse nationale. Après quatre ans de politique néolibérale, de mai 2012 à mars 2016, qui n’a atteint aucun des objectifs qu’elle affirmait poursuivre, il faut bien finir par se rendre à l’évidence.

 

Non seulement la dette publique n’a pas diminué mais elle frôle maintenant les 100 % du PIB ; la croissance atone est toujours incapable de faire diminuer le chômage. Depuis mai 2012 et pour la France entière, le nombre de chômeurs de la catégorie A a augmenté de 688 500 (de 3 163 900 à 3 852 400). Dans le même temps, le total des catégories A, B, C, D et E s’est accru de 1 236 900 (de 5 257 200 à 6 494 100).

Un seul objectif, non avoué, a été atteint : la marge bénéficiaire des entreprises a regagné son niveau d’avant la crise, même si le Medef exige toujours plus. Quelle autre explication donner à l’obstination de François Hollande à poursuivre et accélérer une politique qui n’a fait qu’éloigner notre pays des objectifs qu’il affirmait vouloir atteindre ?

 

 

Jean-Jacques Chavigné

 

 

 

 

Notes

[1] Maria Fana, doctorante en économie à Sciences Po Paris « Jobs Act : les mensonges du ministre du Travail italien » – Blog des Économistes atterrés sur Libération – 11 janvier 2016

[2] Le Jobs Act de Matteo Renzi : un optimisme très mesuré, Blog OFCE, 9 mars 2016

[3] Italie : le « Jobs Act » est-il une recette miracle ?, La Tribune, 9 mars 2016

[4] Olivier Tosseri (Correspondant à Rome) « Les Italiens, un peuple en voie d’extinction  » – Les Échos – 12/01/2016.

[5] Marché du travail. Les atterrantes propositions des économistes, l’Humanité, 24 mars 2016

 

 

9 Commentaires

  1. CanluCat
    Posted 5 avril 2016 at 23:04 | Permalien

    « … dont le taux de chômage (au sens du BIT) est beaucoup plus bas qu’en France : 10,3 % de la population active au chômage en France… ».
    A l’université, j’ai pratiqué plus de 500 heures de statistiques et probabilités. Et je suis toujours surpris lorsqu’on me prétend que le taux de chômage, en France, est de 10%, 10,3%.
    Je pars du principe que, en France, la population active s’élève à 30 millions.
    En catégorie A, le nombre d’inscrits est de 3,6 millions.
    Donc, par un tout petit et bête calcul, le ratio est bien plus proche de 12% que de 10,3% !
    Je ne parle même des 6,5 millions d’inscrits à PE plus les 1,2 à 1,5 million de personnes au RSA et non inscrits à PE. Nous dépassons alors allègrement les 20%.
    Pour ce qui concerne le RU, n’oublions pas que Blair a également basculé plusieurs centaines de milliers de chômeurs en tant que « handicapés » ! Toujours ça de gagner sur les chiffres du nombre de chercheurs d’emploi !

  2. lionel Mutzenberg
    Posted 6 avril 2016 at 9:24 | Permalien

    Très bon article merci. Mais aussi, quelle superbe réponse à nos journalistes et éditorialistes, à l’exemple de Léa Salamé, France-Inter et France 2, qui demandait en sautant, comme un cabri,  » l’Italie à réussit à créer plus de 500 000 emplois, expliquez nous pourquoi  » à un Jean-Luc Mélenchon, entre autres, en panne de réponse immédiate.
    Cette journaliste à la mode du néolibéralisme de gauche, ne dis plus rien sur ce sujet, à vous lire, je comprends le « pourquoi. » Mais la désinformation est passée, n’est-ce pas le but final de nos médias aux ordres ?

  3. cyril
    Posted 6 avril 2016 at 18:11 | Permalien

    Parler d’emploi, c’est s’enfermer dans le système capitaliste. Qui dit emploi, dit exploitation du travail. Le statut de la fonction publique prouve que l’on peut travailler sans être dans l’emploi et sous le joug de l’employeur.

    D’autre part, l’idéologie de la croissance ne mène qu’ au désastre. Quand bien même, cela créerait des emplois, nous resterions d’une part comme dit ci-dessus sous le joug des employeurs, d’autre part, cette croissance demanderait une débauche d’énergie supplémentaire, donc épuisement des ressources fossiles et naturelles.

    Ce ne sera pas le développement durable ou la croissance verte qui y changera quoi que ce soit.

    Il faut se poser la question du pourquoi nous faisons des choses et pas seulement comment.

    Dernier point: il est indiqué que le taux de chômage des jeunes de 15 à 24 ans, …Je croyais que l’école était obligatoire jusqu’à 16 ans? Ce chiffre donné sans cesse est aussi fallacieux que d’autres.

  4. Gilbert Duroux
    Posted 6 avril 2016 at 19:26 | Permalien

    Maintenant que l’idée de primaire à gauche est bel et bien morte (Cambadélis ne veut voir qu’un seul candidat PS, autrement dit Hollande ou un libéral de son espèce), qu’est-ce que vous allez faire du côté de la gauche du PS ?

  5. Riclol
    Posted 7 avril 2016 at 15:20 | Permalien

    Mais arrêtez d.ecouter Filoche !! Contre vérité sur conte vérité … Meme le parti de la gauche de la gauche Italienne reconnaît s’etre trompé et que le chômage a diminué . Ils ont toujours peur de la précarité , mais la vie est précaire .. Bref, mettez toutes vos économies pour créer un projet, et embauchez les gens que vous « pensez  » soutenir .. Le reste c blabla …

  6. Posted 7 avril 2016 at 20:17 | Permalien

    L’Italie et l’Espagne ont réussi à faire des réformes que la France ne réussira jamais à faire à cause du sectarisme archaïque de ses partis toujours divisés à cause du vieux clivage gauche-droite. Ces termes ne veulent plus rien dire. Nous avons un gouvernement de gauche qui pratique une politique de droite. Les différentes fractions gauchistes resteront toujours minoritaires et ne doivent leur survie qu’à des « combinazione ». Le ministre le plus populaire en cas de primaire à gauche reste Emmanuel Macron qui veut s’affranchir de ces vieux clivages…

  7. Posted 11 avril 2016 at 10:41 | Permalien

    ridiculement inouï

  8. Posted 11 avril 2016 at 10:41 | Permalien

    paresseux

  9. Gilbert Duroux
    Posted 12 avril 2016 at 12:15 | Permalien

    Il faut le rappeler systématiquement, « ni droite-ni gauche », ça veut dire droite. Ça s’est toujours vérifié.

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