De Jérôme Cahuzac aux « Panama papers » (in Huffington Post)

 

Gérard Filoche – 08/04/2016

Après avoir longtemps nié, le ministre du Budget, Jérôme Cahuzac reconnaissait, le 2 avril 2013,  avoir un compte à l’étranger « depuis une vingtaine d’années » sur lequel « environ 600 000 € étaient déposés ». Paradoxe vraiment étrange : c’était lui qui, dans le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, était chargé  de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale !

Les contradictions ne s’arrêtent pas là, pour Jérôme Cahuzac. En 2011, alors député socialiste et président de la Commission des Finances de l’Assemblée générale, il s’opposait à ce que le Panama soit retiré de la liste française des paradis fiscaux. Il allait même jusqu’à déclarer à la tribune de l’Assemblée nationale : « Nous pourrons avoir la comptabilité de toutes les sociétés enregistrées au Panama, sauf les sociétés off-shore. Bref l’opacité demeurera ». Pourtant, en 2009, le transfert vers l’Asie des avoirs de Jérôme Cahuzac, dissimulés sur son compte suisse, avait été organisé à l’aide d’une société-écran immatriculée au Panama. Jérôme Cahuzac dit, aujourd’hui, n’en avoir rien su.

Les incohérences et les contradictions ne sont pas, pour autant, réservés à Jérôme Cahuzac.

Un an après les aveux de Jérôme Cahuzac, celui qui avait été son ministre de tutelle, Pierre Moscovici, répondait succinctement « Je ne veux pas faire de politique fiction », à la question de savoir s’il irait jusqu’à menacer les banques qui auraient des filiales dans les paradis fiscaux de leur retirer leur licence bancaire. Aujourd’hui, avec les révélations des « Panama papers », il ne s’agit plus de « politique fiction » puisque 500 banques sont concernées et que bien des banques européennes (notamment la Société générale) sont mises en cause. Pierre Moscovici, de surcroît, est commissaire européen aux Affaires économiques et financières. Il semble, cependant, avoir complètement oublié l’idée, pourtant d’une efficacité redoutable, de retirer leur licence bancaire aux banques qui auraient des filiales (ou des filiales de filiales…) dans les paradis fiscaux.

Nicolas Sarkozy n’échappe pas non plus à ses incohérences. Lors du G20 de Londres, le 23 septembre 2009, il s’était écrié devant des nuées de caméras : « Les paradis fiscaux, le secret bancaire, c’est terminé. » En 2012, il rayait le Panama de la liste des paradis fiscaux, ce qui tendait à prouver qu’il en existait encore… Aujourd’hui, il est particulièrement discret, ce qui n’est guère son habitude.

François Hollande n’est pas en reste. Il  remercie les « lanceurs d’alerte ». Edward Snowden se permet, cependant, de lui rappeler que, lorsqu’il avait dévoilé le programme de surveillance des communications mondiales de la NSA, le président français n’avait pas, en 2013, daigné donner suite à sa demande d’asile.

Michel Sapin saute, lui-aussi, à pieds joints dans ses contradictions. Le 16 février, il recevait son homologue panaméen. Le 17 février, la France donnait son feu vert à la suppression du Panama de la liste des paradis fiscaux du Groupe d’action financière. Le 5 avril, après les révélations des « Panama papers », Michel Sapin annonçait que la France allait réinscrire le Panama sur la liste des paradis fiscaux.

La lutte contre la fraude et l’évasion fiscale ne progresse qu’à coup de scandales (Offshoreleacks, Luxembourgleaks, Swissleaks, Panama papers…), toujours avec un temps de retard sur ceux qui organisent ce business. A qui peut-on faire croire, pourtant, que les Seychelles ou Panama auraient les moyens de s’opposer aux Etats-Unis ou à l’Union européenne si ces deux puissances voulaient réellement s’attaquer aux paradis fiscaux ?

Aujourd’hui, c’est un grand bond en arrière que prépare la Commission européenne. Si la directive sur le « secret des affaires » était adoptée, des révélations telles que celles des « Panama papers » deviendraient impossibles, car elles violeraient le « secret des affaires ». Le Parlement européen doit se prononcer le 14 avril, mais la Commission européenne gardera la main, comme le veut le traité de Lisbonne. Adopter la directive sur « le secret des affaires » serait donner raison au cabinet Mossack Fonseca lorsqu’il affirme que le seul crime commis, dans cette affaire, est celui d’avoir extrait de son système informatique 11,5 millions de documents. « Nous ne comprenons pas, précisait-il, le monde est en train d’accepter que la vie privée n’est pas un droit de l’homme. »

 

Gerard Filoche

 

Un plan d’urgence contre les paradis fiscaux

L’évasion fiscale prive, chaque année, les États de centaines de milliards de dollars ou d’euros qui n’iront pas financer les dépenses de santé, de protection sociale, de construction d’infrastructures indispensables à la vie des populations. C’est un véritable crime qui provoque des centaines de milliers de victimes chaque année.

Il faut donc mettre fin à l’évasion fiscale et aux paradis fiscaux qui la rende possible. Personne ne peut croire que les Seychelles ou le Panama auraient les moyens de s’opposer aux  États-Unis ou à l’Union européenne si ces derniers avaient vraiment la volonté de se donner les moyens d’en finir avec les paradis fiscaux.

Ces moyens existent et un plan d’urgence contre les paradis fiscaux pourrait être mis en place si le prochain G 20, qui se déroulera les 4 et 5 septembre 2016, à Hangzhou, le décidait.

Une nouvelle liste des paradis fiscaux devrait être établie en utilisant des critères plus contraignants que ceux employés actuellement par l’OCDE. Il suffit, en effet, qu’un paradis fiscal signe 12 accords de coopération fiscale, même avec d’autres paradis fiscaux, pour ne plus figurer dans les listes noire ou grise de l’OCFE. Le Delaware, Hong-Kong ou les Iles vierges britanniques et bien d’autres encore, ne devraient pas, non plus, pourvoir passer à travers les mailles du filet sous prétexte qu’ils appartiennent à des pays qui ne sont pas des paradis fiscaux : les États-Unis, la Chine, le Royaume-Uni…

Les demandes d’informations devraient être automatiquement fournies à la demande des administrations fiscales concernées, sans qu’elles aient l’obligation d’apporter la preuve d’une fraude fiscale. Leurs demandes ont justement pour objet d’établir cette fraude…

Un registre public des bénéficiaires réels des sociétés devrait être mis en place.

Les banques qui ont des filiales (ou des filiales de filiales..) dans les paradis fiscaux devraient se voir retirer leur licence bancaire ou être mises sous tutelle.

Il devrait être mis fin à toute relation économique et financière avec un pays qui persisterait à servir de paradis fiscal.

Il resterait encore à réglementer les pratiques des firmes transnationales qui utilisent leurs systèmes de facturation interne pour échapper à l’impôt, en jouant sur les différences de fiscalité des pays où elles sont implantées.

 

JJ Chavigné

 

 

 

 

One Commentaire

  1. 1956
    Posted 11 avril 2016 at 14:53 | Permalien

    Sur ce sujet on peut aussi lire la publication de mars 2016: « enquête de transparence des banques françaises dans les paradis fiscaux » disponible sur le site du secours catholique et mesurer l’impunité fiscale dans laquelle les banques françaises continuent de voler la nation avec la bienveillance du gouvernement.

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